Chaque jour, en remontant la rue, je le croise. Toujours debout à la même place, entre un platane et un parcmètre. Le même survêtement délavé, le même pull aux mailles fatiguées, quelle que soit la couleur du ciel. On pourrait croire qu’il guette l’autobus ou qu’il surveille le ballet des voitures. Mais il reste muré dans son silence, le regard lointain, indifférent à l’agitation environnante. Il semble qu’il n’attende plus rien de cette vie, lui qui n’a visiblement ni table où s’accouder, ni toit sous lequel s’étendre. Il a atteint le dépouillement de toute chose, qui est peut-être un état de grande sagesse, peut-être simple hébétude. Il ne cherche même plus à s’activer, à faire mine d’avoir un emploi du temps pour donner le change. Sur cette limite extrême où il marche tel un funambule, on sent le néant proche ; il contemple la vacuité vertigineuse d’une vie réduite aux sensations de l’instant, mais il est possible qu’il ait aussi trouvé là une plénitude de sens.
Dans nos agendas saturés d’activités que nous impose une existence faite de loyer à payer, de réseau social et d’ambitions professionnelles, aucun créneau disponible pour une telle rencontre avec le vide. Et pourtant, quand surgit sur la route l’imprévu d’une maladie, d’un deuil, d’un événement non programmé – heureux ou tragique – tout peut soudain voler en éclat. Malgré le cadre rassurant de nos habitudes, c’est alors comme si plus aucune perspective ne s’ouvrait face à nous. Nous parcourons d’un œil creux la liste des obligations qui composent notre vie, sans y trouver du sens. Nous pourrions aussi bien être cet homme debout au milieu de la chaussée, qui passe sa journée à ne rien attendre.
C’est alors que peut se produire une rencontre avec le Tout-Autre. Dans ce qui nous semble une descente aux enfers intérieure, nous découvrons, au milieu du vide qui nous habite, une Présence. Présence à laquelle le tourbillon de nos activités nous avait rendus aveugles. Présence si humble que rien sinon la solitude forcée où nous nous trouvons permet d’en discerner les contours. Présence si grande et si éclatante qu’elle est de taille à emplir le néant qui menaçait de nous engloutir. À nous de savoir alors dire oui à cette rencontre, d’y voir du sens. Notre vie pourra ainsi reprendre forme, sans doute pas celle que nous programmions, mais qui sera faite d’un abandon confiant à la plénitude de l’instant vécu sous le regard de Dieu, sans souci de l’incertitude de l’avenir.
« Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire » (Luc 17, 10). Voilà quelle peut être la clef de notre attitude face à la vie : accomplir avec sérieux notre tâche, nos obligations sans nous départir de la pensée que rien n’est indispensable, rien sinon ce face-à-face silencieux au plus profond de nous-mêmes. Chef d’entreprise ou sans-abri, garçon de café ou retraité, nous sommes des serviteurs inutiles, que nous soyons fourmis industrieuses ou cigales dépassées par la cadence trépidante de la société qui nous environne. Qu’il demeure seulement en notre cœur la certitude de cette Présence aimante, transcendante, par laquelle tout devient signifiant et qui donne à chaque seconde de vie, même la plus humble et la moins productive, son véritable contour. Nous ne sommes faits ni pour l’affairement excessif, ni pour le renoncement désabusé à toute forme d’activité ; nous sommes faits pour ce dialogue d’amour incessant mené au plus caché de nous-mêmes avec Celui qui constitue la racine de notre être et qui, de serviteurs inutiles, nous transforme en amis intimes de Dieu.
C’est alors que peut se produire une rencontre avec le Tout-Autre. Dans ce qui nous semble une descente aux enfers intérieure, nous découvrons, au milieu du vide qui nous habite, une Présence. Présence à laquelle le tourbillon de nos activités nous avait rendus aveugles. Présence si humble que rien sinon la solitude forcée où nous nous trouvons permet d’en discerner les contours. Présence si grande et si éclatante qu’elle est de taille à emplir le néant qui menaçait de nous engloutir. À nous de savoir alors dire oui à cette rencontre, d’y voir du sens. Notre vie pourra ainsi reprendre forme, sans doute pas celle que nous programmions, mais qui sera faite d’un abandon confiant à la plénitude de l’instant vécu sous le regard de Dieu, sans souci de l’incertitude de l’avenir.
« Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire » (Luc 17, 10). Voilà quelle peut être la clef de notre attitude face à la vie : accomplir avec sérieux notre tâche, nos obligations sans nous départir de la pensée que rien n’est indispensable, rien sinon ce face-à-face silencieux au plus profond de nous-mêmes. Chef d’entreprise ou sans-abri, garçon de café ou retraité, nous sommes des serviteurs inutiles, que nous soyons fourmis industrieuses ou cigales dépassées par la cadence trépidante de la société qui nous environne. Qu’il demeure seulement en notre cœur la certitude de cette Présence aimante, transcendante, par laquelle tout devient signifiant et qui donne à chaque seconde de vie, même la plus humble et la moins productive, son véritable contour. Nous ne sommes faits ni pour l’affairement excessif, ni pour le renoncement désabusé à toute forme d’activité ; nous sommes faits pour ce dialogue d’amour incessant mené au plus caché de nous-mêmes avec Celui qui constitue la racine de notre être et qui, de serviteurs inutiles, nous transforme en amis intimes de Dieu.
Issue d’une lignée de théologiens orthodoxes, Olga Lossky, 32 ans, est écrivaine et éditrice. Elle a rédigé la biographie de la théologienne Élisabeth Behr-Sigel. Ses romans Requiem pour un clou et la Révolution des cierges (Gallimard) ont été traduits en plusieurs langues.
(source : La Vie)
(source : La Vie)
3 commentaires:
J'aime cette idée de serviteur inutile. Merci pour ce bel article écrit avec poésie.
Merci Alexia ! J'ai apprécié cet article et l'ai donc partagé. Je trouve aussi que cette notion de serviteur inutile (seulement dans un certain sens) nous remet à notre place. A bientôt
"...Dans ce qui nous semble une descente aux enfers intérieure, nous découvrons, au milieu du vide qui nous habite, une Présence. Présence à laquelle le tourbillon de nos activités nous avait rendus aveugles. Présence si humble ..."
Oui , c'est dans les moments les plus terribles qu'on a , le plus souvent , la soif et la rencontre de cette Présence .
Puis les épreuves s'éloignent...et on a tendance à oublier ...à être à nouveau emporté par la vie de tous les jours ...
Cet extrait m'a beaucoup remué !
J'achèterai ce livre si je le trouve !
Je vous souhaite de joyeuses fêtes et une année 2013 remplie par l'affection de ceux que vous aimez .
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