« C’est trop beau pour être vrai ! » L’expression semble belle : elle dit l’émerveillement plein d’incrédulité devant l’heureuse surprise. Mais si on l’écoute bien, elle dévoile aussi quelque chose de notre inaptitude à accueillir le bonheur. La dernière fois que je l’ai entendue, c’était de la bouche d’un ami, professeur de philosophie comme moi, qui me disait à propos de la foi chrétienne : « Soyons sérieux ! Un Dieu qui aime chaque homme, un Dieu qui, comme tu le dis, préfère chaque homme à tous les autres, c’est trop beau pour être vrai ! »
C’est comme si, spontanément, nous supposions que la vérité doit être décevante. Une pensée qui produit en vous de la joie est par nature suspecte. Le critère de la vérité serait ainsi, sinon la laideur, du moins la fadeur. Quand c’est beau sans plus, sans ce « trop » qui dit la plénitude, on est dans le probable. Mais si (mieux !) c’est laid, alors là, on est dans du certain. Ainsi la théorie darwinienne de l’évolution, qui conçoit la vie comme une force aveugle en lutte perpétuelle pour la conservation de soi, a plus de crédit que l’hypothèse opposée d’un travail souterrain et patient de la matière par l’Esprit. Influencés sans même nous en rendre compte par ces philosophes qu’on appelle les « maîtres du soupçon » (Marx, Nietzsche et Freud), nous donnons notre assentiment à ce qui dégrise, déchante et désenchante. La nausée de Sartre « parle plus vrai » que le psaume de louange.
Le réel, ce serait donc « quand on se cogne », pour emprunter un mot à Lacan : quand le doux rêve se brise contre la dure réalité… D’accord. Mais Léon Bloy avouait se cogner parfois contre les étoiles. Il est en effet des instants « de pure grâce » qui, par la plénitude de leur beauté, condensent en eux tout le sens et la saveur de notre vie. Parce que « trop beaux », ces instants sont-ils suspects ? Je crois au contraire qu’ils sont des éclats de vérité. Ils sont la promesse, soudain tenue, du bonheur pour lequel nous sommes faits.
L’enfant qui vient de naître, si fragile que les regards eux-mêmes n’osent se poser sur lui qu’avec délicatesse, n’est-il pas trop beau pour être vrai ? Cette femme rencontrée il y a quelques jours et qui, non contente de s’occuper de sa petite fille malade et de ses enfants, distribue sa joie de vivre à qui veut s’en nourrir, n’est-elle pas trop belle pour être vraie ? Et vous, chers lecteurs, n’êtes-vous pas trop beaux pour être vrais ? Demandez à ceux qui, parce qu’ils vous aiment, prennent plaisir à votre existence. Miracle de la vie donnée. Miracle de l’amour qui s’ouvre là même où l’on souffre. Miracle de la vie partagée. Ces miracles sont la saveur réelle de nos petites vies. Or on n’invente pas leur beauté : on se cogne à elle, et ce choc crée une étincelle, et de cette étincelle naît une attention plus pleine, un rapport plus authentique et plus vrai à la vie reçue.
La beauté, dans son excès même, n’est donc pas un déni de la réalité. Elle est au contraire le dévoilement de cette vérité qu’il faut dire aux tristes maîtres du soupçon et à ceux qui sont leurs disciples, c’est-à-dire leurs victimes : le réel, dans son aspect laid et décevant, ne dit pas tout de la réalité. Celle-ci est toujours plus ample que notre désespoir, plus folle que notre incrédulité. Apprenons seulement à en accueillir la discrète beauté… Et Dieu, s’il existe, préfère chaque homme à tous les autres.
Martin Steffens, 34 ans, père de famille, enseigne la philosophie en classe préparatoire littéraire. Il a publié dernièrement un Petit Traité de la joie (Salvator).
Source : La Vie (septembre 2011)
C’est comme si, spontanément, nous supposions que la vérité doit être décevante. Une pensée qui produit en vous de la joie est par nature suspecte. Le critère de la vérité serait ainsi, sinon la laideur, du moins la fadeur. Quand c’est beau sans plus, sans ce « trop » qui dit la plénitude, on est dans le probable. Mais si (mieux !) c’est laid, alors là, on est dans du certain. Ainsi la théorie darwinienne de l’évolution, qui conçoit la vie comme une force aveugle en lutte perpétuelle pour la conservation de soi, a plus de crédit que l’hypothèse opposée d’un travail souterrain et patient de la matière par l’Esprit. Influencés sans même nous en rendre compte par ces philosophes qu’on appelle les « maîtres du soupçon » (Marx, Nietzsche et Freud), nous donnons notre assentiment à ce qui dégrise, déchante et désenchante. La nausée de Sartre « parle plus vrai » que le psaume de louange.
