Il y a quelques semaines, une dame me dit qu’elle est à la recherche d’un spécialiste de la médecine des émotions. Deux jours plus tard, j’entends un psychiatre parler de la nécessité de bien gérer les émotions. Et, ce matin, je lis un article sur les nouvelles thérapies des émotions. Mais d’où vient cette idée qu’il faut soigner les émotions ? Éprouver des émotions serait-il le signe d’une pathologie ? « Gérer », « traiter », « guérir » sont-ils des mots appropriés pour parler de la bonne attitude à adopter face à nos émotions ? Je pense que non.
Le concept d’une « médecine des émotions » me paraît révéler une profonde méconnaissance à propos de ce qu’elles sont et, surtout, de ce que nous pouvons en faire. Il faut dire que nous sommes les héritiers d’une culture qui a longtemps diabolisé les phénomènes émotionnels, considérant que ceux-ci perturbaient la sacro-sainte rationalité. Des générations avant nous ont tenté de les maîtriser, de les refouler, voire de les nier. Puis des chercheurs comme Antonio Damasio ont montré que, sans elles, il ne pouvait pas y avoir de véritable rationalité. Car nos émotions sont de l’information; elles nous renseignent sur la qualité de nos expériences. Elles sont agréables (joie, enthousiasme) quand ce que nous percevons ou ce que nous pensons est bon pour nous. Elles sont désagréables (peur, colère, tristesse) dans le cas contraire. Chacune de nos perceptions génère une émotion qui devient un sentiment qui alimente nos pensées. Et, en retour, chacune de nos pensées génère une émotion qui se manifeste dans notre corps et donne lieu à une perception. Nos émotions sont le pivot central de notre expérience. Elles contiennent l’énergie qui fait le lien entre le corps et l’esprit; elles permettent de transformer une pensée en acte, et un acte en idée. Energeia en grec : la « potentialité d’une action ». Nos émotions nous font bouger dans la tête et dans le corps ; elles sont ce qui nous rend vivants. Emovere en latin : « mettre en mouvement ».
Nous devrions faire attention aux mots que nous utilisons. Car parler de médecine, de soins, de traitements ou de guérison en ce qui concerne les émotions risque de perpétuer les représentations négatives héritées de nos ancêtres. Au lieu de combattre nos émotions, nous devrions les considérer comme des phénomènes incontournables et indispensables. Cela nous permettrait d’apprendre à les métaboliser pour utiliser l’énergie et l’information qu’elles contiennent. Le métabolisme est l’ensemble des réactions chimiques qui permettent de récupérer l’énergie contenue dans les aliments grâce à l’apport d’oxygène. Métaboliser une émotion demande donc de l’accueillir comme une nourriture et de respirer profondément. Dès que nous nous comportons de la sorte, la manifestation corporelle de notre émotion s’estompe, son information génère des idées nouvelles dans notre pensée et son énergie devient disponible pour une réponse adaptée à la situation.
Un petit conseil, donc. La prochaine fois que vous éprouverez de la colère ou de la tristesse, ne contractez pas vos muscles pour réduire la sensation désagréable qui accompagne ces émotions. Ne bloquez pas le mouvement de la vie en vous. Au contraire, inspirez amplement, détendez-vous, restez présent à vous-même, prenez pleinement conscience de votre émotion, écoutez votre sentiment et goûtez le plaisir de vous sentir intensément vivant. C’est si bon et tellement rassurant.
Thierry Janssen
(source Psychologies)
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