dimanche 2 juillet 2023

Le prénom ouvre un avenir

 


Chers voyageurs, bienvenue dans notre TGV en direction de Lyon. Je suis Armelle, votre cheffe de bord, et avec moi Christophe, et Lionel, notre conducteur. Nous vous souhaitons un bon voyage. Un agent d’entretien passera parmi vous pour votre confort… » Mais l’agent d’entretien, quel est son nom ?

Lors du contrôle de mon titre de transport, je fais remarquer à Armelle qu’elle n’a rien dit de lui, qu’elle ne l’a pas nommé, et que cela ne me semble pas très juste. Elle s’en excuse poliment, en me disant qu’elle ne sait pas… Quelques longues minutes plus tard, elle annonce au micro que Fatou passera parmi nous, et elle nous prie de lui faire bon accueil. Un peu après, Fatou traverse le train, gilet jaune, sac-poubelle à la main. J’ai entendu quelqu’un lui dire : « Vous avez un joli prénom, Fatou. » Il faut avoir été présenté par son nom à quelqu’un d’autre pour exister.

Lazare de Béthanie

Cette anecdote me plonge dans l’Évangile de Jean (Jean 11, 1-44). On y raconte que Lazare de Béthanie, frère de Marthe et de Marie, ne va pas bien. Les deux sœurs envoient dire à Jésus : « Celui que tu aimes est malade. » Mais on ne prononce pas son nom. Jésus se rend donc à la maison. La situation se dégrade. Marthe vient à sa rencontre en lui disant : « Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Sans rien dire de son nom. Un peu après, Marie est avertie de l’arrivée de Jésus. Elle aussi, sans nommer le prénom du défunt, répète mot pour mot la parole de sa grande sœur.

Chez les « de Béthanie », on dirait qu’on ne se nomme pas. Et ce n’est pas la première fois ! Dans un autre passage de l’Évangile (Luc 10, 38-42), on raconte que Marie est assise près de Jésus tandis que Marthe se démène en cuisine. Marthe ne dit pas à sa sœur : « Marie, viens me ­donner un coup de main… »

Mais elle s’adresse à Jésus en lui disant : « Cela ne te fait rien que ma sœur… ? » Ici encore, on ne se nomme pas. Il y a comme un problème dans cette famille ! Je me risque : et si Lazare, finalement, était « mort » de ne pas avoir été nommé ? C’est une autre lecture possible, moins merveilleuse, plus symbolique, mais tellement plus existentielle !

Le prénom signe une histoire

Il faut avoir entendu sur soi un prénom pour vraiment vivre. Tous les psychanalystes s’accordent à le dire. Il paraît que dans certains pays d’Afrique, on prononce à l’oreille de l’enfant qui vient de naître : « Ton nom est X. » Le prénom de quelqu’un n’est pas une étiquette de différenciation.

Il signe une histoire, il inscrit dans un peuple, une famille, un passé. Il ouvre un avenir. Il dit qu’on n’est pas seul. Il dit aussi qu’on n’est pas tout. Le prénom devient un « préambule », le début d’une relation, même brève, avec un autre. Nommer quelqu’un par son prénom le relie à d’autres vivants. Risquer de dire son ­prénom à quelqu’un, s’intéresser au sien, connaître et se laisser connaître rend, certes, vulnérable : mais c’est sans doute la marque la plus fine de l’humanité.

L’été est là. Il est souvent l’occasion de multiples rencontres, pour le travail ou les loisirs. C’est le temps où l’un remplace l’autre, où des visages nouveaux se présentent… Demander son prénom à quelqu’un que l’on rencontre n’est pas une indiscrétion et l’appeler par celui-ci n’est pas plus familier que de l’appeler « Monsieur, Madame, ou Monseigneur »…

Si le respect de l’autre en toute chose est nécessaire, ce n’est certainement pas dans le fait de le nommer par sa fonction ou son état de vie que les choses se jouent. Il ne tient qu’à nous que les passants de notre été demeurent « serveur de restaurant », « maître-nageur », « agent d’entretien », « prêtre d’Afrique », « intérimaire », « remplaçant du docteur »… ou qu’ils deviennent, le temps d’une rencontre, ne serait-elle que brève, Laurent, ­Christelle, Mehdi, Pierre ou Fatou… Il n’y a pas de petites rencontres. Il est temps de sortir de nos anonymats.

Raphaël Buyse est prêtre du diocèse de Lille. Il est l’auteur d’Autrement, Dieu et d’Autrement, l’Évangile (Bayard) et d’Il n’y a que les fous pour être sages (Salvator). Il vient de publier avec Chantal Lavoillotte Visitation(s), vivre la rencontre à l’hôpital (Salvator).

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1 commentaire:

Suzanne a dit…

S'entendre appeler par son prénom rend tout de suite plus vivant !
Merci, Eric, pour le partage de ce beau texte.