Le quotidien comme exercice
« Lorsqu'on parle de pratique ou d'exercice sur la Voie, il faut toujours les envisager sous deux aspects : au Japon, en ce qui concerne la Voie qu'est le Zen, il y a l'exercice que l'on fait à un moment de la journée. Par exemple, la pratique méditative appelée Zazen que vous pratiquez une demi-heure ou une heure chaque matin. Il y a par ailleurs, la pratique dans la vie quotidienne : le Quotidien comme champ de l'exercice.
Toute action, dans la journée, n'a pas seulement un sens
extérieur par rapport au monde. Elle contient aussi un sens intérieur : c'est
la façon dont elle est accomplie. Et, dans ce sens intérieur se trouve, pour
l'homme, la possibilité d'être et de se sentir en contact avec son être
essentiel, sa vraie nature d'être humain ». (K.G. Dürckheim)
Graf Dürckheim raconte une anecdote qui pourrait nous
intéresser lorsqu'on pratique l'exercice appelé zazen ; également lorsqu'on
pratique et enseigne une discipline artistique, artisanale ou martiale qui a
ses racines dans les traditions de l'Orient ou de l'Extrême-Orient (Kyudo,
Chado, Yoga, Taï Chi-Chuan, etc.)
« Au Japon, je pratiquais le Kyudo (le tir à l'arc) sous
l'œil vigilant de mon maître Kenran Umeji depuis deux ans lorsqu'il me demande
— Alors Dürckheim, quand faites-vous votre exercice ?— Ce n'est pas sans une
certaine fierté que je lui réponds que je pratique une heure chaque matin. Je
n'attendais pas d'être complimenté mais ce qu'il m'a dit m'a désarçonné : —
Dans ce cas vous n'avez encore rien compris à ce que nous appelons l'exercice
sur la Voie, il faut le faire toute la journée —.
Maintenant, je peux vous dire que si je lui avais répondu
que je pratique toute la journée il m'aurait certainement dit —Dürckheim vous
n'avez encore rien compris à ce que nous appelons l'exercice sur la voie, il
fait le faire une heure chaque jour! »
Pratiquer une heure chaque jour ?
Par exemple zazen et la marche momentanéisée appelée
Kin-Hin.
ZAZEN : être là assis, dans la tenue juste (la verticalité
intérieure), la forme juste (ni crispé ni avachi mais dans un rythme tension /
détente qu'on peut envisager comme étant la respiration du tissu vivant) et,
absolument immobile, exercer la pleine attention au fait que, en ce moment -je
inspire- ... que en ce moment -je expire- (et que Moi je n'y suis pour rien).
KIN-HIN : exactement le même exercice mais, cette fois, en
marchant.
Lorsqu'on apprend un exercice en étant accompagné par un
maître Zen, arrive ce moment où on découvre que l'exercice que nous apprenons
nous apprend ce que et qui nous sommes. Découverte, expérience que : « Corps
que Je Suis ». Et que ma manière d'être en tant que corps vivant est l'expression
de mon vécu intérieur : calme ou agité ...ouvert ou fermé ... confiant ou
méfiant ... patient ou impatient.
Pratiquer toute la journée ?
Nous ne sommes pas éduqués à voir qu'une action qui a un but
extérieur peut, en même temps, avoir un sens intérieur. Par exemple, chaque
matin il me faut marcher du domicile au parking où est garée ma voiture. Si une
personne, qui se dit en chemin, fais ces 100 pas, dans le seul but de rejoindre
sa voiture, ils sont ...perdus. Par contre, je peux envisager ce déplacement
comme étant un exercice dans le champ du quotidien. L'acte de marcher est
l'occasion de me mettre en ordre intérieurement.
Comment ? En faisant chaque pas dans la tenue corporelle
juste, la forme juste (ni crispé ni avachi) et en me déplaçant dans un rythme
qui me libère de cette névrose qui consiste à tout faire vite. Là où est le
vivant il y a le rythme, là où est le rythme je suis en contact intime avec ce
qu'on appelle l'être qui fait que tout ce qui est ... EST et devient ce qu'il EST.
Notre vie intérieure n'est pas seulement le reflet de nos
états d'âme ou de notre état d'esprit. Sur le chemin de l'accomplissement de
notre vraie nature, notre manière d'être en tant que corps témoigne de notre
manière d'être en tant que personne. Chaque geste, chaque attitude corporelle,
est une autoprésentation de nous-même en tant que personne.
L'expression "je me sens en forme" à un sens très
profond que nous ignorons. C'est ce moment de la journée où je me sens en ordre
intérieurement, tout simplement en ordre, parce que en contact avec ma vraie
nature, ce que Graf Dürckheim désigne comme étant notre être essentiel.
Jacques Castermane
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