La comédienne évoque le dernier livre de Christiane Singer, qu'elle a enregistré, ainsi que les lectures qui ont été décisives dans sa vie.
Quand l'éditeur de livres enregistrés sur CD, Audiolib, a proposé à Juliette Binoche de lire l'ultime livre de Christiane Singer, écrivain de haut vol qui n'a cessé d'explorer la dimension spirituelle de l'être humain, l'actrice a accepté aussitôt, trop heureuse de prêter sa voix à cet auteur qui l'a aidée à traverser certaines épreuves. Derniers fragments d'un long voyage a été écrit au jour le jour par Christiane Singer pendant les six derniers mois de sa vie, alors qu'elle se savait condamnée à courte échéance. Un témoignage extraordinaire: «On peut monter en maladie comme vers un chemin d'initiation, à l'affût des fractures qu'elle opère dans tous les murs qui nous entourent, des brèches qu'elle ouvre vers l'infini. Elle devient alors l'une des plus hautes aventures de la vie.»
25/03/2010
LE FIGARO. - Qu'est-ce qui vous impressionne le plus dans ce témoignage?
Juliette BINOCHE. - La descente corporelle, le renoncement face à la mort, la chute intérieure, cette ouverture du cœur qui va jusqu'à la transparence, l'acceptation d'une autre vie à laquelle ouvre la mort, ce oui final, ce courage de témoigner, quand la souffrance physique refluait et lui permettait d'écrire. Elle a essayé de servir jusqu'au bout, pour tenter d'attirer d'autres personnes à voir la vie autrement. C'est un livre très important, notamment pour ceux qui accompagnent une personne très malade : on a des idées préconçues, on croit qu'il faut lui dire de s'accrocher à la vie, au lieu d'être en silence, de lâcher prise.
Comment avez-vous lu ce texte?
J'avais la trouille, je ne suis pas à l'aise avec la lecture parce que j'ai appris à lire tard. Pourtant, une de mes passions était de lire des histoires à mes enfants le soir, les albums de Claude Ponti, les contes d'Andersen, les contes russes. Pour Derniers fragments d'un long voyage, le premier jour d'enregistrement, je l'ai lu trop vite, ça n'allait pas. Ce n'est pas un texte qu'on peut lire. Il fallait que je prête mon corps à l'expérience de Christiane. Je suis passée par des frissons glacés, des moments de légèreté, de bonheur, même.
Quels sont les livres qui vous ont marquée au cours de votre vie?
Du bon usage des crises, de Christiane Singer, est un livre que toutes les femmes devraient lire. C'est un maître à penser, un écrivain qui ouvre le regard. Elle lit les contes, les mythes, avec une largesse de vue et une intelligence extrêmes. Je me rappelle qu'elle n'aimait pas l'histoire de la chèvre de M. Seguin qui est sous-tendue par l'idée que, lorsqu'on désobéit, on se fait bouffer ! On a besoin de se séparer de ses vieilles peaux, de ses habitudes, on a besoin d'espaces de transgression. À l'âge de 21 ans, j'ai été très marquée par La Vie des maîtres, de Baird Spalding, l'histoire de scientifiques américains qui découvrent au contact de maîtres orientaux la puissance de l'esprit sur la matière. Le récit de la vie de Satprem m'a beaucoup impressionnée aussi, notamment lorsqu'il écrit qu'il ne s'est jamais senti aussi libre qu'enfermé dans un camp de concentration. J'ai découvert Une vie bouleversée d'Etty Hilsum il y a une vingtaine d'années. C'est un livre majeur, que j'ai d'ailleurs proposé d'enregistrer sur CD. L'exégète orthodoxe Jean-Yves Leloup m'a introduit à une autre manière de traduire les textes bibliques. À sa suite, j'ai lu l'Évangile (apocryphe) de Thomas, de Philippe, de Judas, de Marie-Madeleine. Chaque soir, pour mon spectacle de danse, avant d'entrer en scène, je lisais un poème d'Henri Michaux : Le Clown.
Vos lectures sont surtout spirituelles?
J'en ai besoin, c'est ma respiration, au milieu de tous les scénarios que je lis.
Aimez-vous certains auteurs littéraires classiques?
Adolescente, j'ai dévoré les auteurs russes, Dostoïevski, Pouchkine. Balzac aussi. Son sens de l'observation sociale et psychologique me passionnait. Il y a des passages de poésie pure dans ses romans, une écriture qui coule de lui.
Et les auteurs contemporains?
J'ai des amis écrivains qui me reprochent de ne pas lire tous leurs livres !
Ecoutez-vous des livres enregistrés?
Oui, dans ma voiture, des conférences de philosophes ou de professeurs. Ou des textes anglais.
Il y a deux ans, vous avez publié des poèmes, (Portraits in-eyes, Place des Victoires). Avez vous d'autres projets d'écriture?
Je ne me suis pas assise à mon bureau en me disant que j'allais écrire des poèmes. J'ai l'habitude d'écrire des textes, de temps en temps, par périodes. Avant de les publier, je les ai élagués car je suis avide de quintessence. Ils sont devenus des poèmes. Je reviens de l'Antarctique, où j'ai pris plein de photos. Est-ce que j'aurais envie d'écrire à partir de ça ? Peut-être, je ne sais pas, c'est trop tôt pour le dire. Mais le champ de l'écriture reste ouvert.
