Lorsque j'avais 20 ans, je faisais du théâtre. Dans un récital de poésie, j'ai prêté un jour ma voix à un poète mexicain anonyme et j'ai déclamé : « Nous allons cesser d'être, nous ne sommes venus que pour nous rencontrer. » Ces mots n'ont jamais quitté mes lèvres. Ils sont devenus pour moi comme une devise. M'apprenant à m'ouvrir aux rencontres, à accueillir toute personne, connue ou inconnue, rencontrée dans la rue, sur les marchés, dans les trains et les bus, à honorer nos échanges de regards et de paroles. Oui, nous allons cesser d'être, et il ne tient qu'à nous de faire de nos rencontres des rencontres vraies et essentielles, des rencontres dans l'être. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu.
La présentation de Jésus au Temple (Luc 2, 22-38) relate précisément une de ces rencontres essentielles. Entre un vieil homme qui sait qu'il va mourir et un tout jeune enfant qui vient de naître. Cet enfant, d'autres l'avaient vu avant Siméon : Marie, sa mère, qui l'avait porté et avait accouché de lui, Joseph, qui deviendra son père nourricier, mais aussi les bergers et les Mages. Les bergers étaient retournés à leurs troupeaux, et les Mages à leurs royaumes, mais Siméon, lui, n'avait ni troupeau ni royaume vers lesquels retourner. Après une vie de patience et de fidélité à l'Esprit, il ne lui restait plus qu'à « s'éloigner en paix ». Est-ce la raison pour laquelle il a su, en serviteur, voir et prédire ?
Charlotte Jousseaume par Isabelle Serro |
Oui, pourquoi Siméon a-t-il su dans l'invisible ce que Marie et Joseph, visiblement, ne savaient pas encore, les laissant tous deux dans « l'étonnement » de sa prophétie ? Pourquoi y a-t-il dans nos vies des rencontres essentielles qui nous ouvrent les yeux, nous rendent clairvoyants sur la vie, nous enseignent les uns sur les autres ? Des rencontres essentielles qui nous donnent de faire la vérité en nous et de nous parler en vérité ? Ces questions en appellent d'autres : pourquoi y a-t-il aussi dans nos vies tant de fausses rencontres ? Pourquoi nous cachons-nous derrière des personnages, plutôt que d'offrir nos personnes ? Pourquoi rendons-nous trop souvent à César ce qui appartient à Dieu ?
En présentant Jésus au Temple, Marie et Joseph ont sacrifié « deux colombes ».Siméon, lui aussi, a-t-il sacrifié quelque chose de lui-même pour rencontrer en vérité ce nouveau-né et sa mère ? Pour voir et prédire qu'« afin que se révèlent les pensées intimes de bien des coeurs », ce tout jeune enfant deviendra « un signe en butte à la contradiction » et que l'âme de sa mère sera transpercée d'une épée ? Siméon s'était détaché de la vie en tout cas, il avait largué les amarres, accepté de mourir et de s'éloigner en paix. Il a pu ouvrir son coeur à une vérité que Marie mettra toute sa vie à accueillir et à méditer dans son coeur. Dans sa sagesse, il a rendu d'emblée à Dieu ce qui est à Dieu.
Nos rencontres, qui sont parfois vraies, parfois fausses, révèlent, elles aussi, les « pensées intimes » de nos coeurs. L'enfance, l'adolescence et la vieillesse sont des âges où nous nous situons moins dans l'avoir ou le non-avoir, mais bien plus souvent dans l'être. Des âges propices à des rencontres essentielles. Mais l'âge adulte double la vie personnelle d'une vie professionnelle, qui prend trop souvent à Dieu pour donner à César. Plutôt que de nous présenter au Temple et d'accepter le mystère de cette vie mortelle, nous préférons jouer la comédie.
À deux reprises dans ma vie, la mort d'une personne a fait que j'ai rencontré en vérité une seconde personne que je n'aurais jamais rencontrée si la première n'avait pas disparu. Est-ce, à chaque fois, cette mort entre nous qui a éclairé notre rencontre d'une lumière, d'une vie et d'un amour éternels ? Qui l'a rendue essentielle ? Oui, « nous allons cesser d'être, nous ne sommes venus que pour nous rencontrer ». Alors rencontrons-nous en vérité en Dieu.
source : La Vie
***
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire