"Ne dites jamais rien à personne sauf si la personne vous le demande et vous le demande de bonne foi …" Swami Prajnanpad
Un des défis et non des moindres posé par l’exercice du LDI (lien à durée indéterminée) en tant qu’instructeur consiste précisément à entendre ce que la personne demande et demande de bonne foi, au delà de ce qu’elle parait demander ou demande explicitement.
Pas facile …
D’abord, ne pas confondre sincérité et bonne foi.
Tout le monde, sauf rare exception, est sincère, la question n’est pas là.
Si la sincérité suffisait à authentiquement pratiquer la voie, cela se saurait et surtout se verrait …
Ainsi, certains demandent sincèrement et pourtant, sans en être conscient, ne veulent surtout pas que l’on accède à leur demande. Ou ils ne se rendent pas du tout compte de ce qu’ils demandent et de ce que cela implique, ce qui revient au même. Il s’agit donc de ne pas juste les prendre au mot en se fiant à leur bonne mine.
Dans mes débuts en tant que transmetteur de la voie (heureusement dans un contexte d’ensemble où j’étais encadré par des enseignants bien plus aguerris et mûrs que moi) je considérais que quasiment toute personne venue séjourner en ce lieu où nous officions était animée d’une demande du même ordre que celle qui m’avait moi même tout jeune encore conduit à frapper à la porte du Bost (le premier ashram d’Arnaud Desjardins).
C’est peu dire que ma naïveté était abyssale. Cela donna lieu en son temps à plus d’un malentendu et autres échanges qui tournaient vite au vinaigre, sachant que si l’ego se délecte à prétendre, notamment spirituellement, il ne redoute rien tant qu’une intervention propre à exposer sa prétention … A moins que derrière la prétention il y ait une demande de bonne foi, ce qui est loin d’être toujours le cas.
Mes « interventions » pouvaient donc souvent s’avérer dans les faits inappropriées même si le « diagnostic » posé était presque toujours juste.
J’ai mis longtemps à émerger de cette naiveté qui participait aussi, au final, d’une manière de prétention chez moi. Qui étais je, qui suis je pour dire à quelqu’un ce qu’il ne veut surtout pas entendre - même s’il le prétend- montrer à quelqu’un ce qu’il ne veut surtout pas voir ?
Aujourd’hui, et d’autant plus dans le contexte serré et continu du LDI, je veille à faire très attention, me montre souvent très précautionneux. Je m’efforce de capter le contexte intérieur de la personne et aussi le contexte extérieur, le moment, les circonstances. Ce qui peut être abordé à un moment donné ne pourra pas l’être utilement à un autre moment. Bref, je fais mon possible pour être à l’écoute de la demande réelle, la demande de bonne foi.
Reste que, souvent, l’exercice du LDI consiste quand même à dire à quelqu’un, même si la demande de bonne foi est là, ce qu’il ou elle paradoxalement redoute qu’on lui dise…
Ne pas confondre non plus la bonne foi avec l’absence de résistance comme je le sais fort bien d’après ma propre expérience en tant qu’élève, moi qui par moments ait considérablement résisté tout en demeurant autant que je puisse l’appréhender toujours de bonne foi.
D’où le côté ingrat de la chose qui peut parfois amener à se poser la question : pourquoi diable s’échiner à dire à quelqu’un ce qu’il ou elle ne veut pas . ( L’Evangile : « quand tu étais jeune , tu mettais toi même ta ceinture et tu allais où tu voulais ; quand tu seras vieux (c’est à dire plus mûr) un autre te mettra ta ceinture et te mènera là où tu ne voudras pas »)
Pourquoi se donner tant de mal à mener quelqu’un là où il ne veut pas, où plutôt si la demande de bonne foi est bien là, là où son être essentiel veut aller mais où sa personnalité de surface ne veut pas aller et de ce fait freine des quatre fers ?
C’est fatiguant, exigeant, parfois pénible humainement, cela mobilise une énergie considérable et des trésors d’habileté…
Il arrive que me vienne la pensée fugace : « mais qu’est ce que je suis en train de faire ? Pourquoi est ce que je me fourre dans ce guêpier ? Pourquoi est ce que je fais tout pour qu’une personne se mette à m’en vouloir et commence à me regarder d’un œil nettement moins ravi ? Pourquoi est ce que je chante pas pour mon souper comme on dit en anglais (sing for your supper), pourquoi est ce que je n’anime pas des séminaires où je prêcherais le dharma de manière générale à un auditoire enchanté de mon éloquence ? Ce serait même sans doute encore mieux si je disais à chacun qu’il ou elle est déjà « éveillé » , qu’il n’y a rien à faire , rien à chercher et que nous sommes tous au top, comme c’est cool, merci de bien laisser votre donation ou participation en chèque ou espèces … »
Et, en vérité, je sais parfaitement pourquoi et au nom de quoi, de qui, au service de quoi je persiste dans l’exercice du LDI. Et j’en suis parfaitement heureux. Alors …
Gilles Farcet
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