En 1938, au Japon depuis quelques mois, Graf Durckheim entre dans le monde du zen en pratiquant la méditation de pleine attention (zazen) et l’art du tir à l’arc (Kyudo).
Son maître, Umeji Roshi, lui pose la question : « Alors, Graf Durckheim, quand pratiquez-vous ? »
Graf Durckheim répond, non sans une certaine fierté : « Cher Maître, je pratique chaque matin une demi-heure ».
Le visage du maître exprime un désappointement qui étonne le docteur en philosophie : « Vous pratiquez une demi-heure chaque jour ! Alors vous n’avez encore rien compris à ce qu’on appelle le zen. Il faut pratiquer toute la journée ! ».
En me racontant cette anecdote Graf Durckheim ajoute : « Il est clair que si je lui avait dit : - Je pratique toute la journée -, il m’aurait aussitôt répondu que, dans ce cas, je donnais la preuve que je n’avais encore rien compris, parce qu’il faut pratiquer une demi-heure chaque jour ! »
Cette anecdote attire notre attention sur la relation entre l’exercice de la méditation (une demi-heure chaque jour !) et l’exercice de l’attitude méditative dans le quotidien (toute la journée !).
L’objectif de nos actions dans la vie quotidienne concerne notre relation au monde extérieur. Ces actions sont le plus souvent effectuées sans attention particulière à notre manière d’être, à notre attitude.
La pratique méditative dans le quotidien, sans laquelle la méditation de pleine attention exercée chaque matin n’a pas de sens, exige que nous devenions conscient de notre manière d’être - en tant que corps (Leib) - en faisant cette action. Parce que si l’action engagée a à faire avec ma vie dans le monde extérieur, ma manière d’être - en tant que corps (Leib) - a à faire avec ma vie intérieure, mon vécu intérieur.
Par exemple : chaque matin, pour rejoindre ma voiture à l’endroit où elle est parquée, il me faut marcher une centaine de mètres. Ces cent pas sont perdus si je ne donne à cette action que le but de prendre ma voiture. Par contre, ces cent pas peuvent être l’occasion de me mettre en ordre intérieurement. Comment ? En répondant aux intentions de l’être qui, chaque fois que nous marchons, à chaque pas, nous invite à exercer cette action dans la tenue corporelle juste, la forme corporelle juste et le rythme juste.
Voilà de quoi exaspérer toute personne qui s’appuie, dans sa quête d’un mieux-être intérieur, sur les produits de l’activité mentale (Mind). L’homme identifié à l’idée : « Je crois que je suis ce que je pense que je suis », ne peut pas se fondre dans cette part de lui-même, sa propre essence, qui est le domaine du calme, de la confiance, de la paix intérieure. Ces qualités d’être ont leur source dans le corps vivant (Leib).
« Le corps vivant (Leib) n’est, sur le plan de la personne, ni un organisme physique détachable du sujet ni un instrument fonctionnant plus ou moins bien au service du moi profane. Il est l’unité d’attitudes et de gestes à travers lesquels l’homme prend forme et, en tant que telle, se réalise ou ... se manque. » (K.G.Durckheim)
Jacques Castermane
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