« L’importance donnée au hara représente la relation originelle de l’homme avec les puissances de la grande vie. Cette conscience est le lien non encore rompu avec la nature. Hara est un don originel fait à l’homme. Sur ce chemin qu’est le zen, nous avons le devoir de nous relier, consciemment cette fois, aux forces de la grande vie ; nous avons le devoir de reconquérir notre vrai centre. » K.G.Dürckheim
Ces quelques mots - consciemment cette fois - ont toute leur
importance ; l’être humain connaît déjà cette manière d’être. C’est ainsi que
nous avons commencé notre existence, baignant dans l’inconscience de notre
sort, sans volonté ni mental, portés par une conscience vitale, primaire, corporelle
et sensorielle. Alors, conscience ou inconscience ?
D’un certain point de vue, nous pourrions dire que depuis la fécondation, nous sommes sur la Voie. Le corps est un incessant processus vivant, comme nous le montrent les imageries médicales de la vie intra-utérine. Nous sommes soumis aux lois de la nature : pas de mental pour la multiplication des cellules, du ‘haricot’ à l’embryon, de l’embryon au fœtus …
Passage d’une forme à une autre : tout est action, geste
vivant transformateur.
Déjà, fœtus, je sens, je ressens, j’entends, je goûte ...
Puis, le passage de la matrice à l’extérieur engendre d’autres transformations,
d’autres actions : une autre respiration, puis tous les gestes innés du bébé se
mettent en place mois après mois : sur le dos, sur le ventre, sur le côté …
Ramper, s’asseoir, se mettre debout, puis quelques pas … Je
suis corps vivant, mis en forme, en geste par la Vie.
Cette gestuelle parlera à tous les participants aux
retraites du Centre Dürckheim !
Que ce soit dans la vie intra-utérine, dès les premiers
instants, « Cela » se transforme sans arrêt, puis ensuite, bébé, « Cela » agit,
prend forme ; forme voulue par la vie, forme portée par des actions vitales.
Dans la tradition zen, le maitre de tir à l’arc dira : « Ne tirez pas, laissez
cela tirer ! »
« Hara – centrés » (bassin et ventre), c’est comme cela que
nous avons débuté notre existence, emportés par l’énergie vitale, le Tao -
l’ordre des choses - tel le petit animal (étymologiquement, un être doué de
vie) que nous sommes, sensoriellement ouverts à tout.
Cette inconscience vitale, faite de force et de
vulnérabilité, de dépendance en même temps que d’innocence, de simplicité et
d’abandon, est « ce don originel fait à l’homme », source de notre existence
terrestre.
« Inconscience vitale » qui fascine et fait trembler les
adultes que nous sommes devenus. Mais peut-on parler d’inconscience chez
l’enfant ?
« L’enfant ne sait pas qu’il vit, il vit ! ».
Adultes, nous redoutons cette inconscience car nous sommes
tombés dans une autre forme de conscience, propre à l’être humain : la
conscience objectivante, rationnelle et explicative, avec ce besoin effréné de
comprendre et de maitriser notre existence à tout prix.
Nous devenons des êtres pensants, « égo-centrés »,
c'est-à-dire centrés dans notre tête, et non plus dans le centre vital du
bassin, du ventre.
Peu à peu, « je pense donc je suis » remplace et occulte «
je respire donc je suis ».
Cette forme de conscience ne peut plus accepter, ou alors
très difficilement, cet état d’abandon face à l’incompréhensible, l’inattendu
ou le renouveau de la vie.
Mais, adultes, (et c’est notre chance !) nous restons aussi
fascinés par cet état d’innocence et d’abandon propre à l’enfance, nostalgiques
de cet état que nous avons déjà vécu.
Etant adultes, devenus des êtres de raison, nous avons à
redécouvrir, « consciemment cette fois » ce que finalement nous connaissons
depuis toujours : l’appartenance à cette conscience vitale, pré-mentale, source
de toute vie. Il ne s’agit pas de renier l’intelligence propre à l’humain et
ses capacités extraordinaires, mais de retourner vers une forme de conscience
plus ouverte, plus large, plus inclusive : une conscience corporelle, sensitive
qui nous relie à l’intelligence vitale.
« Remplaçant les forces naturelles inconscientes constituant
sa base par les forces de son esprit rationnalisant et sa volonté, l’être
humain devient un moi conscient de lui-même et autonome ; mais, ce faisant, il
oublie d’où il vient ». K.G. Dürckheim.
Toutes ces actions qui nous portent et nous transforment depuis nos premiers instants sont encore là aujourd’hui, pour chacun d’entre nous, quel que soit notre âge, notre activité et notre intelligence rationnelle. Le soulagement évoqué après une retraite dans le témoignage ci-dessous nous rappelle que cette première conscience océanique n’est jamais perdue mais seulement oubliée, mise de côté.
« Après ce séjour, le soulagement est certainement ce qui
m’a le plus saisie.
En sortie d’études, avec des années passées à fonctionner
avec la tête et le raisonnement, assujettie aux injonctions personnelles de
toujours faire plus et mieux, l’anxiété a commencé à faire son nid, mettant en
sourdine les moments de sensibilité et de connexion avec moi-même et le monde
qui m’entoure. “Pas le temps de prendre le temps”, “Pas le temps de s’arrêter
un instant”, “Pas le temps d’observer, de ne rien faire”… Toujours faire plus,
aller plus loin, plus vite et refaire mieux.
Alors je suis émue et soulagée par ce rappel que l’essentiel
n’est pas là, tout au contraire. Émue et soulagée d’avoir perçu que cette
connexion à l’essentiel est belle et bien réelle, qu’elle est toujours là. Émue
et soulagée car il y a en effet une manière d’être, ou de se laisser être, révélatrice
de sens et qui donne à vivre des moments vrais, sensibles et apaisants. »
Une manière d’être, hors de cette habitude de tout aborder
par la pensée, que l’exercice, sur la voie du Zen, nous révèle. Nous sommes
déjà, encore, toujours, ce que nous cherchons.
Joël Paul
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