Derniers fragments d'un long voyage de Christiane Singer, livre audio lu par Juliette Binoche.
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25/03/2010
LE FIGARO. - Qu'est-ce qui vous impressionne le plus dans ce témoignage?
Juliette BINOCHE. - La descente corporelle, le renoncement face à la mort, la chute intérieure, cette ouverture du cœur qui va jusqu'à la transparence, l'acceptation d'une autre vie à laquelle ouvre la mort, ce oui final, ce courage de témoigner, quand la souffrance physique refluait et lui permettait d'écrire. Elle a essayé de servir jusqu'au bout, pour tenter d'attirer d'autres personnes à voir la vie autrement. C'est un livre très important, notamment pour ceux qui accompagnent une personne très malade : on a des idées préconçues, on croit qu'il faut lui dire de s'accrocher à la vie, au lieu d'être en silence, de lâcher prise.
Comment avez-vous lu ce texte?
J'avais la trouille, je ne suis pas à l'aise avec la lecture parce que j'ai appris à lire tard. Pourtant, une de mes passions était de lire des histoires à mes enfants le soir, les albums de Claude Ponti, les contes d'Andersen, les contes russes. Pour Derniers fragments d'un long voyage, le premier jour d'enregistrement, je l'ai lu trop vite, ça n'allait pas. Ce n'est pas un texte qu'on peut lire. Il fallait que je prête mon corps à l'expérience de Christiane. Je suis passée par des frissons glacés, des moments de légèreté, de bonheur, même.
Quels sont les livres qui vous ont marquée au cours de votre vie?
Du bon usage des crises, de Christiane Singer, est un livre que toutes les femmes devraient lire. C'est un maître à penser, un écrivain qui ouvre le regard. Elle lit les contes, les mythes, avec une largesse de vue et une intelligence extrêmes. Je me rappelle qu'elle n'aimait pas l'histoire de la chèvre de M. Seguin qui est sous-tendue par l'idée que, lorsqu'on désobéit, on se fait bouffer ! On a besoin de se séparer de ses vieilles peaux, de ses habitudes, on a besoin d'espaces de transgression. À l'âge de 21 ans, j'ai été très marquée par La Vie des maîtres, de Baird Spalding, l'histoire de scientifiques américains qui découvrent au contact de maîtres orientaux la puissance de l'esprit sur la matière. Le récit de la vie de Satprem m'a beaucoup impressionnée aussi, notamment lorsqu'il écrit qu'il ne s'est jamais senti aussi libre qu'enfermé dans un camp de concentration. J'ai découvert Une vie bouleversée d'Etty Hilsum il y a une vingtaine d'années. C'est un livre majeur, que j'ai d'ailleurs proposé d'enregistrer sur CD. L'exégète orthodoxe Jean-Yves Leloup m'a introduit à une autre manière de traduire les textes bibliques. À sa suite, j'ai lu l'Évangile (apocryphe) de Thomas, de Philippe, de Judas, de Marie-Madeleine. Chaque soir, pour mon spectacle de danse, avant d'entrer en scène, je lisais un poème d'Henri Michaux : Le Clown.
Vos lectures sont surtout spirituelles?
J'en ai besoin, c'est ma respiration, au milieu de tous les scénarios que je lis.
Aimez-vous certains auteurs littéraires classiques?
Adolescente, j'ai dévoré les auteurs russes, Dostoïevski, Pouchkine. Balzac aussi. Son sens de l'observation sociale et psychologique me passionnait. Il y a des passages de poésie pure dans ses romans, une écriture qui coule de lui.
Et les auteurs contemporains?
J'ai des amis écrivains qui me reprochent de ne pas lire tous leurs livres !
Ecoutez-vous des livres enregistrés?
Oui, dans ma voiture, des conférences de philosophes ou de professeurs. Ou des textes anglais.
Il y a deux ans, vous avez publié des poèmes, (Portraits in-eyes, Place des Victoires). Avez vous d'autres projets d'écriture?
Je ne me suis pas assise à mon bureau en me disant que j'allais écrire des poèmes. J'ai l'habitude d'écrire des textes, de temps en temps, par périodes. Avant de les publier, je les ai élagués car je suis avide de quintessence. Ils sont devenus des poèmes. Je reviens de l'Antarctique, où j'ai pris plein de photos. Est-ce que j'aurais envie d'écrire à partir de ça ? Peut-être, je ne sais pas, c'est trop tôt pour le dire. Mais le champ de l'écriture reste ouvert.
Derniers fragments d'un long voyage de Christiane Singer, livre audio lu par Juliette Binoche.
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3 commentaires:
"Etre là ensemble à un moment donné"
"Si on ne désobéit pas à soi-même en premier, à ce qu'on a l'habitude de faire, je crois qu'on ne peut pas vraiment se réaliser, en touts cas artistiquement"..
Merci Ami..
je vous offre un coeur où se lover...
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