Nous attribuons souvent à l'immobilité les caractéristiques d'un principe établi et figé, particulièrement contraignant. Nous devons vraiment faire l'effort de reconsidérer cette indication incontournable donnée pour la pratique du zazen et réaliser ce qui se passe lorsque, pour un temps donné, nous suspendons tout désir de soulager une gêne, un inconvénient, un problème qui taraude.
Enfin, nous décidons de laisser le présent en l'état, sans plus chercher à améliorer ou modifier ce qui nous dérange ; il devient alors possible de nous laisser intéresser par ce qui surgit à travers cet événement qu'est le corps tout à fait immobile. On réalise que tout peut coexister à la fois, la gêne et la non-gêne, le plaisir et le déplaisir, et qu'il n'est pas nécessaire de se débarrasser de quoi que ce soit.
Aussitôt, il devient possible de nous sentir libres de toutes nos contradictions et des limites qu'elles engendrent. Le méditant, dans l'absolue immobilité, retrouve la trace de ce qu'il a de plus profond en lui : le souvenir de son unité. Se sentir entièrement immobile, c'est s'éprouver dans sa totalité, sans ressentir la nécessité d'exclure. Dans la détente, l'immobilité s'approfondit et s'élargit, et nous laissons ainsi quelque chose s'accomplir, sans aucune préoccupation de nos désirs ou de nos préjugés. Ce qui devient important, c'est le changement qui s'opère, car l'immobilité rend possible ce que Dürckheim nomme : « la liberté de notre essence » 1 .
Quelque chose a lieu malgré nous et nous n'en étions pas conscients (nous ne le savions pas). En effet, être immobile, c'est voir et sentir de façon inhabituelle ce que l'on voit et sent d'habitude, c'est sentir que la respiration dans son rythme originaire est l'expression de cette liberté de l'être, que notre manière d'être assis se réalise dans une facilité d'expression qui ne nous ressemble pas. L'immobilité nous permet de réaliser que quelque chose préexiste. Elle favorise des conditions particulières qui nous permettent de nous laisser apprivoiser par toutes les actions originelles que nous ne sommes pas en mesure de faire, telles que : l'acte de respirer, de voir, d'entendre, de sentir.
L'immobilité introduit l'unité avec toutes ces actions parce qu'elle crée un espace privilégié qui favorise la réorientation de l'attention, non plus sur le résultat d'une action, mais sur la manière dont elle apparaît dans son « avoir lieu » originel. L'immobilité ne nous permet plus de nous approprier l'action en cours, elle la voit naître, lui donne de l'espace et l'accueille dans son caractère inconditionné. L'immobilité devient alors le point de contact qui nous invite à participer activement à toutes les lois qui régissent notre vie.
Arrive le moment où l'on comprend que l'immobilité n'est pas absence de mouvement, mais que chacune de nos actions peut prendre racine dans ce centre parfaitement immobile. Ainsi, chacune d'elles porte la trace de ce calme intérieur, va puiser en ce centre ce qui ne manque jamais. L'immobilité, dans la méditation, n'est ni l'établi, ni le déterminé, elle exprime une liberté entière. Etre absolument immobile et voir que nous sommes ce que nous cherchons, que c'est là depuis toujours et que nous n'avons plus besoin d'aspirer à quelque chose ou de courir vers quelque chose. Nous saisissons à travers cette expérience combien l'immobilité nourrit la pleine attention et combien, à son tour, cette pleine attention force l'immobilité.
1 Cf. Karlfried Graf Dürckheim, Sous le signe de la grande expérience, Editions du Rocher, 1995, p.59
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