mardi 25 décembre 2018

Simple silence avec Christian Bobin

comme Silence

« Le silence est la plus belle matière. On sait que le pétrole va s'épuiser, après nous avoir épuisés. On sait que les diamants et l'or ne sont pas en quantité indéfinie dans la terre. Mais il existe une matière qui, tout en étant précieuse, est surabondante. C'est le pur silence du lecteur penché sur son livre, ou la petite respiration à peine perceptible du nouveau-né qui dort. Le silence est le mariage de l'éveil et du sommeil, de l'extrême attention et de l'extrême repos. Si le silence était un événement de la nature, ce serait un flocon de neige. Si le silence était en vers, il serait un poème de Jean Grosjean. Et si le silence était une personne, on ne saurait pas son nom, on ne la verrait pas, et on ne pourrait absolument pas douter qu'elle est là. »

comme Simplicité 

« C'est comme si nous traversions cette vie avec un petit tablier d'enfant, plein de taches. La simplicité, c'est de le dénouer et de l'enlever. Tous les liens vitaux, amicaux, amoureux, réels, peuvent venir. Quand on voit un rouge-gorge avec son petit torse de lutteur et son maillot rouge, ou quand on entend la voix de la poétesse Marceline Desbordes-Valmore, ou encore certaines paroles aiguisées de Corneille, on sait que la simplicité est la grande porte de la vie. On a besoin d'un peu de pain, de murs solides - comme le nid des oiseaux, il faut que notre abri soit un minimum stable. Et au-dessus, c'est la splendeur de la vie. Celle de tout ce sur quoi portent nos yeux, et qui jamais ne fera défaut. Il y a quelques jours, j'ai vu dans un verger à l'herbe noircie par le gel quelques grosses pommes qui étaient tombées. Et elles étaient autant de planètes extraordinaires, bien plus étranges que Mars et d'autres prétentieuses de l'univers. Quoi de plus simple qu'une pomme, quoi de plus parfait ? Demandez au gros cheval lourd à la robe blanche sale qui errait dans l'herbe. Demandez à Cézanne, demandez à Giacometti, qui a peint une pomme plus rayonnante qu'un pharaon : vous sentez la folie du cœur de l'artiste qui est allé chercher le point premier de toute existence à l'intérieur d'une petite pomme presque décatie, oubliée sur une commode. Il est allé capturer le début de l'univers dans un fruit banal et il l'a mis définitivement à l'abri de la pourriture : en majesté dans sa peinture. »



source : La vie
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