jeudi 24 décembre 2020

La quête du bonheur sous le signe de Noël


En ce temps de Noël, nous allons continuer sur le thème du bonheur. Je me demandais, la semaine dernière, pourquoi certaines personnes se rendent littéralement malheureuses. C’est le cas d’une partie d’entre nous. Il y a, d’un côté, le « vrai » malheur, et il y a, d’un autre côté, le cinéma que nous nous faisons. Il y a, en particulier, les contraintes de l’idéal, c’est-à-dire les définitions que nous nous donnons de notre propre bonheur, définitions qui nous enferment : je serai heureux quand j’aurai atteint tel but, quand je serai reconnu dans tel domaine, quand mes enfants auront réussi leurs études comme je l’attendais, quand je serai entendu dans mes pensées profondes sur l’avenir du monde, quand j’aurai la place que je cherche à gagner en mon existence.

Tout cela n’est en rien choquant, et confère des buts à la vie. En même temps, il nous arrive de mettre la barre trop haut et de souffrir des objectifs que nous ne sommes pas en capacité d’atteindre. Les contraintes de l’idéal pèsent sur nous. Nous « devons » réussir nos vies et nous donner des objectifs, extrêmement moraux, extrêmement contraignants qui orientent nos trajectoires d’existence. Notre époque se veut libérée, mais n’est pas exempte de ces contraintes de perfection ou de moralisme. Cela ne fonctionne pas toujours. Ce que nous cherchons ne marche pas forcément, quand bien même nous sommes des gens très bien, et quel que soit notre niveau de responsabilité, philosophes, journalistes, universitaires, professeurs, gouvernants, managers, responsables de tous ordres, et tout simplement responsables de nous-même et de notre petite famille et de son cercle de proches, et de quelques-uns du côté de notre monde professionnel. Rien ne marche quand on attend trop, ou bien quand on attend en mettant seulement les autres, et pas d'abord soi-même, au travail.

Le bonheur, la plénitude se réalisent dans la faille, dans l’imparfait, dans l’angle mort de ce que nous avons prévu.

On attend, on attend que les autres fassent, que la société mette en place ce qui est bien, que nos familiers nous gratifient ou nous reconnaissent. Mais la réalité n’est pas ainsi. Elle ne gratifie pas nécessairement, ou pas tout de suite. Il faut savoir attendre… Le signe de Noël est simple comme la vie nue. Le bonheur, la plénitude ne se réalisent pas selon ce que nous attendons, en tout cas dans la dimension grandiose de ce que nous attendons. Ils se réalisent dans la faille, dans l’imparfait, dans l’angle mort de ce que nous avons prévu.

Il ne faut plus attendre quelque chose de précis qui nous satisfasse, il faut (simplement) vivre en attendant. Quelque chose se passe dans l’angle mort de nos désirs précis, dans l’inconnu de ce qui ne marche pas, comme dans la mangeoire d’une étable, dans l’arrière-monde de ce qui est souhaité. Il ne s’agit pas de savoir, de comprendre, ou de planifier… Les idéaux faciles ne sont plus de ce monde, en cette période de Covid, en cette époque de défaillance de l’espoir. Et pourquoi pas…

Il faut laisser la place à autre chose, qui ne soit pas du registre d’une attente pour soi, d’un idéal enfermant, mais simplement d’une déchirure, d’une ouverture sur un ailleurs qui nous libérerait des idéaux trop personnels ou trop faciles. Les idéaux sont désirables, souhaitables, mais qui peut les vivre complétement dans leurs extrêmes, en un imaginaire de totale plénitude ? L’incertitude et le doute sont des moments où peut s’ouvrir le temps que nous croyons posséder, vers autre chose que nous n’avons jamais su anticiper… Quelque chose comme le bonheur.

Jacques Arènes, psychologue et psychanalyste
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