L'AMI SPIRITUEL, VRAIMENT ?
En Occident, le terme "ami spirituel" a été utilisé dès les années 70, probablement popularisé par Chögyam Trungpa Rinpoché, pour désigner le ou la maitre spirituel.le.
Si on comprend très bien pourquoi on a voulu utiliser cette terminologie plutôt que celle, classique et traditionnelle, de maître spirituel, celle-ci participe à entretenir une certaine confusion sur la relation très particulière que constitue la relation maître-disciple.
Revenons à la définition même d'amitié : « affection entre deux personnes en dehors des liens du sang ou de l'attrait des sexes ». Rajoutons spirituel à ce lien.
On obtient une définition extraordinairement partielle de la relation maître disciple, qui "cache", selon moi, l'essence même de la transmission, qui est symboliquement générationnelle, et comporte donc obligatoirement une notion de verticalité, et donc, ô horreur aux yeux de la modernité, une notion de hiérarchisation.
Toutes les personnes en charge d'une forme de transmission spirituelle le savent bien : la principale résistance à la transmission prend la forme du "oui, MAIS". À tel point que tant que ce "oui, mais" est préférentiellement à l'œuvre dans la relation qu'entretient un ou une disciple avec son ou sa maître, on peut dire qu'il n'y a ni disciple, et par conséquent, ni maître.
Or ce "oui, mais" provient d'une vision horizontale de la relation, dans laquelle, au fond, tout est discutable et sujet à débat. Cette horizontalité est renforcée par le terme "ami spirituel", car très peu de personnes sont capables de comprendre que cette amitié est entière sur un plan ultime, mais pas complètement sur un plan relatif. Dans un tel cas, la dénomination "ami spirituel" est exactement ce qu'on appelle grammaticalement un "faux-ami" dans l'art de traduire.
Loin de moi l'idée de dire qu'une amitié n'est pas possible entre maître et disciple, sur un plan relatif aussi, c'est même peut-être la forme la plus aboutie d' amitié qui puisse exister, la plus complexe aussi.
Mais il est aussi très clair que cette terminologie ne définit pas l'essence de cette relation, et pour ma part, et dans la lignée que je représente, je prends désormais la peine d'être extrêmement précis à ce sujet. Parce que sinon, on ment inconsciemment sur la marchandise (peut-être par omission) et le ou la disciple ne peut pas prendre une décision éclairée avant de s'engager.
Dans notre lignée, nous avons donc prévu un sas d'entrée, une sorte de prise de refuge taoïste, qui ne nécessite pas d'accepter le ou la maître en tant que tel, et qui permet de bénéficier de certains enseignements spécifiques tout en continuant à "tester" le ou la maître, autant que nécessaire (dans un temps raisonnable quand même). L'idée est qu'au moment de s'engager réellement, le ou la future disciple soit au clair avec le contrat tacite qui liera les deux partis et avec le mandat remis au maître.
En chinois le problème ne se pose pas et tout est très clair :
Maître = 师父= Shifu = Enseignant-père= étymologiquement celui qui ouvre la marche en tenant le bâton et défend celles et ceux qui le ou la suivent. Il ou elle est devant, tout.e seul.e. En cas de danger, on l'écoute et on lui fait confiance. En cas d'indécision, on le suit, parce qu'il ou elle a le meilleur point de vue du groupe.
Disciple = 徒弟= Tudi = personne de la nouvelle génération, frère ou sœur cadette, en train de marcher, avec une coupe vide (et encore en prison : la sienne, soumis aux voiles de l'illusion pourrait on ajouter).
Le génie de l'idéographie chinoise c'est qu'en permettant plusieurs angles possibles de déchiffrage, elle décrit très bien la dimension verticale, hiérarchique et générationnelle de la transmission, sans nier non plus la beauté horizontale mais complexe de l'amitié présente entre maître et disciple.
Revenons à l'image archaïque de cette personne avançant devant avec son bâton et guidant une personne ou un groupe : elle ramène à l'incroyable beauté naturelle des choses qui veut que celui ou celle qui est devant se sacrifiera si nécessaire pour la survie des suivants. Qui un jour feront pareil pour les suivants. N'est-ce pas ce que ferait tout père ou mère pour ses enfants ?
Cette formidable solidarité archaïque hiérarchisée est le propre de tout ce qui est vivant, et de l'amour désintéressé qui traverse toute la création. Car oui, il y a un amour immense au sein même de cette hiérarchie.
Alors réfléchissons à deux fois avant de vouloir tout horizontaliser, par peur de faire peur (sic), et de balayer certaines notions simplement parce qu'on ne comprend plus, ou mal, le vrai sens des hiérarchies. Par contre, il faut en accepter le côté complexe et dansant.
Je reparlerai de cette danse dans un futur article.
D'ici là, observons, dehors et dedans !
Bonne pratique
Fabrice Jordan
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