Nous connaissons cet adage attribué à tort à de nombreux philosophes : « Deviens qui tu es » et que nous devons restituer à son auteur : Pindare (5è siècle avant J.C.), sans omettre de mentionner ce qu'il a lui-même ajouté : « ... quand tu l'auras appris. »
C'est bien d'un apprentissage qu'il s'agit, dans lequel nous devons nous engager : nous reconnaître dans ce que nous sommes au plus profond, reconnaître ce que nous ignorons de notre nature d'être humain, pleine, une, en ordre.
Sur la voie du zen, nous sommes invités à réintégrer notre part ignorée, oubliée, négligée et cependant non manquante. Nous nous en sommes privés en raison de cette conscience objectivante qui sépare, cloisonne et divise.
Alors que devons-nous apprendre ? Que nous sommes déjà ce que nous cherchons ?
Certes... Mais comment l'apprendre ? Nous devons nous mettre en mesure d'avoir foi en cette émanation du corps vivant, qui, tout à fait silencieux et immobile, nous révèle à nous-mêmes en dehors de toute singularité et de toute identité. La méditation - le corps méditant - nous met en condition de penser autrement, c'est-à-dire à partir d'un principe d'unité des contraires. Nous devons apprendre à laisser le corps « émaner » et nous enseigner ce dont il procède, le laisser développer cette aptitude à le manifester.
Apprendre à laisser : voilà en quoi réside notre tâche dans laquelle nous avons à nous engager avec la plus grande opiniâtreté. Laisser le corps vivant œuvrer... nous ne pouvons pas nous borner à penser que « nous sommes », nous devons apprendre à laisser le corps vivant nous révéler que nous sommes.
Nous avons la chance de nous asseoir chaque jour et de nous sentir être poussé malgré soi et d'une manière irrépressible par le souffle qui s'impose à nous et nous oblige. Une poussée dans notre devenir qui coïncide avec la fermeté d'un « être-là ». L'éprouvé immédiat qu'être et devenir de s'opposent pas, nous ouvre cette autre compréhension de nous-mêmes.
La rigueur d'une discipline exigeante qui prend corps dans la tenue (« prendre corps » n'est pas une métaphore) et dans cette verticalité, celle de quelqu'un qui assume totalement à l'instant son être-là et la situation telle qu'elle se présente, associée à l'acceptation d'un processus de transformation qui se révèle dans la forme fluide, souple et transparente, donne lieu à une expérience phénoménale (sensorielle) de l'unité des contraires.
Agir et non-agir, fermeté et abandon, apparaissent « un » dans l'expérience et donne à sentir ce que le mental ne peut ni réunir ni exprimer. Il nous faut bien apprendre à reconnaître cela, à prendre en compte le fait que nous sommes cette expérience. Il nous faut aussi apprendre à penser et à vivre à partir de cette expérience afin de ne plus nous limiter aux conditionnements de notre conscience objectivante.
Le corps vivant nous apprend, il faut apprendre à le laisser nous apprendre le Tout Autre (selon l'expression de Dürckheim), nous-même – Tout Autre : non pas quelque chose, non pas rien, alors quoi ? Un éprouvé qui émane du corps méditant.
Apprendre à laisser les choses s'engendrer d'elles-mêmes parce qu'il n'y a rien à faire. La vie devient alors une œuvre d'artiste, fruit d'un long travail (apprendre) et d'une liberté (laisser) dégagée de tout vouloir. L'activité de reconnaissance de ce que nous sommes est bien celle que nous devons apprendre, elle siège dans chaque exercice sur la voie, elle est indissociable de l'acte d'être.
Une parole d'artiste saura nous engager sur ce chemin : « Parvenir à “être sans vouloir”, cela demande une activité intense, l'air de rien. »
(Fabienne Verdier - « Entretiens avec Charles Juliet »)
Dominique Durand
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