Dans l’Église comme dans la société, l’idée d’un partenariat avec les plus pauvres, pour rompre avec le modèle charitable, est en train de gagner du terrain. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Qu’il faille passer de la charité à une autre dynamique du don, cela me paraît absolument évident. Le registre traditionnel de la charité correspond à une vision asymétrique du don, très verticale. Il y a un don premier de Dieu, l’inconditionnalité absolue, un don tellement énorme que personne ne peut l’égaler. Cette idée d’asymétrie du don premier crée à mon sens la position hiérarchique de l’Église, avec une série de dons descendants. C’est un don qui peut sauver celui qui le reçoit dans le registre du besoin, mais cela l’annihile dans le registre du désir. Or de plus en plus d’auteurs, de philosophes ou de sociologues se rejoignent sur la thèse suivante : l’essentiel du désir humain, c’est d’être reconnu. Nous ne cherchons pas seulement à satisfaire nos besoins, nous voulons être reconnus. D’ailleurs, être donateur, c’est vouloir – souvent inconsciemment – être reconnu comme étant capable de donner quelque chose.
Pour vous, le don ne serait-il qu’un échange ?
Les organisations qui fonctionnent bien, qu’il s’agisse des entreprises, des associations, des administrations ou des équipes sportives, sont celles qui savent respecter la dynamique des quatre temps du don et du contre-don : « demander-donner-recevoir-rendre ». Alors que celles qui dysfonctionnent basculent dans le cycle opposé du « ignorer-prendre-refuser-garder ». Le bon dirigeant ou le bon animateur sait reconnaître dans le cycle du don et dans ceux qui s’y adonnent la véritable source de l’efficience. Celle qui réengendre jour après jour le cercle vertueux de la coopération et du travail pris à cœur. Le mauvais manager, en quête d’une efficacité ou d’une rentabilité qu’il espère chaque jour plus grande, finit par tuer la poule aux œufs d’or et enferme tout le monde dans le cercle vicieux du découragement et du chacun pour soi. Ce processus vaut aussi pour la vie quotidienne, dans nos relations sociales, amicales ou familiales. Là comme partout, il peut y avoir un cercle vertueux, symbolique (qui unit), ou un cercle diabolique (qui divise). Le cercle symbolique, c’est celui de la coopération : chacun est capable d’adresser une demande de soutien, mais aussi de donner et de recevoir.
Comment bien équilibrer ce que vous appelez les quatre temps du don et du contre-don ?
L’important, c’est de savoir effectuer chacune de ces quatre opérations au bon moment et de la bonne manière. Ne pas être trop demandeur par exemple. Dans une association, si quelqu’un passe son temps à demander de l’aide, ça ne marchera pas. Ça déséquilibre tout. Idem si quelqu’un se présente comme donateur universel, veut tout faire tout seul, être celui qui donne… Une association, c’est fondamentalement la mise en commun de donateurs, donc il peut y avoir une lutte pour le don. C’est à celui qui donnera le plus ou le mieux. « C’est moi qui suis le plus généreux, le plus utile, le plus efficace, qui a le plus l’esprit du don. » Et là, danger. Car si quelqu’un veut trop donner, il déséquilibre le collectif...
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