DE L'ORIENT À L'OCCIDENT
Le Zen et le corps !
L'homme occidental est conditionné à une conception mécaniste du corps. L'université m'a convaincu que le corps de l'être humain est la somme des objets qui le composent et qu'il est opposé à ce qu'on appelle l'esprit.
À son retour du Japon, où il s'est immergé pendant une
dizaine d'années dans le monde du zen, Graf Dürckheim propose une vision du
corps bien différente : le corps vivant dans sa globalité et son unité. Il
écrit : « L'esprit occidental pense le réel comme étant un ensemble d'objets ;
l'esprit oriental voit le réel comme étant un ensemble de processus, un événement
».
Ce constat conduit Graf Dürckheim à dissocier deux approches
de ce qu'on appelle le corps : le corps que l'homme A (Körper) et le corps que
l'homme EST (Leib). Il souligne que lorsqu'on pratique l'exercice appelé zazen,
on engage le corps qu'on est et pas le corps-outil, le corps-objet, le corps
objectivé.
D'où cette question qu'il posait régulièrement aux personnes
qui pratiquent zazen : « Êtes-vous sûr que votre façon de pratiquer zazen ...
c'est vraiment zazen ? »
Cette question devrait attirer l'attention des personnes qui
pratiquent et enseignent le Yoga, le Taïchi-chuan ainsi que les disciplines
artistiques, artisanales et martiales propres à la tradition japonaise.
Voici ce qu'a écrit Christian Bobin dans la préface du livre
« L'art et la spiritualité au Japon » «L’Occident s’en va depuis quelques temps
voler aux Orientaux ce qu’il croit être leur sagesse. Dans ce pillage il le
dénature, le change en cela seulement qu’il comprend : des techniques, des recettes,
des savoirs » 1
Si vous demandez à un maître Zen pourquoi il est bien de
pratiquer zazen, sa réponse est abrupte :« À quoi bon pratiquer zazen ? Dans un
seul but, l'éveil de l'homme à sa vraie nature d'être humain ». Notre vraie
nature ! C'est quoi ça ?
Très simple. Avant de devenir un être de Raison, l'homme est
un être de Nature. Un être de nature qui, comme tout être naturel (une fleur,
un arbre, un animal) se développe et ne peut subsister que dans un être
général, universel, qu'on appelle la NATURE.
C'est l'équation formulée par Martin Heidegger : « Je vis
parce que je suis un être vivant » — « Je pense parce que je suis un être pensant
».
L'équation Orient-Occident est incontournable lorsqu'on
enseigne ou pratique un exercice qui a ses racines en Orient ou en
Extrême-Orient. Il s'agit moins d'adapter l’exercice (zazen, yoga, tir à l'arc,
etc.) à l’esprit occidental que d’inviter l’homme occidental à s’ouvrir à
l’esprit oriental.
« On ne pratique pas zazen pour maîtriser la vie mais pour
s'unir à la vie ». (K.G.D.)
D'où l'injonction de pratiquer sans but. Sans but autre que
l'éveil à notre vraie nature. Une entrée dans l'exercice qui pour l'homme occidental
pose de sérieux problèmes et beaucoup de réticence. D'autant que nous sommes
invités à nous ouvrir à une approche du réel qui nous est inhabituelle : une
vision directe du réel, sans passage par la réflexion mentale, intellectuelle.
C'est en ce sens que passer de l'idée - j'ai un corps - à l'expérience que
-corps je suis- est primordiale. IchLeib, le corps que je suis est un champ de
transformation.
Lorsque j'étais à Rütte (où j'ai séjourné cinq ans) Graf
Dürckheim m'a régulièrement posé la question « Est- ce que vous voulez changer
? Est-ce que vous voulez vraiment changer ? » C'est une bonne question. Parce
que ma réponse témoignait que je n'avais pas compris la question. Mon désir
était de changer beaucoup de choses afin de mieux maîtriser ma vie. Alors que
la question du vieux sage de la Forêt Noire concernait la transformation de
moi-même en m'engageant sur un chemin de maturation afin de m'unir aux intentions
de la vie.
Il me fallait passer de la question : « Qu'est-ce que moi
j'attends de la vie ? » à la question « Qu'est-ce que la vie attend de moi ? » Une
question qui concerne donc le futur ? Un après des années d'exercice ? NON !
Qu'est-ce que la vie attend de moi ... ici et maintenant. S'impose
dès lors la question de la pratique de la Voie dans le quotidien ... Le
quotidien comme champ de l'exercice. Un thème qui pourrait faire le titre de la
prochaine lettre ?
Jacques Castermane
1 : Comme la lune au milieu de l’eau, Art et spiritualité
du Japon, Yoko Orimo. Ed. Le Prunier
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