Arnaud Desjardins a publié, pour l’anniversaire de ses quatre-vingt ans, un ouvrage essentiel, "Bienvenue sur la Voie", où il fait la synthèse des conseils que l’on peut donner à toute personne engagée dans une quête intérieure et spirituelle afin d’éviter pièges et malentendus. Il nous a paru important d’avoir son témoignage sur ce mot-valise : lâcher-prise.
Nouvelles Clés : Il est de bon
ton, dans certains milieux intéressés par le développement personnel, de
cultiver le lâcher-prise. Cette expression, devenue à la mode, est en
fait une formule zen qui signifie qu’il faut savoir cesser d’être le jouet de ce qui nous habite, pensées, émotions, stress, crispations et dénis en tous genres.
Et on peut comprendre que nos contemporains, êtres perturbés vivant
dans une époque qui leur semble difficile, lui trouvent du charme.
Comment donc définiriez-vous ce fameux lâcher-prise et y-a-t-il
différentes façons de l’appréhender ?
Arnaud Desjardins : Le
lâcher-prise est un geste intérieur qui interfère avec notre manière
habituelle de réagir. Certains lâcher-prise nécessitent une grande force
de conviction, d’autres sont plus aisés à opérer. Puis vient un jour où
nous constatons que le fait de lâcher est devenu permanent. On pourrait
même dire que le lâcher-prise est devenu inutile car il n’y a plus de prise, plus d’appropriation de la réalité.
Une détente s’est établie, nous sommes
en contact avec la réalité, instant après instant, sans projections sur
le futur, ce qui nous permet d’accomplir les actions qui nous paraissent
justes et appropriées, dans le relatif. L’action est
toujours relative, d’une part parce qu’elle s’insère dans un ensemble de
chaînes de causes et d’effets que nous ne maîtrisons pas, ou très
partiellement, et d’autre part parce que nous-mêmes avons des capacités
relatives.
Toute action engendre des conséquences, certaines que nous pourrons prévoir, d’autres que nous ne pourrons pas prévoir. La pratique consiste donc aussi dans un lâcher-prise avant l’action.
Un événement se produit, une situation se présente, qui peut être
extérieure à nous ou intérieure (comme un vertige, un mal au ventre, une
angoisse diffuse). L’essentiel, c’est la manière dont chacun se situe
face à ce vécu intime que l’existence produit en lui. Nous avons la
possibilité d’accueillir cette réaction, parce que c’est la vérité de
l’instant, mais sans nous l’approprier. Celui dont j’ai été l’élève,
Swâmi Prajnânpad, disait à ce sujet :
« La plaque photographique prend, le miroir accueille mais ne prend pas. »
Les événements, quels qu’ils soient,
produisent en nous des émotions en tous genres, heureuses ou
malheureuses, plus ou moins intenses. Si nous apprenons peu à peu cette
attitude de lâcher-prise, celle-ci finit par imprégner tout l’existence
et crée en nous une grande détente : l’événement se présente, mais la réaction mécanique ne se produit plus. Les émotions font place à l’équanimité !
Nouvelles Clés : Vous voulez
dire que même la réaction physique ne se fait plus ? Je m’explique : si
l’on a une angoisse, on peut en effet déconnecter son mental de
celle-ci, mais qu’en est-il de la boule au ventre qu’elle a, par
exemple, occasionnée ?
Arnaud Desjardins : À
la place de la réaction habituelle de l’ego, du « ça j’aime ou ça je
n’aime pas », il y a un sentiment qui devient stable d’ouverture du
cœur. Les aspects mentaux, émotionnels et physiologiques
sont interconnectés et, peu à peu, cet effort de lâcher-prise va
contredire la force d’inertie des habitudes qui font que nous sommes
tout le temps en réaction face aux événements. Et petit à petit, nous
allons ainsi vers l’équanimité. Mais il est évident que, pendant
longtemps, l’existence aura encore le pouvoir de produire en nous des
réactions : oh oui ! Et une émotion heureuse, oh non ! Et une émotion
malheureuse, douloureuse, réactions dont nous faisons une affaire
personnelle.
Il faut en fait sans cesse se poser la
question de savoir comment nous nous situons par rapport à ces réactions
physiques, émotionnelles et mentales ? Comment lâchons-nous prise face à
ces moments heureux ou malheureux, quand nous sommes de bonne ou de
mauvaise humeur ? La pratique de ce lâcher-prise met en fait
immédiatement en cause l’égocentrisme. Elle amène un abandon de notre
vouloir personnel et cet abandon produit une détente.
C’est à partir de celle-ci que notre action va à présent s’accomplir, et
non à partir d’une réaction épidermique et mécanique fondée sur nos
anciens schémas de fonctionnement.
C’est la soumission à ce qui est et non à ce qui devrait être,
chère à tous les grands maîtres zen, soufis, hindous ou chrétiens,
c’est le célèbre : « Que Ta volonté soit faite et non la mienne. » À ce
moment-là il n’y a plus la séparation, de dualité, entre moi et la
réalité du moment.
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