Nouvelles Clés : Votre dernier chapitre insiste d’ailleurs assez radicalement sur ce point.
Arnaud Desjardins : Oui. Beaucoup de personnes qui sont attirées par ce que l’on met sous le vocable « spirituel », et par les différentes formes de psychothérapies à visée spirituelle, ne se contentent pas de soigner tel ou tel symptôme pathologique précis : elles veulent aussi atteindre en elles-mêmes un espace plus vaste. Mais elles ne se donnent pas les moyens de l’atteindre. Il y a là un grand malentendu, car elles continuent à ramener les expériences nouvelles à l’intérieur du système et du cadre ancien délimités par leur égocentrisme.
Il faut donc trouver une
pratique qui ne puisse pas être récupérée par l’ego, et celle-ci
consiste à s’incliner intérieurement, à reconnaître que ce qui est.
Toujours agir à partir de ce qui est et non pas à partir de ce qui,
selon moi, devrait être.
Or nous fonctionnons sans cesse suivant
le mode du « c’est pas juste, il ou elle aurait dû faire ou dire ceci ou
cela, tel fait aurait dû se passer autrement, etc. » Mais le
lâcher-prise face à ce mode erroné de fonctionnement n’exclut en aucun
cas l’action : celle-ci émane simplement d’une tout autre source.
Ce n’est plus le moi qui veut, c’est la situation qui demande une réponse opportune.
Nouvelles Clés : Vous dites : « Le monde ne correspondra jamais avec votre monde » et concluez sur une double formule très forte que je résume : la psychothérapie guérit l’ego et le mental, la voie guérit de l’ego et du mental.
Arnaud Desjardins : Imaginez le nombre d’amis que je me fais parmi les psy en disant cela ! (rires – Arnaud Desjardins va alors à sa bibliothèque et y prend un livre). Dans Les Dialogues de St Grégoire le Grand, sur la vie et les miracles du Bienheureux St Benoît, qui fut le fondateur des bénédictins et des cisterciens, il est dit ceci : « Chaque fois qu’une préoccupation trop vive nous entraîne hors de nous, nous restons bien nous-mêmes, et pourtant nous ne sommes plus avec nous-mêmes : nous nous perdons de vue et nous nous répandons dans les choses extérieures. » Un texte que ne renierait pas un maître soufi, zen ou hindou !
Faut-il vivre toujours les
choses de façon égotique sur fond de vouloir, de refus et de crispation,
et faire empirer les choses, ou vivre et agir sur fond de confiance et
d’abandon ? Toute la question est là.
Nouvelles Clés : Vous-même êtes passé par là puisque vous racontez qu’après seize ans de pratiques spirituelles, de succès médiatiques et professionnels, lorsque vous rencontrez Swâmi Prajnânpad, il vous fait parler de vos expériences diverses et vous dit ensuite : « It is a status of a slave », c’est un statut d’esclave.
Arnaud Desjardins : Oui, il m’a montré qu’après toutes ces années de travail avec les groupes Gurdjieff, de lectures, de rencontres avec une sainte comme Ma Ananda Mayi, ou avec des maîtres soufis en Afghanistan, des maîtres tibétains ou zen, de grands yogis… j’étais toujours ce petit personnage prêt à s’enflammer, à réagir, à refuser, à râler, à vouloir que les choses se passent comme je le voulais et non comme elles étaient. Je restais en effet esclave de l’ego et de ses limites. Je correspondais toujours à cette autre définition de Swâmiji : « L’homme est une marionnette dont les aléas de l’existence tirent les fils… »
Nouvelles Clés : Une dernière définition sur le lâcher-prise ?
Arnaud Desjardins : Ne ramez plus, ne nagez plus, faites la planche ! (Rire homérique). Je blague : disons qu’il faut à la fois être dans l’action et dans la non-action. C’est un concept mal compris. La formule des bouddhistes est très connue : « Ni refus ni appropriation » de ce qui se présente. Ni rejet ni saisie.
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