"Le dépouillement a aussi été pour moi une sorte de « gros machin » inatteignable. J’imaginais que pour l’atteindre, il me fallait devenir moine, presque un stakhanoviste du détachement, et envoyer paître tout ce qui relève du matériel. Jusqu’au jour où j’ai pris conscience que le « gros machin » dont je devais me détacher, c’était moi. Le « moi je », le « moi d’abord » ; le rôle que j’essaie tous les jours de jouer, du matin au soir. Sur mon chemin, j’ai alors croisé un ami. Il m’a dit cette phrase qui m’a bouleversé : « Plus de liens, moins de bien. » Il est vrai que jusqu’alors, j’avais tendance à aller chercher dans les librairies, dans les supermarchés, dans les grandes surfaces, un remède aux manques, aux blessures, aux aliénations. Depuis que j’ai entendu cette phrase – « plus de liens, moins de bien » –, j’y ai perçu comme une invitation à faire de l’ordre, à me libérer chaque jour du trop. Ce qui rejoint cette intuition magnifique dans le bouddhisme selon laquelle nous sommes tous la nature de Bouddha. Nous sommes : ce n’est pas de l’ordre de la possession. Ce n’est pas quelque chose que l’on ajoute à ce que l’on est pour être heureux. Nous sommes déjà la nature de Bouddha. Le sale parent, le violeur d’enfants, la personne handicapée. Encore qu’il n’y aucun rapport entre la personne handicapée et les deux autres ! J’y ai décelé une invitation à changer totalement notre regard sur autrui.
Précisément, le dépouillement auquel invite le zen, et par là toute la tradition philosophique du bouddhisme, c’est la voie du détachement. Se débarrasser de toutes les représentations mentales dont on recouvre les choses, les êtres, et nous-mêmes en fin de compte. Nous avons une image de nous et, du matin au soir, nous voulons nous y conformer. Un jour, j’ai décidé qu’Alexandre Jollien serait comme cela, et gare à moi si je ne suis pas à la hauteur. On n’imagine pas l’infinie souffrance qu’engendre une telle fixation. Se dépouiller, c’est se mettre à nu. Je l’ai écrit dans mon dernier livre qui porte le titre explicite du Philosophe nu : le calme est déjà là, en moi, à demeure si je puis dire. Si je le cherche ailleurs, je lui suis infidèle. Être dans le dépouillement, c’est être totalement soi, totalement nu pour laisser éclater cette joie qui est déjà présente en nous, qui nous précède. Nul besoin d’aller la chercher, de la séduire pour qu’elle vienne. Elle est déjà là."
extrait du livre "Petit traité de l'abandon" d'Alexandre Jollien
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2 commentaires:
Je vis un profond paradoxe à la lecture de ce témoignage authentique et puissant sur mon ordi personnel. Je ne parle pas de ce blog - je suis plein de gratitude pour ses auteurs - je parle plus globalement du support numérique.... Manger un poisson pêché par un ami dans un lac juste avant le repas n'est pas du même ordre que manger celui qui sort d'une boite de conserve en métal. Ecouter la voix de l'autre dans le silence, même là, explorer la voie, la mienne, au petit matin....
Merci.
un grand merci pour ces paroles de sagesses lumineuses! belle journée!
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