Le réel, ce serait donc « quand on se cogne », pour emprunter un mot à Lacan : quand le doux rêve se brise contre la dure réalité… D’accord. Mais Léon Bloy avouait se cogner parfois contre les étoiles. Il est en effet des instants « de pure grâce » qui, par la plénitude de leur beauté, condensent en eux tout le sens et la saveur de notre vie. Parce que « trop beaux », ces instants sont-ils suspects ? Je crois au contraire qu’ils sont des éclats de vérité. Ils sont la promesse, soudain tenue, du bonheur pour lequel nous sommes faits.
L’enfant qui vient de naître, si fragile que les regards eux-mêmes n’osent se poser sur lui qu’avec délicatesse, n’est-il pas trop beau pour être vrai ? Cette femme rencontrée il y a quelques jours et qui, non contente de s’occuper de sa petite fille malade et de ses enfants, distribue sa joie de vivre à qui veut s’en nourrir, n’est-elle pas trop belle pour être vraie ? Et vous, chers lecteurs, n’êtes-vous pas trop beaux pour être vrais ? Demandez à ceux qui, parce qu’ils vous aiment, prennent plaisir à votre existence. Miracle de la vie donnée. Miracle de l’amour qui s’ouvre là même où l’on souffre. Miracle de la vie partagée. Ces miracles sont la saveur réelle de nos petites vies. Or on n’invente pas leur beauté : on se cogne à elle, et ce choc crée une étincelle, et de cette étincelle naît une attention plus pleine, un rapport plus authentique et plus vrai à la vie reçue.
La beauté, dans son excès même, n’est donc pas un déni de la réalité. Elle est au contraire le dévoilement de cette vérité qu’il faut dire aux tristes maîtres du soupçon et à ceux qui sont leurs disciples, c’est-à-dire leurs victimes : le réel, dans son aspect laid et décevant, ne dit pas tout de la réalité. Celle-ci est toujours plus ample que notre désespoir, plus folle que notre incrédulité. Apprenons seulement à en accueillir la discrète beauté… Et Dieu, s’il existe, préfère chaque homme à tous les autres.
Martin Steffens, 34 ans, père de famille, enseigne la philosophie en classe préparatoire littéraire. Il a publié dernièrement un Petit Traité de la joie (Salvator).
7 commentaires:
Tellement vrai. oui on nous apprends à vivre étriqués et oui moi aussi j'ai sorti cette expression et oui depuis quelques années elle transpire le mensonge. Emerveillons-nous: que de chemin pour arrêter de n'y pas croire, pour laisser tomber toutes ces fausses lois qui nous maquent la merveilleuse beauté. merci Eric
Il ne serait pas un peu "trop jeune pour être sage", cet homme ? ;-))
Étrange référence à Nietzsche dans ce contexte ; son "soupçon" ne me semble pas du tout de cet ordre, au contraire. C'est un peu comme si on faisait du Bouddha un pessimiste morbide qui se complait dans la noirceur et le ressentiment parce qu'il a dit que "tout est souffrance".
Cela dit, j'ai aimé ce texte et je me réjouis de savoir que des élèves auront la chance de suivre les cours de ce professeur !
Merci Acouphene :)
Com entre **…** 25-09-2011
Trop beau pour être vrai…
**Je pense que l‘expression : « C’est trop beau pour être vrai ! » découle d’une sorte d’incrédulité du « moi » (ou égo) restrictif limité, qui ne peut envisager, qu’à cet instant ou à un autre des évènements significatifs d’une réelle grandeur intérieure puissent s’exprimer à un tel niveau de maturité, dans son monde, incitant l’esprit à côtoyer le Divin. Cette orientation philosophique tendant à la perversité que l’aboutissement de l’être est une impasse ou l’esprit de l’homme tourne en rond, alors, qu’il lui suffirait de lever les yeux, pour voir plus loin, plus haut, s’élever hors des contingences de sa vision limitée de l’existence, pour la saisir dans sa globalité.
En quelque sorte, de prendre conscience de sa petitesse pour aller vers sa grandeur.
Ceci s’effectue par un retournement intérieur menant comme un tunnel inversé vers nos origines qui relèvent de l’extraordinaire.
Pour ma part l’expression « CE QUI EST » est l’expression qui pourrait s’approcher au plus près de l’idée d’une CAUSE existentielle justifiant le créé dans sa globalité, comme un TOUT unifié et cohésif, avec l’énergie de l’Amour sous-jacent où la Liberté reste notre compagne, (y compris le choix de ne pas choisir) dans la trajectoire de tout esprit présent dans le « divertissement cosmique », chacun à son échelle. Justement, à cause de l’utilisation empoisonnée que bon nombre d’humains on fait de ce nom, et ceci en commettant nombres d’exactions, ce mot Dieu, non représentatif de CE QUI EST, pure existence, éternité, immortel ne représente plus quelque chose de Saint en soi.
