vendredi 25 décembre 2020

Solennité...

 Noël, par définition, c'est la fête de la vie. L'ancienne tradition chrétienne a voulu s'appuyer sur la commémoration païenne du solstice d'hiver, l'époque où le jour triomphe de la nuit, pour célébrer la naissance du Christ, lui qui est la Lumière du monde. Pourquoi, donc, la liturgie de l'Église nous empêche-t-elle de nous endormir paisiblement au coin du feu de la crèche ? Pourquoi nous pousse-t-elle, au lendemain même de Noël, à contempler de près la souffrance et la mort ? Saint Étienne d'abord, le premier des martyrs, et tout de suite les saints Innocents viennent nous alerter sur certains contours de cette solennité que le monde essaie en vain d'oublier derrière les paillettes.


Une nouvelle solidarité

Cette année, en pleine pandémie, la question sur le sens de la mort au sein même de la vie s'impose à nous sans aucune retenue. Elle vient nous déranger alors même que nous préférerions rester attachés à nos souvenirs des fêtes d'autrefois, riches d'une gaieté quelque peu insouciante. Aujourd'hui, ce n'est pas simplement la liturgie qui nous incite à regarder le drame de Noël, en tant que croyants ; la crise sanitaire que nous traversons à l'échelle planétaire nous oblige à réfléchir, en tant qu'humains. L'opportunité d'une nouvelle solidarité s'offre à nous, pourvu que nous soyons décidés à mettre de côté les paquets cadeaux afin d'aller plus loin, plus au fond, jusqu'au coeur même de la réalité qui nous interpelle.

Aux portes de Noël, une femme encore assez jeune, atteinte d'un cancer terminal, raconte sa vie à une aide-soignante dans une unité de soins palliatifs : « Vous savez, j'ai été dans le marketing, j'ai gagné plein d'argent, j'ai eu beaucoup de prestige. » Ses deux enfants en bas âge et son mari contemplent la scène, tous les trois muets et immobiles sur des photos collées au mur. L'aide-soignante écoute avec tendresse, en silence, et se fait interroger à son tour : « Et vous, pourquoi faites-vous un métier où vous devez gagner si peu d'argent ? » Elle ne répond pas immédiatement, elle prend le temps de laisser la question toucher son expérience et se révéler au plus intime d'elle-même. « Ça fait des années que j'ai découvert que ce n'est pas l'argent qui me rend heureuse. » Un nuage fugace assombrit le regard de la jeune femme, jusque-là si fière apparemment de sa réussite : « Moi, ça fait peu de temps que je l'ai découvert. » Elle mourra trois jours après cette confidence. Noël ?

Le message de l'Enfant de Noël

Il n'est jamais trop tard. L'essentiel nous rejoint là où nous sommes en toute vérité, dans un lit d'hôpital comme au sommet d'une carrière professionnelle, ou encore sur le rivage modeste de nos tâches quotidiennes. Or, nos yeux ne sont pas toujours prêts à déchiffrer la subtilité de son message. Un nouveau-né, l'Enfant de Bethléem, tient alors à nous redire chaque année que la souffrance fait partie de la vie et que la beauté de toute existence prend racine dans le vertige du don de soi. Il nous parle d'un Dieu qui choisit la vulnérabilité comme lieu de rencontre grâce à la puissance d'un amour sans borne.

Les larmes d'un nourrisson

Auprès de cet Enfant, la vie et la mort se regardent sans peur droit dans les yeux. Étienne et tous ceux et celles qui témoignent de la vérité de par leur vie donnée jusqu'au bout sont au rendez-vous de cette fête de Noël où la joie - humble et parfois difficile - se fraye un chemin aux côtés de toutes les douleurs du monde. Les larmes d'un nourrisson embrassent les pleurs et les angoisses de mort de l'humanité tout entière. De son coeur, qui bat dans l'obscurité secrète de la nuit, jaillit déjà la lumière essentielle de l'amour vainqueur.

Margarita Saldaña

Margarita Saldaña est une journaliste et théologienne espagnole. Elle travaille comme aide-soignante à la maison Jeanne-Garnier, établissement de soins palliatifs à Paris.
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