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vendredi 3 décembre 2021

"Si on ne respecte pas plus la nature, on partira avec elle"

 Pour Boris Cyrulnik, il n'y a pas d'une part les plantes, et les animaux, et de l'autre, nous les humains. Et notre avenir dépend beaucoup du vivant. 



La catastrophe, mode de l'évolution humaine

Boris Cyrulnik : "La catastrophe est un mode d'évolution de l'humanité. Le tsunami de Lisbonne, autour de 1755, provoque l'avancée de l'urbanisme. L'épidémie de peste de 1348 de Marseille transforme les règles sociales. La guerre de 1914-1918 a été une métamorphose en particulier pour les femmes… En cas de catastrophe, ou de grand changement, les réformettes politiques ne suffisent plus. Il faut engager des bouleversements sociaux importants. Le grand bouleversement actuel, et la découverte qu'on a palpée pendant presque deux ans, est qu'on ne peut plus ne pas respecter la nature. 

On fabriquera des virus tous les ans. Il faudra recommencer à se confiner avec un prix humain exorbitant.

Mieux comprendre les animaux

Le jour où l'on comprendra qu'une pensée existe chez les animaux, nous mourrons de honte de les avoir enfermés dans les zoos, et de les avoir humiliés. J'ai côtoyé l'écologie animale dans les années 1970. On a appris que les animaux comprennent beaucoup plus de choses que ce qu'on croyait. Descartes nous a joué un vilain tour en parlant "d'animal machine". Et cette idée a infusé notre culture occidentale.  

Je fais partie d'une génération où lorsque j'étais étudiant en médecine, des maîtres nous disaient tant que l'enfant ne parle pas, il ne peut rien comprendre. Beaucoup de mères étaient étonnées : "Mais moi, j'ai l'impression que mon bébé comprend", disaient-elle. On a plaqué ce raisonnement sur les animaux aussi. 

On fabrique des animaux dans des élevages faramineux. Pour nourrir ces animaux, on détourne les végétaux. On en aura bientôt plus. Souvent, on mange des animaux inutilement…  

Tous les êtres vivants doivent être respectés. Si on ne respecte pas les plantes, on va abîmer notre vie quotidienne. Si on ne respecte pas les animaux, on va créer des déséquilibres dans le système... Mais pour respecter le vivant, il faut le comprendre. 

Un programme : ralentir la consommation, la circulation, l'école pour aller à la rencontre des autres 

Si on remet en place l'ancienne société avec son hyper consommation et son hyper circulation tous les ans, de nouveaux virus apparaîtront. Nous devons ralentir. Ralentir la consommation, ralentir la circulation, et même ralentir l'école… On veut vivre 100 ans si on perd un an ou deux à l'école, qu'est-ce que ça peut faire ?

Ralentir pour éprouver le plaisir de rencontrer l'autre. Il faut aller découvrir les personnes de différentes cultures, de diverses religions… On peut alors expliquer notre culture. Et ne pas être toujours d'accord. On peut se disputer. Et la dispute fait partie de la relation humaine.

Je dis que notre corps est un carrefour de pression climatique sensoriel. Notre âme est un carrefour de récits. On ne sépare plus le corps et l'âme. Les deux fonctionnent ensemble. Si on abîme le corps, on abime l'âme et vice-versa. Puis on abime la société, et on ne peut plus vivre ensemble. Ce raisonnement écosystémique commence à être accepté. Il y a encore des gens qui s'y opposent, mais cela ne fait rien. L'évolution dans les mois qui viennent va imposer cette idée globale."

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samedi 30 janvier 2021

Changement et lenteur

 


L’incertitude, ça n’est pas nouveau. Tout ce qui est vivant implique le changement. Que disait Darwin ? Que le monde vivant évolue. Pour les uns, c’est formidable. Pour d’autres, c’est la panique. Ils se disent : «Quoi ? Ce que je suis aujourd’hui, je ne le serai pas demain ? Ah mais vous m’angoissez avec votre incertitude !» Certains cherchent un sauveur, un esprit totalitaire qui leur assure : «Voilà d’où vient le mal.» Moi, je dirais plutôt qu’il faut avoir peur des certitudes qui figent, et qu’on a tort de craindre l’incertitude. Elle est créatrice, à condition de travailler sur soi, de se décentrer de soi pour essayer de se représenter le monde de l’autre.

Aujourd’hui, il nous faut naître autrement. C’est la définition de la résilience, qui consiste à garder une trace de la blessure pour inventer autre chose. Beaucoup parlent d’une crise. Selon moi, le mot juste pour qualifier ce qui nous arrive est «catastrophe», un mot qui étymologiquement dit coupure et virement, tournant. Il y en a eu beaucoup dans l’Histoire. Dans un premier temps, et on l’a vu avec le confinement, les violences familiales et conjugales explosent, car se pose la question : «Comment va-t-on vivre ensemble ?» Quand la violence et la brutalité sexuelle augmentent, c’est toujours le symptôme d’une défaillance socioculturelle. Il manque un cadre pour structurer la pulsion. Nous vivons dans un sprint consumériste qui a provoqué la dilution des liens, gommé les âmes et les saisons, provoqué une déritualisation culturelle. On ne pense qu’à la réussite sociale. Mais après la catastrophe, le traumatisme pousse toujours à emprunter un chemin nouveau. Nous devons prendre un virage, or trois voies s’offrent à nous désormais.

On peut repartir comme avant, ne rien changer à l’économie, à l’hyperdéplacement et à l’hyperconsommation, et un siècle d’épidémies nous attend, avec un nouveau virus dans trois ans. On peut voter pour un dictateur qui nous escroquera en faisant croire qu’il a la solution et la vérité, cela existe déjà ici ou là. On peut enfin opter pour une nouvelle naissance, c’est la voie à laquelle je rêve. Nos atouts pour une renaissance sont la (re)découverte de la lenteur, l’accès au savoir pour tous et de nouvelles ententes de couples, où chacun fait sa part d’effort.

Boris Cyrulnik
(source : Madame Figaro)

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