"Saisir, saisir le soir, la pomme et la statue,
Saisir l'ombre et le mur et le bout de la rue.
Saisir le pied, le cou de la femme couchée
Et puis ouvrir les mains. Combien d'oiseaux lâchés
Combien d'oiseaux perdus qui deviennent la rue,
L'ombre, le mur, le soir, la pomme et la statue.
Mains, vous vous userez
A ce grave jeu-là.
Il faudra vous couper
Un jour, vous couper ras."
(Jules Supervielle, "Saisir", Le Forçat innocent, 1930)
Hier matin, nous étions avec Daniel Morin, en Belgique. C'était l'heure de la méditation guidée. A la faveur de ses paroles, j'ai senti les pensées s'apaiser. Je me suis rapprochée de moi-même. La simplicité était là, dans l'immobilité de l'espace et du silence... Et lorsque Daniel a dit : "Laissez venir et puis surtout laissez partir...", ces vers de Supervielle me sont revenus en mémoire, dans leur netteté. Sans cesse, nous saisissons, pour nous rendre compte ensuite qu'il faut bien lâcher un jour parce que tout passe, tout nous fuit entre les doigts. Nous ne possédons jamais rien. Tout nous traverse continuellement. Dans nos mains crispées, il ne reste en réalité que des ombres de proie. Et pourtant, nous recommençons à "saisir". Il faudra un jour couper les mains, qui sont ici les métaphores du désir s'appropriant les choses et les êtres, de toute sa violence. Trancher les mains du diable... Pourquoi fermer, pourquoi serrer les mains, les poings ? Il est tellement plus juste de délivrer les choses et les êtres qui nous entourent, de les laisser vivre leur vol d'oiseaux libres. De leur permettre de redevenir à nos yeux ce qu'ils sont réellement. De les laisser être. Accompagner leur vol, sentir leur fluidité, oui. Mais les laisser être. Ce faisant, en lâchant prise, c'est nous-même que nous libérons. Les épaules se détendent, un ruisseau de paix s'écoule. La maison du moi s'ouvre au silence, au mystère, comme le dit la fin du long poème intitulé "Saisir" :
"Que tes mains s'ouvrent et laissent
S'échapper force et faiblesses,
Que ton coeur et ton cerveau
Tirent enfin leurs rideaux,
Que ton sang s'apaise aussi
Pour favoriser la nuit."
7 commentaires:
Merci Sabine pour ce partage qui vient du coeur. Sylvie
merci sabine ,
on ne se connaît pas mais je m'autorise à dire :
quelle belle métaphore avec l'oiseau ...
je me souviens très souvent des mêmes phrases mot pour mot d'Yvan AMAR : " être disciple , c'est être ouvert devant ( accueillir ), et derrière ( laisser partir ) "
belle journée à éric et toi .
Oui ton partage me parle trés fort... merci Sabine.
Un grand merci Sabine ; tes écrits sont vraiment touchants de pureté et d'ouverture de coeur.
"Laissez venir et puis surtout laissez partir..."
"Ce faisant, en lâchant prise, c'est nous-même que nous libérons. Les épaules se détendent, un ruisseau de paix s'écoule. "
voilà ce que je retiens ce soir, le coeur en paix et grand ouvert.
merci, je vous embrasse bien fort tous les 4.
bonsoir Sabine,
Merci pour le poème, merci pour le partage, il me va au cœur.C'est mon fils Léo et ma compagne Corinne que je souhaite comme ses oiseaux.
Merci pour votre foi.
Superbe Sabine, merci pour ces poésies : je viens souvent te relire !
merci sabine, cela me touche.
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