"Voilà ce qu’il avait compris, pour peu qu’il ait compris quoi que ce fût : cette effrayante énergie appelée vie se damnait et se rachetait à chaque instant.
Elle se damnait par l’oubli, par l’indifférence, par l’inhumanité ordinaire, par la sécheresse instituée en condition courante, par l’absence de perspective de l’esprit et du cœur lovés sur leur plus petit dénominateur commun, le moi rabougri, la personne atrophiée parce que réduite à la personnalité, l’identité embryonnaire...
Et elle se rachetait par l’attention, par le moi non plus étanche mais transparent au point de voir au travers de ses propres parois.
Elle se rachetait par le plus insignifiant des actes de bonté, le plus anodin des gestes généreux, le plus inaperçu des sourires.
Il y avait ce sens-là et il n’y en avait pas d’autre : cette existence était un raz-de-marée de souffrances qui toutes se brisaient contre le mur invisible et à chaque instant remonté de la compassion active.
Voilà ce qu’il avait compris : perte et rédemption, damnation et rachat, étaient la diastole et systole de la circulation de cette vie, elles en régissaient le cœur dans sa marche immémoriale.
Le monde s’abîmait à chaque instant dans l’abomination et, à chaque instant, il appartenait à tout être conscient de le sauver, et de le sauver d’un rien, sans se prendre pour un sauveur et surtout pas se revendiquer comme tel.
L’être conscient avait vocation de fonctionnaire du salut : en poste pour opérer de moment en moment des sauvetages de rien du tout.
Car tous les sauvetages n’étaient de rien du tout, y compris ceux que d’aucuns voyaient, louaient, célébraient, autant que tous ceux qui n’étaient vus de personne. Tous les sauvetages étaient goutte d’eau dans l’océan de la souffrance ininterrompue, et pourtant ... Chacun de ces sauvetages rachetait l’ensemble, dans l’instant comme pour toujours.
C’était à n’y rien comprendre et il n’y comprenait rien. Mais il le vivait, il respirait de cela."
Gilles Farcet, 𝐿𝑎 𝑟𝑒́𝑎𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑒𝑠𝑡 𝑢𝑛 𝑐𝑜𝑛𝑐𝑒𝑝𝑡 𝑎̀ 𝑔𝑒́𝑜𝑚𝑒́𝑡𝑟𝑖𝑒 𝑣𝑎𝑟𝑖𝑎𝑏𝑙𝑒. Ed. L'Originel 2022.
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2 commentaires:
Merci Eric pour ce texte magnifique qui insuffle de la conscience dans nos vies parfois déroutées par les difficultés. S'inspirer de cette conscience d'une respiration à alimenter "de sourires", par "l'attention", par "la bonté"...
Merci à toi !
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