S’il reste dans notre vie une zone importante qui n’a pas été examinée, il est beaucoup plus difficile de s’abandonner au Divin. Nous voulons tous réaliser l’aspect lumineux de la nature humaine, mais personne ne veut voir la partie d’ombre.
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Parce qu’ils représentent la dimension transformatrice du psychisme, nous avons besoin, pour devenir des êtres humains à part entière, que les mondes obscurs se marient aux mondes supérieurs. Etre entier, c’est être complet. D’un point de vue holistique, la vie n’est pas parfaite, mais en revanche, elle est complète. L’expérience humaine n’est pas un registre de voix ou un climat unique, une saveur neutre et homogène, elle inclut tout l’éventail des possibles.
Comme une symphonie précisément orchestrée, la vie est une polyphonie complexe qui comprend de nombreuses mélodies et atmosphères aussi bien harmonieuses que dissonantes.
Sans l’expérience complémentaire et équilibrante des mondes obscurs, les mondes lumineux nous entrainent dans l’illusion, la dilatation de l’ego et la grandiloquence. Dans notre culture occidentale, nous avons tendance à nous sentir plus à l’aise dans ces mondes-là. Le travail du shaman contemporain va donc consister en grande partie à se focaliser sur la rédemption et la conquête des mondes obscurs.
Les mondes obscurs sont le domaine d’expression des esprits et des pouvoirs psychiques, de l’extase, de la révélation, du chaos créatif, de la passion, des énergies sexuelles, de la guérison et de la transformation. Chargé des pouvoirs de vie et de mort, c’est un domaine formateur où se retrouvent les schémas originels des semences de la Création, ce que Gregory Bateson appelle « les schémas qui connectent ». C’est là que sont nos racines, qu’est l’unité primordiale de toute chose. C’est ce pouvoir guérisseur fondamental des mondes obscurs que nous avons besoin de reconquérir.
Les mondes obscurs sont le lieu où résident ces fragments de nous-mêmes qui sont niés, réprimés, éclatés et constituent ce que Carl Jung appelle « l’ombre ». Jung était convaincu que cette ombre possède un pouvoir et une vie propres. Autrement dit, si nous ne reconnaissons pas ces parties de nous-mêmes en toute conscience, elles agissent de leur propre chef à partir d’une source inconsciente -souvent dans le but de déstabiliser notre attention, toujours dans celui de l’accaparer. Pour utiliser le langage des shamans, ces fragments, qu’on appelle des « alliés », des « esprits » ou des « démons », ont le pouvoir de guérir ou de tuer et peuvent s’emparer de l’âme.
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Nous avons perdu notre connexion avec les pouvoirs de guérison et les passions du domaine des mondes obscurs. Pour l’Occident, ces mondes équivalent à l’enfer, à l’abîme de feu du Diable. On peut traduire ce phénomène en termes psychologiques, à savoir que les mondes obscurs contiennent toutes les énergies refoulées de l’humanité, ainsi qu’un potentiel inconnu de croissance chez l’être humain.
Ces énergies refoulées comprennent la sexualité, l’extase, le chaos de la créativité, la naissance, la mort, d’autres aspects de la vie aussi et plus particulièrement la dimension féminine, laquelle fut dénaturée par une culture répressive et une vision du monde religieuse dans son sens restrictif. Il n’est pas étonnant que la peur de l’enfer pousse les intégristes chrétiens à condamner et à refouler le rock et d’autres formes artistiques, en particulier le théâtre, qui ne cessent de nous rappeler l’existence des mondes obscurs, nous y transportent même.
Parce que la peur et le refoulement des forces de l’ombre sont profondément ancrés dans notre culture, leur irruption dans le monde du milieu, le monde de la vie quotidienne, peut s’avérer désagréable. Au pire, elle est choquante : violence, vengeance, viol, torture, meurtre, génocide, guerre, ce sont là quelques démons hideux qui appartiennent aux mondes obscurs. Et puis il y a ces expressions habituelles que nous acceptons comme faisant tout simplement partie de la vie de tous les jours : la culpabilité, la honte maladive, les abus sexuels, la colère, le vice, l’avidité, le sadisme, le perfectionnisme, le racisme, la misogynie, l’autoritarisme, la tyrannie, les dépendances multiples, etc…
Parce que nous nions ou réprimons les mondes obscurs, ils font partie de notre univers inconscient. L’inconscient humain peut être comparé à une cocotte-minute. Quand le couvercle est très serré trop longtemps et que la vapeur ne peut s’échapper, la cocotte vous explose à la figure. Mais si vous laissez la soupape se dégager naturellement et progressivement, alors la pression diminue et vous pouvez enlever le couvercle facilement. A ce moment-là seulement, vous avez la possibilité de remuer ce qu’il y a à l’intérieur, de l’assaisonner et de le manger.
C’est à ce type de nourriture pour l’âme que Socrate fait référence lorsqu’il dit : « connais-toi toi-même ». Il faut reconnaitre et intégrer chaque partie de soi et rester ouvert à toutes les possibilités humaines. Le refoulement et le rejet de la vie génèrent les cruautés et les maladies de l’humanité. C’est ce principe psychologique fondamental que l’on retrouve dans les évangiles apocryphes (gnostiques) :
Si tu fais naitre ce qui est en toi, / Ce que tu fais naitre te sauvera. / Si tu ne fais pas naitre ce quoi est en toi, / Ce que tu ne fais pas naitre te détruira.
Evangile de Thomas, 14.29-33
Nous pouvons nier la part d’ombre en nous (et la vie en général) autant que nous le voulons, mais elles ne disparaitront pas pour autant. Plus nous réprimons et nions les pouvoirs des mondes obscurs, plus ils deviennent « infernaux » et « malveillants ». En termes psychologiques, ces mondes sont peuplés de puissantes énergies vitales réprimées et dénaturées, qui se retrouvent tordues, malades et coupées de notre conscience…
Des véritables profondeurs de l’ombre naissent les révélations et la guérison. C’est en y descendant que l’on découvre ses propres potentiels de guérison. On peut alors réintégrer ces aspects à la totalité. Par un processus de démembrement et de mort psychique, une porte s’ouvre sur la vacuité des mondes souterrains. [S’ensuit une union avec la forme originelle.]
Les voyages dans ces dimensions ne sont utiles que si l'on a la capacité de rapporter ce que l'on a appris dans le monde relatif. Le monde relatif c'est la vie quotidienne, ce dont l'ego a conscience, la réalité physique ordinaire de la terre... l'activité concrète, le progrès, le fait d'apprendre, d'agir, de construire. Pour la plupart des gens ce monde est coupé, inconscient de sa connexion à la réalité non ordinaire (même si la vie intérieure, la vie intime finit toujours par faire irruption dans le monde ordinaire, malgré tous nos efforts pour la nier). Le monde relatif n'a pas grande signification sans cette connexion avec les mythes. Sans la riche expérience intérieure des mondes inférieurs et supérieurs, nous sommes inconscients, somnambules, de simples machines. Nous nous transformons en robots, ignorants du mystère sous-jacent à tout ce qui nous entoure.
Le cœur éternel de la voie (tome V) - Lee Lozowick
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