J'ai la chance de connaître Etienne Appert et son travail mérite d'être mis en valeur.
« Au crépuscule de la Beat Generation » : pèlerinage au cœur de l’anticonformisme
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Entremêlant les traits psychédéliques, les couleurs criardes, les teintes plus sombres et les représentations réalistes, Étienne Appert nous invite dans Au crépuscule de la Beat Generation à un voyage à la rencontre de quelques géants de la littérature américaine qui ont marqué et nourri la contre-culture du XXe siècle. Publié aux éditions La Boîte à bulles, ce roman graphique s’apparente à une déambulation, riche et inventive, au sein du mouvement Beat, qui a ébranlé l’Amérique des années 1950, et dont les répercussions se font encore sentir aujourd’hui.
À travers les yeux du journaliste français Gilles Farcet, protagoniste principal de l’œuvre, ayant côtoyé Allen Ginsberg et ses proches, Étienne Appert dévoile les principaux traits constitutifs de la Beat Generation, mouvement à l’avant-garde de la contre-culture américaine, notamment caractérisé par l’anticonformisme et l’usage de psychotropes. De la rencontre séminale entre Allen Ginsberg, Jack Kerouac et William S. Burroughs dans les années 1940 surgissent trois séismes littéraires : Sur la route, Howl et Le Festin nu. Écrit par Jack Kerouac en 1957, Sur la route est une œuvre semi-autobiographique qui raconte les aventures de deux amis voyageant à travers l’Amérique dans la quête d’un nouvel idéal de liberté. Howl, publié en 1956, prend la forme d’un poème épique au sein duquel Allen Ginsberg adresse une critique féroce et imagée de la société de consommation et du conformisme. Le roman de William S. Burroughs Le Festin nu, datant de 1959, s’apparente quant à lui à une œuvre expérimentale utilisant la technique du cut-up pour dépeindre un univers hallucinatoire et satirique sur la drogue, le pouvoir et l’oppression sociale.
Au crépuscule de la Beat Generation traduit à merveille, tant sur le fond que sur la forme, les fondements du mouvement Beat. Il ne s’agit pas tant d’un courant littéraire que d’une communion humaine ou d’une pulsation extatique qui, au cours de l’Histoire, a inspiré les mouvements beatniks, hippies, punk et écologistes. Le récit d’Étienne Appert, basé sur les témoignages de Gilles Farcet, nous plonge dans un univers fascinant où cohabitent Ginsberg, Kerouac, Burroughs, mais aussi Patti Smith, Ram Dass, Peter Orlovsky, Gregory Corso ou Gary Snyder. Cette constellation d’artistes, d’auteurs, de poètes, tantôt géniaux tantôt pathétiques, se complètent de personnages insolites tels que Neal Cassady, l’inspirateur des auteurs Beat, ou l’énigmatique Hank, ce fameux « clochard céleste » qui incarne et décrypte peut-être mieux que quiconque l’esprit Beat et la quête de béatitude qui l’anime, par-delà les fantasmes et les idées préconçues.
La mise en scène graphique d’Appert est un véritable spectacle pour les yeux. D’une imagination débordante, elle semble en prise directe avec le propos de l’album. Porteurs de traumatismes et de tragédies, les protagonistes du mouvement Beat se mettent à nu, parfois littéralement, pour aller au bout de leurs idées et d’une logique de liberté poussée à son paroxysme. Allen Ginsberg en est le symptôme le plus évident. Et l’auteur d’ajouter qu’en tant que pilier central d’un mouvement qu’il coordonne, documente et promeut, il apparaît non seulement comme le défenseur d’un patrimoine inestimable mais aussi comme un individu dépossédé, de manière tout à fait consciente, d’une partie de son image publique – régurgitée à travers des produits dérivés ou des mythologies médiatiques et populaires, allant du flower power à Bob Dylan. Au crépuscule de la Beat Generation le montre sans cesse affairé, entouré de sa cohorte d’artistes, de secrétaires et d’amis, capable de porter un regard vif et vierge sur toutes choses et en toutes circonstances.
Étienne Appert ne tait rien des aspects plus erratiques et tumultueux des figures emblématiques
du mouvement Beat. Côté solaire, Gary Snyder se pose en chantre de l’écologie et du biorégionalisme, cherchant à donner une voix aux sans-voix dont la nature est constituée. Côté crépusculaire, Gregory Corso semble incontrôlable, sous la coupe de ses pulsions, aussi caractériel et dysfonctionnel qu’inspiré et talentueux. Et au cœur de cette fresque chorale et empreinte de psychédélisme, Hank occupe une place prépondérante. Ses propos, rapportés à différents moments du récit, fascinent Gilles Farcet et tendent à pénétrer au tréfonds de son psychisme. Le journaliste se questionne sur l’identité de cet homme, sur ce qu’il a produit et sur les raisons pour lesquelles il exerce une telle emprise sur lui. Le « clochard céleste » incarne en quelque sorte l’essence même de la Beat Generation, avec sa verve poétique, ses fulgurances et son acuité pour percer la réalité d’un monde qui cherche à se dérober.
du mouvement Beat. Côté solaire, Gary Snyder se pose en chantre de l’écologie et du biorégionalisme, cherchant à donner une voix aux sans-voix dont la nature est constituée. Côté crépusculaire, Gregory Corso semble incontrôlable, sous la coupe de ses pulsions, aussi caractériel et dysfonctionnel qu’inspiré et talentueux. Et au cœur de cette fresque chorale et empreinte de psychédélisme, Hank occupe une place prépondérante. Ses propos, rapportés à différents moments du récit, fascinent Gilles Farcet et tendent à pénétrer au tréfonds de son psychisme. Le journaliste se questionne sur l’identité de cet homme, sur ce qu’il a produit et sur les raisons pour lesquelles il exerce une telle emprise sur lui. Le « clochard céleste » incarne en quelque sorte l’essence même de la Beat Generation, avec sa verve poétique, ses fulgurances et son acuité pour percer la réalité d’un monde qui cherche à se dérober.
Au crépuscule de la Beat Generation est une œuvre immersive, un véritable pèlerinage au sein d’un mouvement littéraire et artistique qui a marqué l’histoire et dont l’héritage est encore palpable aujourd’hui. Étienne Appert, bien aidé par Gilles Farcet, dépeint avec justesse les liens entre les auteurs Beat, le mouvement hippie et des penseurs qui les précèdent tels que Henry David Thoreau ou Ralph Waldo Emerson, dressant ainsi un panorama de la contre-culture américaine. Il évoque les drogues, les combats sociaux, le non-conformisme, la quête de liberté, y compris sexuelle, puissamment liés au mouvement Beat. Et finalement, le voyage initiatique auquel entendait se livrer Gilles Farcet donne lieu à une relecture, subjective, passionnée et passionnante, d’un contre-courant culturel dont la vigueur n’a eu d’égale que la richesse.
Au crépuscule de la Beat Generation, Étienne Appert
La Boîte à bulles, avril 2023, 240 pages
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