Cesser d’être parfait, c’est se donner une chance d’être plus créatif ?
Je raconte dans mon livre cette histoire de concours de château de sable quand j’avais 10 ans. Nous avions juste une heure pour bâtir notre œuvre et sur les 15 enfants que nous étions, tous ont fait des choses différentes. Ma sœur a fait une coccinelle et, avec un pot de confiture emporté de la maison, elle a dessiné les taches sur son dos. Moi, j’ai essayé de faire parfaitement ce qu’on m’avait demandé de faire. Au bout d’une heure, tous les enfants avaient fini quelque chose, et moi… je n’avais fait que deux tours de mon château que je voulais parfait. Résultat : ma sœur a gagné le premier prix et moi, j’étais le dernier ! En voulant trop bien faire, fuir l’inconnu et rester dans les cadres, on passe à côté de l’essentiel.
Mais comment faire concrètement ?
En commençant par mettre un post-it sur son bureau « Je me fous la paix », déjà, on respire. Une manière de couper toutes les injonctions. On peut aussi faire trois minutes d’exercices dans cette même optique (www.fabricemidal.com). Et puis chacun peut trouver sa façon de « se foutre la paix » : aller au cinéma, marcher dans la nature, aller voir une exposition de peinture, entrer dans une église… tout ce qui ne répond pas à une injonction mais nous rend le plaisir de nous sentir plus vivants, nous déplace par rapport à nos soucis. C’est en se promenant et en recevant une pomme sur la tête que Newton a trouvé la solution à son problème. Face à une angoisse personnelle ou une décision, il faut arrêter de penser, accepter d’entrer dans l’incertitude et la fragilité en laissant la question de côté, marcher, prier ou méditer et faire confiance : quelque chose qu’on ne contrôle pas, qui est de l’ordre de l’intuition – ou que certains appellent Dieu ! – va me répondre.
On a tous l’image du méditant calme et zen. « Se foutre la paix », n’est-ce pas se mettre en retrait du monde ?
Il ne s’agit pas d’être calme mais d’être en paix. Le calme est contraire à notre nature profonde et même à la construction de la paix. Quand la mer est calme, les bateaux n’avancent plus ! Le Bouddha ne cherchait pas le calme, il a commencé par remettre en cause la société de son époque, il a critiqué les castes, l’exclusion des femmes de la vie spirituelle. Il n’était ni zen ni en retrait de la société, mais l’artisan d’une critique sociale. Le Christ n’est pas venu non plus apporter le calme sur la terre, mais la paix et l’amour brûlant qui transforme tout. Il n’a pas invité les apôtres à être parfaits mais à tout laisser tomber pour le suivre. En les libérant de leur identité, il les conduit à entrer dans leur humanité. Benoît XVI a souligné que si l’Antéchrist venait, il viendrait avec la promesse du bonheur et du calme complet pour toute l’humanité et il rappelle que le message du Christ est bien plus révolutionnaire que cela : ni sage, ni édulcoré, il sort des logiques habituelles des hommes. Promouvoir le calme, c’est promouvoir la déshumanisation de notre société.
De quoi, au fond, avons-nous peur ?
Nous sommes dans l’illusion que si nous courons de plus en plus vite pour faire quantité de choses, nous restons en vie. En réalité, plus je cours, plus je suis épuisé. Un moment de silence et d’arrêt n’est pas la mort, mais l’occasion de retrouver une source en moi et de redécouvrir que je suis un vivant. De même, face à l’angoisse d’un vieillard, d’un malade, d’un enfant, il vaut mieux s’asseoir quelques minutes à côté de lui sans rien faire, en s’efforçant d’être présent à toute sa personne plutôt que de vouloir « gérer » son stress ou son émotion. Il nous faut retrouver ce rapport de bienveillance, cet art d’habiter la tendresse humaine qui va à l’encontre de la dictature de la rentabilité. Nous sommes durs avec nous-mêmes comme avec les autres et nous avons du mal à toucher notre fragilité et notre vulnérabilité.
Est-ce une chance de s’ouvrir à la bienveillance ?
C’est un changement de perspective. En se sécularisant à l’extrême, notre société a cantonné au domaine religieux la bienveillance et la compassion sans comprendre qu’aucune société laïque ne peut vivre sans ces notions qui participent du bien commun. Dans la vie, les gens sont généreux mais les mots pour le dire sont devenus tabous : la charité est devenue solidarité et nous n’avons plus le droit de parler de compassion ou de bienveillance à l’école ou dans l’entreprise. On peut parler du devoir social de s’occuper de ceux qui souffrent mais pas d’un acte gratuit de bonté. « Se foutre la paix », c’est revenir à notre humanité et ce n’est pas une question de temps mais de qualité de présence. Beaucoup de soignants le disent : on peut faire le même geste en trois minutes en étant purement technique ou en étant bienveillant et présent au malade. En revenant à la vie, en s’autorisant à être comme on est, on retrouve une qualité de présence à l’autre.
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