Arnaud Desjardins : Le lâcher-prise est un geste intérieur qui interfère avec notre manière habituelle de réagir. Certains lâcher-prise nécessitent une grande force de conviction, d’autres sont plus aisés à opérer. Puis vient un jour où nous constatons que le fait de lâcher est devenu permanent. On pourrait même dire que le lâcher-prise est devenu inutile car il n’y a plus de prise, plus d’appropriation de la réalité.
Une détente s’est établie, nous sommes en contact avec la réalité, instant après instant, sans projections sur le futur, ce qui nous permet d’accomplir les actions qui nous paraissent justes et appropriées, dans le relatif.
L’action est toujours relative, d’une part parce qu’elle s’insère dans un ensemble de chaînes de causes et d’effets que nous ne maîtrisons pas, ou très partiellement, et d’autre part parce que nous-mêmes avons des capacités relatives. Toute action engendre des conséquences, certaines que nous pourrons prévoir, d’autres que nous ne pourrons pas prévoir. La pratique consiste donc aussi dans unlâcher-prise avant l’action. Un événement se produit, une situation se présente, qui peut être extérieure à nous ou intérieure (comme un vertige, un mal au ventre, une angoisse diffuse). L’essentiel, c’est la manière dont chacun se situe face à ce vécu intime que l’existence produit en lui. Nous avons la possibilité d’accueillir cette réaction, parce que c’est la vérité de l’instant, mais sans nous l’approprier. Celui dont j’ai été l’élève, Swâmi Prajnânpad, disait à ce sujet : « La plaque photographique prend, le miroir accueille mais ne prend pas. » Les événements, quels qu’ils soient, produisent en nous des émotions en tous genres, heureuses ou malheureuses, plus ou moins intenses. Si nous apprenons peu à peu cette attitude de lâcher-prise, celle-ci finit par imprégner tout l’existence et crée en nous une grande détente : l’événement se présente, mais la réaction mécanique ne se produit plus. Les émotions font place à l’équanimité !
Nouvelles Clés : Vous voulez dire que même la réaction physique ne se fait plus ? Je m'explique : si l'on a une angoisse, on peut en effet déconnecter son mental de celle-ci, mais qu'en est-il de la boule au ventre qu'elle a, par exemple, occasionnée ?
A. D. : À la place de la réaction habituelle de l'ego, du “ça j'aime ou ça je n'aime pas”, il y a un sentiment qui devient stable d'ouverture du cœur. Les aspects mentaux, émotionnels et physiologiques sont interconnectés et, peu à peu, cet effort de lâcher-prise va contredire la force d'inertie des habitudes qui font que nous sommes tout le temps en réaction face aux événements. Et petit à petit, nous allons ainsi vers l'équanimité. Mais il est évident que, pendant longtemps, l'existence aura encore le pouvoir de produire en nous des réactions : oh oui ! et une émotion heureuse, oh non ! et une émotion malheureuse, douloureuse, réactions dont nous faisons une affaire personnelle. Il faut en fait sans cesse se poser la question de savoir comment nous nous situons par rapport à ces réactions physiques, émotionnelles et mentales ? Comment lâchons-nous prise face à ces moments heureux ou malheureux, quand nous sommes de bonne ou de mauvaise humeur ?
La pratique de ce lâcher-prise met en fait immédiatement en cause l'égocentrisme. Elle amène un abandon de notre vouloir personnel et cet abandon produit une détente. C'est à partir de celle-ci que notre action va à présent s'accomplir, et non à partir d'une réaction épidermique et mécanique fondée sur nos anciens schémas de fonctionnement. C'est la soumission à ce qui est et non à ce qui devrait être, chère à tous les grands maîtres zen, soufis, hindous ou chrétiens, c'est le célèbre : « Que Ta volonté soit faite et non la mienne. »
À ce moment-là il n'y a plus la séparation, de dualité, entre moi et la réalité du moment.
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