Mais alors, qu’avait il compris? - si tant était qu’il eût compris quelque chose à cet improbable merdier communément appelé la vie …
Une chose et une seule, quand tout était dit.
Une chose et une seule comme un axe autour duquel tout le reste gravitait.
Cette vie était un mystère et le noyau de ce mystère était amour.
Plus exactement , articulation de l’amour, conjugaison de l’amour, déclinaison de l’amour , amour non pas absorbé en lui même mais en mouvement, autrement dit compassion.
Avec toute sa violence, son insondable cruauté, sa beauté à tomber face contre terre à tout moment, sa fulgurante merveille, son horreur dévorante, avec tous ses opposés qui dansaient dans le vide en se tenant par la main, la vie était compassion.
Elle n’avait pas de sens, aucun, hormis celui là : l’acte immédiat de compassion qui, si insignifiant soit il à l’échelle de la ré-a-li-té, suffisait à tout racheter.
Voilà ce qu’il avait compris, pour peu qu’il ait compris quoi que ce fut : cette effrayante énergie appelée vie se damnait et se rachetait à chaque instant.
Elle se damnait par l’oubli, par l’indifférence, par l’inhumanité ordinaire, par la sécheresse instituée en condition courante, par l’absence de perspective de l’esprit et du cœur lovés sur leur plus petit dénominateur commun, le moi rabougri, la personne atrophiée parce que réduite à la personnalité, l’identité embryonnaire…
Et elle se rachetait par l’attention, par le moi non plus étanche mais transparent au point de voir au travers de ses propres parois.
Elle se rachetait par le plus insignifiant des actes de bonté, le plus anodin des gestes généreux, le plus inaperçu des sourires.
Il y avait ce sens là et il n’y en avait pas d’autre : cette existence était un raz de marée de souffrances qui toutes se brisaient contre le mur invisible et à chaque instant remonté de la compassion active.
Voilà ce qu’il avait compris : perte et rédemption, damnation et rachat, étaient la diastole et systole de la circulation de cette vie, elles en régissaient le cœur dans sa marche immémoriale.
Le monde s’abîmait à chaque instant dans l’abomination et, à chaque instant, il appartenait à tout être conscient de le sauver, et de le sauver d’un rien, sans se prendre pour un sauveur et surtout pas se revendiquer comme tel.
L’être conscient avait vocation de fonctionnaire du salut : en poste pour opérer de moment en moment des sauvetages de rien du tout.
Car tous les sauvetages étaient de rien du tout, y compris ceux que d’aucuns voyaient, louaient, célébraient, autant que tous ceux qui n’étaient vus de personne. Tous les sauvetages étaient goutte d’eau dans l’océan de la souffrance ininterrompue, et pourtant … Chacun de ces sauvetages rachetait l’ensemble, dans l’instant comme pour toujours.
C’était à n’y rien comprendre et il n’y comprenait rien. Mais il le vivait, il respirait de cela.
Gilles Farcet
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3 commentaires:
Gilles Farcet a l'art de trouver les mots justes, simples, et ça fait un bien fou, précisément en ces temps troublés.
Merci de ce vivifiant partage.
Merci Eric, merci Gilles...Oui, à moi aussi, cela a fait un bien fou ce texte qui tombait pile-poils sur ce que j'expérimentais ce jour là, dans mon ermitage !
Et en même temps , j' ai lu un passage de ''PARADIS PERDUS '' de Eric-Emmanuel SCHMITT...qui complétait ma mise en pratique laborieuse en recherche d'outils efficaces ! ! ! JE VAIS LES APPRENDRE PAR COEUR pour qu'il résonne en moi au plus profond et au plus merveilleux de ce que je peux percevoir de la Vie....Sans perdre une bonne dose d'humour!
Le passage de '' Paradis perdu '' est page 200-201: Entre autre '' Quand tu aimes, tu ne cesses jamais d''aimer. L'amour se transforme, il ne part pas...''
Grâce à vous trois, mon cœur ploie sous une brassée de fleurs printannières
Gratitude de recevoir autant, à pleine brassée aussi. Nicole de S Zach.
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