samedi 8 août 2020

Expérience derrière les voiles

 Ce voilage qui couvrait les baies vitrées. Dans les années qui ont suivi, je suis venu souvent à Bayonne voir Marraine, parfois sans mes frères. J’y ai vécu la seule expérience mystique de ma vie - sans doute le mot n’est-il pas approprié, mais je n’en vois pas d’autre.

J'avais seize, dix-sept ans. Je m’installais dans la pièce qui avait été la chambre d’Annie, dans un fauteuil recouvert de satin vert d’eau, dont les larges oreillettes donnaient à celui qui s’y installait l’impression d’être coupé du monde. Et je restais là, des heures durant, à fixer le voilage frappé par le soleil, qui ne laissait rien distinguer de l’extérieur : une surface pâle et mouvante, étincelante, indécise. J’éprouvais alors la certitude puissante d’être au plus près d'une vérité sans âge. 

Jamais je ne me suis senti aussi vivant, jamais je n’ai approché d’aussi près le mystère de ma présence au monde. Cela peut paraître emphatique, j’en ai conscience, pourtant ces heures font partie des plus intenses et des plus limpides de mon existence. Je ne les ai jamais oubliées. J’y ai toujours repensé comme si elles étaient le moment d’un contact avec l’exacte vérité, l’aventure unique et définitive.

Jean-Marie Laclavetine
Une amie de la famille (chez Gallimard)


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