Dans un livre foisonnant d’histoires, Jacqueline Kelen s’intéresse à ces chien, biche, ours, fourmi, loup, corbeau… qui nourrissent avec l’être humain un lien spirituel ! Entretien avec l’auteure, lauréate du Prix de la liberté intérieure 2020 pour son Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien (Cerf).
Compagnons de sainteté,
de Jacqueline Kelen,
Le Cerf, 151 p. 18 €
Des récits de toutes les religions montrent saints et des mystiques vivre en bonne intelligence avec les animaux. Que nous révèlent-ils ?
Ils nous enseignent que la relation avec un animal n’est pas seulement affective, mais aussi spirituelle. À la fin du VIe siècle, saint Colomban vit en ermite dans la forêt en paix avec des loups, un ours, et des buffles. Bien sûr, ces animaux, dits féroces, représentent des passions à dompter et à apaiser comme l’ambition, le pouvoir, l’avidité, ce qui nous pousse à agresser autrui, à vouloir le dominer et l’exploiter. Mais ces histoires nous rappellent également l’état édénique de la Genèse. Elles nous invitent à retrouver notre bonté première faite de respect. Je suis frappée par l’arrogance de l’être humain, qui pense être le seul à mériter d’être sauvé. Les sages de toutes les religions montrent que la miséricorde de Dieu s’étend sur toute créature. Au IXe siècle, en Iran, Bayazid revient du pèlerinage à la Kaaba avec des graines à planter chez lui. Une fois arrivé, il s’aperçoit que des fourmis se sont faufilées parmi ces graines. Il refait alors le voyage inverse pour rapporter les fourmis chez elles ! On trouve cette même idée chez les juifs hassidim qu’il y a un ordre, une harmonie voulue par Dieu dans la création.
Pour ces sages, cela ne passe-t-il pas d’abord par une forme d’ascèse ?
Leur relation avec autrui, quel que soit cet autrui, est un cœur à cœur. Il est donc en effet question de se dégager de ses passions encombrantes et de son égocentrisme. La relation aux animaux pose la question de la profondeur du cœur de chacun. J’aime beaucoup cette histoire du Malien Tierno Bokar, un maître soufi mort en 1940. Tandis qu’il enseigne ses élèves, un grand coup de vent dérange un nid. Un hirondeau tombe sur le sol. Les élèves ne bronchent pas. Tierno Bokar arrête de parler, répare le nid et replace le petit d’hirondelle dedans. Il donne alors une leçon de charité percutante à ses élèves : que veut dire écouter un enseignement si votre cœur est sec et fermé à ce point ? Secourir cette créature de Dieu était plus important pour lui que vouloir acquérir un savoir, fût-il spirituel.
On peut donc exercer la charité envers un animal ?
On parle beaucoup de la compassion du bouddhisme envers toutes les créatures. Dans le christianisme aussi, aucune existence n’est insignifiante. « Notre prochain, ce n’est pas seulement l’homme. Notre prochain, c’est toute la création », écrivait Albert Schweitzer. Au Gabon, dans le dispensaire de Lambaréné où il vivait avec sa femme, ce médecin pasteur accueillait non seulement les habitants du lieu mais aussi les animaux blessés qu’il soignait. La fraternité s’étend bien au-delà de l’espèce humaine. C’est le sens du cantique de saint François.
Vous invitez à parler le langage de la création. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Les mystiques ressentent profondément que tout a été créé par Dieu et tout doit retourner à Dieu. Dans le christianisme, cette dimension cosmique a été peu à peu oubliée voire suspectée parce que l’on pensait que c’était du panthéisme. Or, il faut faire une distinction entre l’animisme, où schématiquement l’on considère l’arbre comme une divinité, et le christianisme où Dieu peut aussi manifester une parcelle de sa beauté et de sa bonté à travers un arbre ou un animal. Dans notre société qui se passe de transcendance divine, je pense que nous sommes dans une forme d’idolâtrie de la terre mère, Gaïa. Il s’agit de sauvegarder la planète comme si c’était le but ultime de l’existence humaine. Nous avons à protéger notre maison commune. Mais il n’est pas en notre pouvoir de sauver la Terre. Le but d’une existence chrétienne, c’est de transfigurer le monde et de faire retour à Dieu. Les sages de toutes les religions ont vécu de telle sorte que le monde soit peu à peu empli de la connaissance et de la beauté de Dieu.
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