Graf Dürckheim, évoquant sa relation avec Kenran Umeji Roshi (son maître zen et maître de Kyudo), nous fait part d’un épisode de son séjour au Japon (1937-1947) qui devrait attirer l’attention de toute personne pratiquant un exercice qui a ses racines en Orient ou en Extrême Orient :
Umeji Roshi — « Alors Dürckheim, quand faites-vous votre exercice ? »
Graf Dürckheim — « Cher maître, je pratique une demi-heure chaque matin. »
Umeji Roshi — « Dans ce cas, vous n’avez encore rien compris; un homme en chemin vers sa vraie nature pratique toute la journée. »
Et Graf Dürckheim ajoute : « Si à cette question j’avais répondu que je fais l’exercice toute la journée, Umeji Roshi m’aurait certainement dit « Vous semblez n’avoir encore rien compris; un homme en chemin ne se contente pas de pratiquer toute la journée, il pratique aussi une demie heure chaque matin ! ».
Il m’arrive d’entendre une remarque très compréhensible : « Je sais ce qu’est pratiquer un exercice une demi-heure chaque jour mais je ne vois pas comment pratiquer zazen, le taï-chi ou le tir à l’arc toute la journée ? »
Il est important, tout d’abord, de décrire en quoi consiste cet exercice auquel nous consacrons, quotidiennement, une demi-heure de notre temps. Quel qu’il soit, l’exercice n’a pas pour but une performance extérieure mais la transformation intérieure de l’homme qui l’accomplit. Quel que soit l’exercice, il n’a qu’un but : l’éveil de l’homme à sa vraie nature d’être humain. Graf Dürckheim parle de l’accouchement de l’être, du soi véritable. L’exercice sur le chemin n’est donc pas une simple technique d’appropriation extérieure. Le but de la pratique de l’aïkido ou du karatedo n’est pas de gagner un combat; ce qui, possiblement, peut être un des effets de la pratique. Le but de la pratique de zazen n’est pas de vaincre l’insomnie; ce qui, possiblement, peut être un effet de la pratique. Le but du tir à l’arc n’est pas la percée du centre de la cible par la flèche que vous décochez; ce qui, possiblement, peut être un effet de la pratique.
Quant au maître, qui ne cesse de pratiquer la technique qu’il enseigne, il donne à ce que nous appelons le corps, la place qui devrait être la sienne tout au long de notre existence. Quelle est cette place ? « La PREMIÈRE ! ».
Le centre de l’exercice est donc la perception que l’homme a de lui-même — EN TANT que corps— (et pas DE son corps). Se glisser dans la connaissance de cette évidence : « Corps je suis », nécessite une relation au corps autre que l’approche intellectuelle, rationnelle. Et voilà un obstacle majeur pour beaucoup d’occidentaux qui s’intéressent aux exercices orientaux : le mental (mind) est mis entre parenthèses. L’exercice nous met ou nous remet en contact avec l’usage de la conscience sensitive. Est mis entre parenthèse l’usage de la conscience DE, la conscience de quelque chose; par exemple : la conscience du corps, la conscience de la respiration. Lorsqu’on pratique un exercice, La conscience objectivante (qui jette-hors), doit laisser place à la conscience sensitive, la conscience SANS de.
La pratique de zazen, comme aussi la pratique du tir à l’arc, du yoga, implique l’usage de la conscience SANS de, grâce à laquelle nous découvrons, de manière de plus en plus subtile, notre vécu intérieur. Rien d’extraordinaire. Tous, avant même la naissance physiologique, avons commencé notre approche du réel grâce à l’usage de la conscience sensitive.
Ce retour à la conscience qui est au commencement, à l’origine de notre existence est tellement simple qu’elle paraît bien compliquée. Dans la tradition orientale de l’exercice, c’est dans la relation concrète au Maître de l’exercice que cette approche inhabituelle du réel se prépare. En voici un exemple : je tire à l’arc depuis trois ans. Après avoir observé ma manière de tirer le Maître Sagino me dit, « Allez-vous encore essayer longtemps d’ouvrir l’arc en utilisant vos muscles ? Jack San, ouvrez-vous ! Oui, ouvrez-vous et l’arc sera entrainé par ce geste d’ouverture de tout vous-même ! ». Après quoi, le Maître a tiré une flèche et j’ai vu, enfin vu, ce que signifie l’injonction : « Ne tirez pas, laissez cela tirer ».
Les débuts du déconfinement ?* En attendant de se voir, de se revoir, il est un exercice que vous pouvez apprendre et reprendre : « N’inspirez pas; laissez cela inspirer lorsque vous respirez ! » Le Maître de cet exercice est la vie elle-même. Dürckheim parle du Maître intérieur. Que signifie « Faire l’exercice toute la journée ? »
Très simple ! Profiter des activités de la vie quotidienne, qu’il me faut FAIRE, pour me sentir en contact avec les actions INFAISABLES qu’il m’a été donné de découvrir et de prendre au sérieux à l’occasion de l’exercice particulier : la tenue corporelle (la verticalité intérieure), la forme corporelle (ni crispé ni avachi). Et je vous propose un exercice contrariant pour l’EGO de la plupart de nos contemporains : « Faire tout ce que vous faites un petit peu plus lentement ! ». Tout ? Oui, ranger la vaisselle, marcher d’un bureau à un autre, s’habiller, éplucher les carottes, écrire une lettre… et Graf Dückheim ajoute : se raser ou se maquiller !
Ah ! J’allais oublier un exercice qui n’est pas un exercice mais une rupture avec ce qui est, inconsciemment, notre manière d’être habituelle : « Détendez-vous dans les épaules » ! Ne cherchez pas à détendre quelque chose : les épaules; ça ne sert à rien. Détendez-vous, en tant que personne qui est tendue dans les épaules et qui, par cette manière d’être en tant que corps (Leib), révèle un manque de confiance en soi. Se dé-tendre dans les épaules est un geste de confiance de l’homme entier.
Jacques Castermane
* Dès que possible (et en tenant compte de l’évolution des données gouvernementales sur le déconfinement), nous vous adresserons le programme annonçant la reprise des activités au Centre.
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