lundi 1 novembre 2021

L’invisible, un mystère qui rend plus humain


Dans son dernier livre intitulé "Vivre avec l'invisible", la psychothérapeute et écrivaine française Marie de Hennezel explore le lien qu'entretient chaque être humain avec l'invisible. Une relation intime, essentielle, et si naturelle qu'elle en devient oubliée, délaissée ou trop taboue.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican 

Le lien humain avec l’invisible est naturel, secret, spontané, parfois poétique. Il peut prendre des formes variées: intuitions, rêves prémonitoires, synchronicités, dialogue avec un ange gardien ou présence protectrice d’un saint, d’une personne disparue... Les chemins vers la prescience d'un ailleurs, d'une possible proximité avec l'au-delà, sont innombrables. Une démarche d’humilité et de mystère qui «rend plus humain», et fait parler le cœur.

En s'appuyant sur de nombreux témoignages et sa propre réflexion de psychanalyste, Marie de Hennezel dévoile l'universalité du lien entretenu avec l'invisible dans son dernier essai "Vivre avec l'invisible", paru le 30 septembre 2021 chez Robert Laffont.


Qu’est-ce qui vous a inspiré pour vouloir explorer ce lien avec l’invisible dans un livre?

Une conversation avec Stéphane Hessel avant sa mort. Il citait cette phrase du poète allemand Rainer Maria Rilke: «Nous sommes encadrés d’invisible». Stéphane Hessel n’étant pas quelqu’un de religieux, cela m’avait particulièrement intrigué. J’ai donc commencé à écouter mes patients, à prendre des notes au fil des années, et le confinement est arrivé. Des personnes très seules m’ont alors dit s’être souvenues de la mort d’un proche, s’être adressées à un saint ou à un ange. Une relation qui les a aidées à tenir le coup. Je me suis dit qu’il était temps d’écrire un livre, dont le seul objectif est de montrer que le lien à l’invisible est quasi-universel. Un livre sur le lien, non sur l’invisible, que je serais bien incapable de définir au-delà de «ce que l’on ne voit pas». Les gens mettent des choses différentes derrière ce mot «d’invisible», mais c’est une expérience naturelle. On en parle peu car elle relève de l’intime et du secret, mais aussi car l’on redoute d’être pris pour un fou ou de ne pas être cru. L’irrationnel n’a tellement pas sa place dans notre monde.

Qu’est-ce que le monde gagnerait à «reconscientiser» ce lien avec l’invisible, à renouer avec ce fond mystique en chacun?

De l’humilité, car tout ne repose pas sur ce que nous voyons, touchons et pouvons expliquer. Aussi le mystère de la transcendance, qui semble effectivement être rentré dans la grande intimité de chacun. On n’ose plus en parler. C’est dans les moments de désarroi, détresse et grande vulnérabilité que l’on fait appel à un invisible –anges, saints, personnes disparues. On se rend compte alors d’une forme d’efficacité, c’est-à-dire que l’aide arrive. Cela m’a beaucoup frappée que les gens me disent: «Quand je demande de l’aide, elle arrive». Une sorte de lien qui se perpétue au-delà du visible.

Ce n’est pas seulement extérieur. Il y a tout le champ qui relève aussi de l’intériorité: l’intuition, la petite voix intérieure, les rêves. Des personnes sentent en elles qu’il y a un guide, une force. Les écrivains disent prendre la plume et que leurs personnages les emmène on ne sait pas toujours où. Les gens décrivent des expériences où «autre chose intervient». Quelqu’un me disait qu’au fond, je proposais un cadre spirituel qui dépasse les religions. Des personnes sans religion particulière sentent bien qu’il y a «autre chose». Nous pouvons y gagner à redevenir plus humains, admettre qu’on ne peut pas tout contrôler ou compter seulement sur ses propres forces.

Vous dites que les enfants et les personnes âgées ont un accès privilégié aux réalités invisibles. Que faut-il à un esprit qui a perdu ce lien pour le lui faire retrouver ?

Je ne sais pas s’il y a quelque chose à faire, car la vie s’en charge. Dans l’épreuve, les gens se tournent vers un invisible, un grand-père, une grand-mère, une figure protectrice. Notre monde est si rationnel, que peut-être faudrait-il oser ne serait-ce qu’en parler plus. Comme la mort et la vieillesse, c’est un sujet tabou. Des sujets dont on n’aime pas parler, car ils nous renvoient à cette part de l’humain qui ne maîtrise pas les choses, au mystère, et aux questions sans réponses.

Y-a-t-il un écueil à trop vouloir chercher l’invisible, je pense à l’occultisme par exemple?

Oui il y a un vrai écueil. Cela n’a pas d’intérêt. Des gens m’ont donné des témoignages montrant qu’il s’agit là d’une piste dangereuse. L’invisible est là, autour de nous. On peut faire appel à l’invisible quand l’on en ressent le besoin, mais pas le rechercher, vouloir le maîtriser, le contrôler. Il existe un certain danger aussi pour tous ceux qui essaient «d’expliquer» l’invisible. C’est une piste que je n’ai pas voulu prendre; à mon sens, elle ne mène nulle part. Le lien avec l’invisible arrive spontanément, naturellement. On ne le contrôle pas. C’est un cri du cœur qui jaillit dans des moments de questionnements, de désarroi, comme un signe qui vient nous rappeler que nous ne sommes pas seuls. Le lien avec l’invisible ne peut pas venir du mental, mais du cœur.

Il est intéressant à ce propos d’écouter les personnes aveugles, qui vivent dans l’invisible; ce qu’elles disent de la perception de l’autre à travers la voix, la présence. Ce sont des facultés qu’ont aussi les voyants mais qu’ils négligent. La joie des aveugles aussi, m’a beaucoup frappée, car au fond, eux, sont «nécessairement» à l’intérieur d’eux-mêmes. Une intériorité très riche.

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