Patrice van Eersel : Un bruit de balançoire est fait de lettres. Mais un livre n’est-il pas toujours une lettre à quelqu’un ?
Christian Bobin : Mon premier tout petit livre était déjà une lettre. Adressée à qui ? Peut-être à moi... Avec le temps, j’ai appris qu’écrire, c’était chercher quelqu’un dans le noir, attendre un écho dans les ténèbres du monde. Pour prendre une autre image — puisque mon infirmité est de ne penser et vivre que par images—, le principe de l’écriture est celui de la petite marchande d’allumettes, qui les craque une à une dans l’espérance que cela éclairera un visage face au sien.
Patrice van Eersel : Pourquoi serait-ce une infirmité ?
Christian Bobin (sourire) : Ce n’est ni vrai ni faux. Quand un sens s’atrophie, un autre se développe—les aveugles entendent même un sourire ! Je pense que mon goût des images est venu d’une chose qui me manquait pour avoir une vie stable dans ce monde. Mais cela a fait naître autre chose, qui a pris la forme de ces grappes d’images. Mais la poésie, ce n’est pas pour faire joli. C’est une impulsion, un élan du printemps dans le langage. C’est donc la chose la plus précieuse qui soit, la médecine absolue.
Patrice van Eersel : Le poète japonais Ryokan hante votre livre...
Christian Bobin : Je l’ai rencontré peu à peu, assez tard. Les livres, comme les gens, arrivent à leur heure.
Je le connaissais de loin, mais c’était une rumeur, un nom qui fane dans un dictionnaire. Puis la vie, les épreuves et aussi les enchantements m’ont amené à lire des textes orientaux, des poètes japonais ou chinois, des demi-fous, et j’ai été touché par celui qu’on appelait « le moine enfant », autant par sa vie que par sa parole. Les Japonais le considèrent comme leur saint François d’Assise. La lecture de Ryokan m’a rendu heureux. Etant heureux, j’ai eu envie de vivre, et pour moi, vivre passe par écrire et m’adresser à d’autres et chercher quelqu’un dans le monde.
Patrice van Eersel : Plusieurs fois, dans ce livre, vous vous dédoublez. Une partie de vous part ailleurs, pour écrire ou voyager, votre main droite, par exemple...
Christian Bobin : J’écris toujours à la main, et ma main est très heureuse. Ma pensée vient tard, d’un pas très lent. Ce n’est pas la première invitée. Le premier invité est une sorte de joie, d’énergie, de danse des atomes des doigts, du corps, du cerveau, mais aussi de la chaise où je suis assis, des atomes du pré que je vois par la fenêtre, et tous ces atomes se mélangent Je suis en moi, clôturé par un songe, mais aussi au dehors, parce que le songe peut envahir tout l’Univers et je ne fais plus guère de distinction entre le brin d’herbe, le bois de la table et ce qu’on appelle « moi », de façon incertaine.
voir aussi : Christian Bobin et Ryokan
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Christian Bobin : Mon premier tout petit livre était déjà une lettre. Adressée à qui ? Peut-être à moi... Avec le temps, j’ai appris qu’écrire, c’était chercher quelqu’un dans le noir, attendre un écho dans les ténèbres du monde. Pour prendre une autre image — puisque mon infirmité est de ne penser et vivre que par images—, le principe de l’écriture est celui de la petite marchande d’allumettes, qui les craque une à une dans l’espérance que cela éclairera un visage face au sien.
Patrice van Eersel : Pourquoi serait-ce une infirmité ?
Christian Bobin (sourire) : Ce n’est ni vrai ni faux. Quand un sens s’atrophie, un autre se développe—les aveugles entendent même un sourire ! Je pense que mon goût des images est venu d’une chose qui me manquait pour avoir une vie stable dans ce monde. Mais cela a fait naître autre chose, qui a pris la forme de ces grappes d’images. Mais la poésie, ce n’est pas pour faire joli. C’est une impulsion, un élan du printemps dans le langage. C’est donc la chose la plus précieuse qui soit, la médecine absolue.
Patrice van Eersel : Le poète japonais Ryokan hante votre livre...
Christian Bobin : Je l’ai rencontré peu à peu, assez tard. Les livres, comme les gens, arrivent à leur heure.
Je le connaissais de loin, mais c’était une rumeur, un nom qui fane dans un dictionnaire. Puis la vie, les épreuves et aussi les enchantements m’ont amené à lire des textes orientaux, des poètes japonais ou chinois, des demi-fous, et j’ai été touché par celui qu’on appelait « le moine enfant », autant par sa vie que par sa parole. Les Japonais le considèrent comme leur saint François d’Assise. La lecture de Ryokan m’a rendu heureux. Etant heureux, j’ai eu envie de vivre, et pour moi, vivre passe par écrire et m’adresser à d’autres et chercher quelqu’un dans le monde.
Patrice van Eersel : Plusieurs fois, dans ce livre, vous vous dédoublez. Une partie de vous part ailleurs, pour écrire ou voyager, votre main droite, par exemple...
Christian Bobin : J’écris toujours à la main, et ma main est très heureuse. Ma pensée vient tard, d’un pas très lent. Ce n’est pas la première invitée. Le premier invité est une sorte de joie, d’énergie, de danse des atomes des doigts, du corps, du cerveau, mais aussi de la chaise où je suis assis, des atomes du pré que je vois par la fenêtre, et tous ces atomes se mélangent Je suis en moi, clôturé par un songe, mais aussi au dehors, parce que le songe peut envahir tout l’Univers et je ne fais plus guère de distinction entre le brin d’herbe, le bois de la table et ce qu’on appelle « moi », de façon incertaine.
voir aussi : Christian Bobin et Ryokan
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1 commentaire:
La description de l'auteur à droite de sa photo est d'une belle justesse.
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