Comment s’engager dans l’humanitaire. Les Conseils de Paul Grossrieder.
1. Entrer dans le monde de l’autre : Comme tous les humanitaires, ma première mission est celle qui m’a le plus marqué. Vous quittez un monde pour entrer dans un autre. En 1984, moins d’un an après ma sortie des ordres, j’ai plongé dans la guerre Iran-Irak, avec les Pendus de Bagdad, de Gérard de Villiers, comme (excellente) documentation. Dans les camps de prisonniers iraniens à Mossoul, j’ai rendu visite aux bassidjis, les volontaires du régime islamique : des gamins de 12, 13 ans… J’ai découvert l’hostilité viscérale entre Arabes et Perses. La motivation de départ se heurte à la réalité de la situation. Vous vous retrouvez face à l’autre, et vous n’avez pas le choix. Je me suis occupé de ces captifs avec un œil critique, sans naïveté.
2. Passion et professionnalisme
Aux jeunes délégués du CICR, je conseillais : « Passion and profession. » La valeur de l’humanitaire, c’est un mélange de motivation et de réalisme. Il ne faut pas confondre les discours : le délégué ne peut se brouiller avec les autorités d’un pays, sinon il ne peut plus rien faire. J’étais très contre le droit d’ingérence, théorisé par Bernard Kouchner, qui justifiait des interventions militaires au nom de l’humanitaire. À l’usage, l’histoire m’a donné raison. Si vous êtes trop pris par l’émotion, ça diminue votre lucidité et vous travaillez moins bien.
3. Ne pas devenir cynique
Le cynisme est le plus grand risque pour un humanitaire, mais il n’avance à rien. Il faut se battre. Je répétais aux délégués : « Si vous n’arrivez à sauver qu’une vie, à ne protéger qu’un seul prisonnier, vous avez gagné. » L’homme n’est pas qu’un loup pour l’homme, je l’ai vu avec Maree Worthington, infirmière australienne de 20 ans, prise en otage au Soudan en 1996, qui a tenu bon sans haine pour ses geôliers. Je l’ai vu avec Nelson Mandela : j’étais convaincu que les leaders noirs feraient couler le sang à la chute de l’apartheid. Il n’en fut rien. Il faut garder les yeux ouverts sur les perles d’humanité, et capitaliser là-dessus.
Source : la Vie
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