À chacun de choisir et de décider ! Mais, si possible, en connaissance de cause parce que l'amalgame qui est fait actuellement entre ces deux propositions est inconvenant.
Pourquoi ? Parce que :
Le Zen est un chemin d'expérience et d'exercice !
La Mindfulness est un chemin d'exercice et d'expérience !
« Pour l'homme en chemin, tout commence par une expérience! » écrit K.G. Dürckheim à son retour du Japon où, pendant une dizaine d'années, il s'est immergé dans le monde du Zen. L'expérience dont il est ici question n'a rien d'oriental, rien de japonais, rien de bouddhiste, rien de chrétien, rien de laïque. Elle est universellement humaine. Il est dans la nature de tout être humain d'être happé ou touché, par une expérience, un vécu intérieur, qui transforme en un clin d'œil la personne qui l'éprouve, qui l'accueille, sans détour par la réflexion mentale.
En témoigne et lui donne caution le récit d'un auteur hors bouddhisme, hors christianisme, hors hindouisme, hors scientisme. Il s'agit de Marcel Proust (1) :
« Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain je portai à mes lèvres une cuillerée de thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée de miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle ? Que signifiait-elle? Où l'appréhender? (...) Il est clair que la vérité que je cherche n'est pas dans le breuvage, mais en moi. Le breuvage a éveillé la vérité mais il ne la connaît pas. »
Dans la mémoire de chacun il y a une petite madeleine. Souvenez-vous ! Il y a dix ans, en écoutant Gymnopédie d'Eric Satie ... lors des dernières vacances au bord de l'Atlantique, ce coucher de soleil qui m'a bouleversé ... en courant le marathon de Paris, tout à coup je ne courrais plus, cela courrait ... j'avais quatre ans et j'étais sur la balançoire ... la semaine dernière, en arrêt devant une peinture de Monet ...!
Ce moment inattendu au cours duquel on ne se pose plus la question du sens de la vie parce que ce qu'on vit, ce qu'on sent et ressent, donne sens. Expérience à l'origine d'une force vitale stimulante, d'un calme intérieur apaisant, d'une profonde joie intérieure.
La question est alors : comment devenir celui, celle, qui s'est dévoilé à l'occasion de telle ou telle circonstance existentielle? La réponse au -comment- lorsqu'elle est posée à un maître Zen est immédiate : « En pratiquant zazen » (ou un exercice pratiqué dans l'esprit du zen : Kyudo, Kendo, Chado (2).
On ne pratique pas zazen dans le but de construire un avenir. On pratique zazen afin de libérer notre nature profonde enfermée dans le moi mondain, l'ego. C'est pourquoi on désigne zazen comme étant une pratique sans but. Parce que le but n'est autre que ce qui est dès l'origine de mon existence : ma vraie nature, ma nature essentielle. Zazen n'a donc rien à voir avec les méthodes proposées dans le cadre du développement personnel ni avec les pratiques méditatives qui s'appuient sur l'usage du mental (mind). Ces différentes méthodes proposent un "chemin d'exercice et d'expérience". Le Zen propose un chemin d'expérience et d'exercice.
La liste des cent (100) bienfaits promis à celles et ceux qui vont pratiquer la méditation de pleine conscience n'a absolument rien à voir avec la pratique méditative sans objet appelée zazen. Zazen, n'a d'autre but que l'éveil de nos potentialités innées qui ne peuvent être construites à coups d'exercices.
Zazen ? "C'est être assis (Za) comme un bébé est allongé dans son berceau !" (Michiko Nojiri - Maître du Chado).
Voici ce qu'écrit Christian Bobin (3) : "Les bébés sont les grands sages. Le vrai savoir est dans leurs yeux.(...) Une de leurs grandes vertus est de ne pas être aveuglés par un savoir. Ils regardent sans morale, sans aucune prétention, sans philosophie, sans religion, sans aucune précaution. Il n'y a aucune distance entre leurs yeux et Dieu ou les anges. Ou les atomes de l'air si l'on ne croit pas en Dieu ou aux anges. Les bébés sont à une cloison de papier de riz de la vérité."
L'ensemble des doctrines concernant une conception nouvelle de l'homme a pour but ce que révèle cette idée absurde ... "rien que du bonheur"! À la pointe de ce désir égotique il y a aujourd'hui l'idée d'accéder à un "homme augmenté".
Cette arrogante vanité qui promet le passage d'un ego de taille XXL à un ego de taille XXXL écarte plus que jamais l'être humain de sa nature essentielle qui est indépendante des conditions sociologiques ou psychanalytiques ou scientifiques. L'inobservance des intentions de l'être − ce qui fait que chacun est ce qu'il devient et devient ce qu'il est − est la cause d'un mal-être individuel qui devient un mal-être collectif. Finalement et irrémédiablement une vérité qui a sa place dans les traditions de sagesse en Orient est l'importance du CORPS sur ce chemin d'expérience et d'exercice.
Le corps vivant, Leib (4), est l'enceinte du secret qu'est le vrai soi-même. Il s'agit du corps-vivant, Leib (à ne pas confondre avec le corps-objet, objectivé mentalement, Körper). La vie n'est pas dans un contenant qu'on désigne comme étant un corps. Le corps-vivant est la vie qui, d'instant en instant, prend forme selon un ordre des choses (Tao-Do) qui n'est pas du ressort du moi, lequel pense que s'il ne fait rien, rien ne se fera.
Jacques Castermane
(1) Du côté de chez Swann, éd. Folio, p. 44-45
(2) l'art du tir à l'arc, l'art du sabre, l'art de la préparation du thé.
(3) Christian Bobin, Le Plâtrier siffleur, éd. Poésis, p.11
(4) Le corps-objet, le corps-outil = Körper dans la langue allemande.
Le corps-vivant dans sa globalité et son unité = Leib dans la langue allemande.
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2 commentaires:
Merci pour cette réflexion et poème de Christian Bobin.
Un pur cadeau.
Philippe.
Oui j'ai bien aimé aussi. Merci Philippe !
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