jeudi 28 décembre 2017

Il vient avec la lumière...




Il est venu et il vient encore. Chaque fois qu'une nuit viendra. Ce n'est pas qu'il dédaigne le jour. Mais il n'aime pas tout ce bruit. Les lumières tapageuses dont nous l'affublons. Alors il appelle la nuit. D'un souffle retenu la nuit qui vient, doucement s'approche. La nuit immense et froide avec ses myriades de petits fanions qui ne sont pas là pour éblouir mais pour éclairer les lointains. Là-haut, le grand mystère qu'on ne sait plus entendre, dans nos cœurs aux étoiles peintes ou découpées d'argent.
On croit que ça fait un monde, toutes ces lueurs trépidantes d'images si minces sous la membrane illusoire des écrans. Elles ne scintillent pas comme les vraies étoiles, de tout l'espace qui les entoure et les soulève de son haleine vaste. Les silences y font leur nid. L'éternité a lâché des essaims qui butinent les astres pour le miel d'un ciel plus loin. Quelque chose se prépare. La nuit couve la terre blottie sous son aile. Peut-être de ses milliers d'yeux va-t-elle s'ouvrir et sourire.
C'est aujourd'hui la plus longue, la plus noire et la plus claire, de cette joie étrange qui vient d'en haut et dilate le cœur qui la reçoit. Elle ne fait pas de bruit, et pourtant c'est comme une clameur d'un bout à l'autre du firmament, un chant, une musique étourdissante, toutes les notes de cristal jouées ensemble, d'un seul accord qui se prolonge indéfiniment et agrandit le temps au-dessus des toits. Seul celui qui ne dort que d'un œil, le berger qui reconnaît son troupeau là-haut, entendra et se laissera guider par une si petite flamme traversant l'espace.
De si loin il vient. Tant de voix pressantes l'invitent à entrer sans manières. Des rires distraits le flattent sans quitter leur place, lui offrant pour gîte les plis et replis de lourds rideaux chatoyants. Il ne les entend pas. Il regarde par-dessus les velours, il semble chercher un lieu qu'il ne reconnaît pas. Tout est prêt pourtant. Au cœur de l'attente sera-t-il toujours l'inattendu ? Voici qu'il referme les armoires. Il ne veut pas même entrer dans ces demeures dont les bras ne s'ouvrent que pour en admirer le riche cérémonial.
Alors il demande s'il ne nous reste pas un peu de paille au fond de nos logis, un petit coin de pauvreté comme nous savons si bien les cacher. Oui, les fétus, les vétilles, rassemblés et liés en une botte sommaire. Ce qu'il y a de moche fera bien l'affaire, à même la terre une litière de nos misères. C'est là qu'il aimerait s'arrêter. Non point qu'il se plaise à la dure, mais il aime la vérité et la nôtre ne peut se montrer qu'ainsi. Alors il s'arrête. La vérité nue enfin chez elle. Rien pour la distraire. Rien pour en fausser l'éclat.
Il a rendu son bâton. À genoux sur le sol bosselé, de son vieux manteau de bure sombre comme la nuit des chemins où il ne fait pas bon courir à cette heure, il délivre la pierre d'une jeune étoile, cueillie très haut sur l'arbre immémorial, toute fraîche, et la dépose sur un linge en la laissant rouler de ses doigts très longs, très fins, comme la queue des comètes qui passent et
disparaissent.
On ne le voit plus déjà, son ombre parmi les ombres. Demeure ce joyau de lumière qui brille puissamment, une si petite flamme et pourtant une lueur immense, comme si tout l'univers était là et se recueillait auprès de cet unique rayon. On a laissé les lampes allumées, les écrans tressautants. Et de toutes les autres maisons on accourt. On se presse sans se gêner. On s'agenouille, on contemple. On ne dit plus rien. La nuit est venue. Et la lumière fut.
Philippe Mac Leod est écrivain et a publié plusieurs livres et recueils de poésie. Auteur de Habiter les mots, et de Variations sur le silence chez Ad Solem.

source : La Vie

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