Ceci reste complètement erroné en fait, car cet idée vient de l’esprit malade de l’homme, auquel cette idée que Dieu réclame sacrifice, le plonge dans la culpabilité pécheresse qu’il doit payer de quelque manière que ce soit en niant à l’autre le droit d’être différent et libre. Risible et pathétique, n’est-ce pas ?
En définitif l’on ne peut croire de manière sensée à Dieu, car IL est incroyable, au-delà de tous concepts dans lequel on voudrait l’enfermer. IL n’est atteignable que par un esprit libre totalement de tout accessoire et ouvert vers l’infini.
A propos de Dieu, IL ne peut rester qu’un concept dans l’esprit de l’homme qui le place à part et au-dessus de tout. Ce qui est un non-sens incluant la négation de soi, comme être existant réellement et que le précipice du « néant de la mort » restant non résolu en signification, forme un obstacle insurmontable, car sans prolongement. Ce qui n’est qu’apparent bien sûr. Ce qui semble impossible à ce qui est fermé en l’esprit d’une entité sera possible pour un esprit ouvert et clair. Ce que l’un nomme désenchantement sera pour l’autre un enchantement, ha, ha, ha…
Il en est comme de cet observateur qui se situerait au sommet d’un pic et percevrait le versant éclairé. Le faisant observer par des mots à quelqu’un qui se tiendrait dans la vallée non éclairée, qui affirmerait lui, que son environnement est sombre, allusion à l’histoire de la caverne de Platon.
Comme quoi l’expérience du Divin ne peut passer par l’homme, mais être intimement vécue en prise directe avec cet indicible. Ce que tu crois éloigné était ce que figure ce moi personnel et orgueilleux, ce qu’il te cache en se tournant vers l’extérieur, là où il ne trouvera point Dieu, tout accaparé qu’ il est par le monde et ses fascinations à l’égard de celui-ci. De maître se croyant il est devenu l’esclave de ses projections et par là l’initiateur de ses tourments, physiques émotionnels, intellectuels et mentaux. Le Divin étant sis en lui, tout bonnement en attente de son, ton retour dans le SOI intemporel.
Ce qui va donner force à ces propos est le vécu en prise directe de ces propos, qui en sont l’ossature indestructible. J’ai vécu longtemps, comme tout un chacun dans l’esprit séparé et connaît ses détours, ses embrouilles, ses tactiques perverties, ses réactions, par l’ignorance de la Réalité, dans ce rêve dimensionnel, dans lequel il est plongé, comme dans une nasse, et qui ne percevant plus Dieu, ils en concluent, qu’il n’existe tout bonnement pas. C’est vrai…pour eux en ces circonstances. Mais le temps ne fait rien à l’affaire. L’enquête, la quête humaine a été initiée pour être de toutes manières que ce soit…résolue. Simple n’est-ce pas ?
Je suis d’accord avec Vincent à propos de Nietzsche, il pose au contraire de la négation de l’idée de Dieu, une foule d’idées induisant cette inaptitude à l’harmonie de l’humain et le poussant habilement hors de ses retranchement pour se poser la question originelle « Qui suis-je ».
Ceci nous amène à une pléthore d’enseignements dont Ramana Maharishi et Nisargadata sont les illustres représentants et bien d’autre encore.
Extrait de l’enseignement de Sri Ramana Maharishi:
La naissance de l’égo est appelée la naissance de la personne.
Il n’y a d’autre sorte de naissance.
Tout ce qui naît doit mourir.
Tuez l’égo : (en pratiquant la non identification et l’état d’égalité en tout évènement)
Il n’y a pas lieu d’avoir peur d’une mort
Pour ce qui est déjà mort.
Le Soi subsiste même après la mort de l’égo.
Cela est la Félicité,
Cela est l’Immortalité. **
**Si je vous contais ici la façon dont j’ai rencontré Ramana Maharishi alors qu’il était décédé de corps en 1950, alors que moi-même n’étant pas né, comment cela fut-il possible…
« Cela serait trop beau pour être vrai…N’est-ce pas ?
Et pourtant, je sens votre curiosité s’exciter…
A propos…Dieu aime dans l’égalité et dans l’inconditionnel, la notion « préférer » est particulière et conditionnelle et est une appréciation purement humaine limitative…Alors !
L’on perçoit bien que dans ces mots : « Si Dieu existe » est une proposition, mais qu’il en est un fervent adepte…Dieu merci…bah, le rire est merveilleux.
La philosophie une construction oiseuse et oisive d’un mal être que la philosophie elle-même ne peut, n’a pu résoudre puisqu’elle est née de ces maux par des mors, n’osant s’envoler de l’irréelle impermanence de l’être.
Ceci est seulement posé comme une base de réflexion à tous esprits ouverts, pour les autres l’on verra plus tard, mais jamais trop tard. (lol)
Bravo à Martin Steffens pour sa démarche remarquable en tout cas.
Namasté.
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