Psychologies : Le manque de confiance en soi que nous sommes nombreux à ressentir est-il seulement lié au contexte incertain dans lequel nous vivons ? :
Au risque de paraître radicale, selon moi, le « manque de confiance en soi » n’existe pas. Lorsque nous croyons manquer de confiance en nous, ce qui manque, en réalité, c’est la confiance en l’autre. Et c’est d’abord le résultat de notre histoire personnelle, même si, effectivement, aujourd’hui, la défiance règne, les relations se déshumanisent, les solidarités sont attaquées. Le sentiment de ne pas être assez performant, pas assez affirmé, pas assez séduisant - pas à la hauteur - est la conséquence de premiers liens insécurisants dans l’enfance. Les impératifs angoissants, les « il faut », les « je dois » face auxquels nous nous sentons défaillants sont les héritiers de toutes les injonctions morales, parentales que nous avons intériorisées et qui composent le surmoi (notre loi intérieure). L’enfant que nous étions a été entamé dans ses capacités par ces peurs que l’autre, l’adulte, a fait peser sur lui. Dans certaines situations, pour être aimé, il n’avait d’autre choix que de se comporter comme on le lui prescrivait. Au point, parfois, de perdre sa propre boussole, le sentiment de son être, le sens de son véritable désir.
En quoi cette sensation de ne pas être à la hauteur, que nous interprétons comme un manque de confiance en soi, nous détourne-t-elle de notre puissance?
A.D. : Bien souvent, elle nous sert d’excuse commode. Nous lui attribuons nos rendez-vous ratés avec la vie - les examens auxquels nous échouons, les réalisations inachevées, les projets sans cesse reportés au lendemain. En réalité, c’est notre névrose qui nous pousse à répéter, à rencontrer toujours les mêmes obstacles, les mêmes déceptions, les mêmes impasses, dans le but de nous garder dans le monde connu, de faire en sorte que rien, jamais, ne change. Evidemment, nous n’en avons pas conscience, nous croyons prendre de grands risques. Nous passons d’un travail à l’autre, d’un compagnon à l’autre, mais c’est toujours la même équation inconsciente qui agit. Cette répétition est motivée par le désir de réparer le passé, mais il s’agit également d’une forme de loyauté à la mère ou au père de notre enfance, ce premier autre que nous voulons protéger, légitimer, même lorsqu’il nous a été néfaste. Retrouver sa puissance supposerait de sortir de cette emprise, d’oser désobéir à cet autre intériorisé.
Comment retrouver notre puissance manquante?
A.D. : Agir audacieusement, prendre des risques et des décisions définitives nous donnerait momentanément une sensation de force et de puissance. Mais ce ne serait qu’une fuite en avant, une manière de faire le jeu d’un surmoi sévère ne tolérant aucune faiblesse. La priorité serait d’abord de marquer un temps d’arrêt : ne rien faire, résister à l’impulsion de juger, de vouloir. Les sagesses orientales savent à quel point ce « non-agir » est agissant.
Ce temps de suspension nous révèle à nous-mêmes, nous informe à la manière d’un rêve. Il s’agit juste de laisser « infuser ». Cela donne naissance à un espace intérieur apaisant grâce auquel nous entrons dans une relation de bienveillance envers nous-mêmes et envers le monde.
Un espace de douceur dans lequel nous pouvons accepter de ne pas savoir, de ne pas comprendre, d’être vulnérables, rassemblant ainsi toutes les facettes de notre être, y compris celles que nous réprouvons, dont nous croyons devoir nous détourner. En tentant d’en faire nos alliées, nous récupérons une marge de manœuvre. Au bout d’un moment, des chemins insoupçonnés se dessinent, qui nous remettent sur la voie de la puissance.
Pour se sentir véritablement puissant, ne faut-il pas malgré tout, à un moment, être dans l’action?
A.D. : Certainement. Cependant, avant de pouvoir agir en toute conscience, nous devons nous affranchir des logiques névrotiques : en cessant de considérer que « la vraie vie commence demain », plus tard, quand nous serons prêts, suffisamment confiants, minces, forts, que sais-je ? Ensuite, nous devons dépasser la logique binaire du « tout ou rien » : être le premier ou rien. La voie de la douceur me paraît ici encore la meilleure stratégie. Commencer à jouer trois notes, sans attendre d’être concertiste. Nul besoin d’avoir confiance en soi pour effectuer ces micropas. C’est ainsi que la puissance intérieure se reconstruit. Un pas après l’autre.
Anne Dufourmantelle est l’auteure, entre autres, de Puissance de la douceur (Payot, 2013).
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