L comme Lumière
« La chair de l'abbatiale de Conques est brune. Elle est faite de pierres, de dalles aux reflets d'humidité, avec des piliers gris argenté. L'âme de l'abbatiale, celle qui joue sans cesse à travers ses vitraux, celle qui va et vient entre dehors et dedans, celle dont la peau est faite de verre, est bleue, ocre, couleur d'écume. Elle passe par tous les états émotifs de la Création : c'est une fête. Il y a un coin de France où la lumière donne des concerts presque privés, c'est à travers les vitraux de l'abbatiale de Conques. L'endroit est presque caché, et elle peut jouer sans crainte, sans être empêchée. Toute la journée, la lumière s'amuse à prier, à oublier de prier, à avoir le rose qui monte à ses joues timides. Et le matin, elle a une adorable petite couleur de lait. Elle traverse tous les âges. Et dans tous les âges, elle est d'une jeunesse absolue. Je parle ici d'une lumière matérielle. Et je suis incapable de la dissocier d'une lumière spirituelle : c'est la même. Nous qui sommes si dévorés par les chiffres et les abstractions, nous sommes et nous serons toujours en vérité des gens très simples, reliés à des éléments basiques tels que la nuit et le jour, la mort et la vie, les ténèbres et la lumière. Nous aimons raffiner, nous aimons compliquer, mais le socle de l'humain est aussi simple qu'une abbatiale, faite de pierre, de verre et de lumière. »
Il existe une matière qui, tout en étant précieuse, est surabondante. C'est le pur silence du lecteur penché sur son livre, ou la petite respiration à peine perceptible du nouveau-né qui dort.
N comme Naïveté
« Naïveté et naissance ont une racine étymologique commune. J'appelle naïve la force de voir que la méchanceté n'est pas le fond de l'âme du méchant. La naïveté est cette force qui ne considère rien comme ennemi, même ses ennemis. C'est une sorte de candeur qui défait les ténèbres, en ouvrant un chemin fluorescent. Rien n'est plus naïf qu'une anémone, ou qu'une petite violette aristocratique dans un sous-bois. Rien de plus naïf aussi qu'une lettre d'amour qu'on laisse échapper de soi pour aller vers l'autre et dont on ne sait pas ce qu'il en fera. Le point le plus présent de la vie, le plus vivant, est nécessairement naïf parce qu'il ne se protège plus de rien ni de personne, et parce qu'il ose exister dans une nudité métaphysique parfaite, encombrée de rien, pas même de religion. Pourquoi ne pas dire que la naïveté, c'est la plus grande sagesse, et donc le plus grand savoir. »
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