« Au cœur de la joie véritable, on rencontre tout naturellement l'immensité. » Cette phrase d'un vieux maître japonais lue hier soir résonne encore dans ma tête aujourd'hui, sans doute inspirée par le paysage qui s'étend devant moi, horizon infini semé de monts arrondis, de bois de pins et de fougères violettes, ombré de feuillages d'automne.
Là-dessus, un ciel pâle traversé de nuages balayés par le vent, frais et transparent, qui galope en se jouant de toutes les limites, maisons, éboulis, forêts et vallées et semble désireux de réveiller le monde.
Chercher l'immensité
Quand j'étais adolescente, la vie adulte me semblait un enfermement : je voyais les personnes qui m'entouraient figées dans des rôles qu'elles ne quitteraient plus et je me promettais de refuser d'entrer à mon tour dans ce théâtre. Je me débattis d'abord, avant de comprendre que c'était à moi de chercher mon espace. Je courus les déserts, étourdie de tant de ciel, puis je m'affrontai aux montagnes, émerveillée de tant de puissance.
L'immensité : oui, en cet instant suspendu au creux d'une dune, au vif d'un rocher, au plus près des nuages. Un instant où l'on est tout, où l'on n'est rien, un instant où le coeur se dilate à contenir un monde, où l'âme grandit à contenir une vie. Un instant d'apaisement, de silence.
Mais il faut redescendre, revenir dans l'autre réalité, celle du quotidien, confortable souvent, lourde parfois, et l'immensité se dilue en mille petites et grandes tâches, pour se rappeler à nous un peu plus tard au creux d'une présence, au vif d'un sourire.
Le silence se fait
Un jour, ce silence se fit appel, promesse. Je me rendis compte que j'avais laissé des murs s'élever autour de moi, d'abord murs protecteurs, murs abris, mais qui peu à peu s'étaient transformés, devenant murs de séparation, murs coupures : difficile pour le soleil de pénétrer dans cette citadelle, difficile de contempler le ciel. C'est lui qui commença à éroder les pierres de mes murs.
Pas le silence de l'isolement, de la tristesse, pas le noir de l'amertume. Mais le silence qui ouvre une place au plus profond de nous-même, cet espace que l'on cherche parfois avec un sentiment d'urgence, ou de désespoir même, parce qu'on veut croire que forcément il y a autre chose, forcément il y a plus, forcément la vie ne s'arrête pas là.
La première fois que ce silence s'ouvrit - oh, brièvement -, ce fut une découverte : une autre immensité, immobile et, comment dire, pleine. Qui aussitôt se déroba, me laissant comme au seuil d'une porte des merveilles, là où auparavant je croyais qu'il n'y avait aucune ouverture, mais juste du gris à peine traversé de quelques gouttes de lumière.
La joie véritable
Le silence s'apprivoise lorsque nous n'en avons plus peur, et l'esprit s'éprend de la lumière retrouvée. S'ils ne s'écroulent pas tous, du moins les murs reculent : il est plus facile de respirer, de bouger, quelques pas de danse au gré d'une brise légère... Et ce silence profond devient prière, et ce silence lumineux devient la source de la joie... Cela ne chamboule pas toute notre vie, il y a toujours de bons jours et des jours moroses, ou franchement tristes, et pourtant rien n'est plus comme avant : la vie s'est agrandie, nous pouvons accueillir les émotions, nous n'avons plus peur de la peur.
La joie véritable, qui ne dépend pas de l'extérieur et même pas de nous, nous a ouvert un chemin qui nous ramène vers nous-même, et vers tous les autres, les proches et les lointains ; et nous comprenons que l'immensité est juste là, au cœur de notre cœur.
Nonne bouddhiste, elle anime la Demeure sans limites, temple zen et lieu de retraite à Saint-Agrève, en Ardèche.
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