vendredi 15 octobre 2021

Partage d'un chemin

 

“Well the image is one thing, and human being is another”
Elvis Presley
REQUIEM POUR UN FOU : LA CAGE DES ENSEIGNANTS SPIRITUELS

En tant qu’enseignants spirituels, nous nous trouvons bien souvent confrontés à nombre de projections. Il n’est pas simple de s’en extraire, mais il est indispensable d’essayer, et si possible, de réussir. Bien entendu, dans un monde idéal, ce devrait être un des critères principaux d’évaluation d’un enseignant spirituel. Oui mais voilà, nous ne sommes pas dans un rêve, ni dans un monde idéal. Nous devons donc nous confronter à l’épreuve du réel.
Je ne veux pas parler ici pour d’autres, mais juste de mon expérience.
J’ai commencé à enseigner très tôt, à l’âge de 22 ans. J’avais été un enfant et un ado très vite parentifié, et j’ai toujours été, aussi loin que je m’en souvienne, l’élément stable de ma famille, et plus tard, des différents lieux où je me suis trouvé. En Ba Zi, dans mon pilier professionnel, j’ai un bois Yang dans les troncs célestes. Comme il s’agit d’un élément facile à découvrir quand il est en surface, j’ai très vite incarné ce chêne stable sous lequel tout le monde vient se protéger en cas de besoin.
J’ai donc commencé à enseigner tôt, beaucoup trop tôt. Et déjà, tant de projections sur moi. Aurais-je dû être parfait ? Peut-être, mais je ne l’étais pas. Je suis un instinctif profond, j’ai besoin d’expérimenter pour comprendre. Il m’est impossible d’élaborer ou de sentir les choses à distance. J’ai donc fait passablement d’expériences pour me trouver et pour trouver une voie qui me permette de m’épanouir tout en étant au service des autres et du plus grand que moi.
Que d’erreurs en chemin, que d’essais approximatifs, que de baffes, de réussites parfois, que de choses dont je ne suis pas fier mais que je sens en même temps aujourd’hui comme inéluctables dans une trajectoire humaine, si humaine. Mais j’emmagasinais de l’expérience, j’ai toujours voulu approfondir les choses et comprendre, bouger, sentir, essayer encore. J’ai besoin d’être au cœur des choses.
Plus tard, j’ai visé l’éveil, des stages de 12h par jour, des week-ends entiers à méditer, des retraites, des lectures. Et j’ai vécu plusieurs fois des choses que d’autres décrivent comme des états d’éveil. Je me suis toujours refusé à essayer de nommer cet état, ni à essayer de le figer. Il ne change rien, de toute façon. Les montagnes restent des montagnes.
Mais l’avoir vécu m’a guéri pour toujours de vouloir en faire un concept, qqch de figé. Et j’ai surtout compris qu’il ne nous rendait pas meilleurs, pas plus humains, pas plus matures dans certaines de nos blessures. L’éveil ? Une chimère de plus, un gros piège pour l’ego, un mirage et un miroir dans lequel tant se perdent à se contempler.
Cela n’a jamais changé depuis. Je sais où je vais, mais je veux y aller par le véhicule d’une humanité entière, totalement imparfaite, et pourtant parfaite dans sa majestueuse imperfection.
Je veux pouvoir être en colère, et en rire ensuite. Et pouvoir m’excuser. Je veux pouvoir aimer, mal ou maladroitement, ou pour un temps, mais aimer en toute imperfection. Je veux pouvoir raisonner de biais parfois, et droitement souvent. Je veux pouvoir me tromper, tomber, recommencer.
Être une merde et un diamant. En blessant le moins possible, mais en sachant que c’est inévitable parfois, et en aimant le plus possible, en sachant que ce ne sera jamais suffisant. Je veux pouvoir être sous l’eau, me noyer, remonter, et appeler à la résurrection. Je veux même bien être crucifié, mais gentiment, avec des clous de pacotille, juste pour croire que je suis courageux.
Surtout, je veux pouvoir créer, me planter, recommencer, encore et encore. Et je veux inspirer, non pas pour que quiconque me ressemble, mais pour que l’autre s’approche de lui-même ou d’elle-même et se permette la même folie d’être parfaitement imparfait.
Ceci est ma voie spirituelle, mon chemin vers le divin. Je veux l’or dans la boue, Elvis quand il faudrait aimer Dylan, le sacré dans le bordel, le divin dans Bill Gates, la 5G dans le Buddha et les nanoparticules dans le bœuf de Lao Zi.
Tout ceci est une farce, de tout façon, un grand jeu cosmique, que nos minables égos essaient de rendre lisse, beau, ataraxique, sûr, et chiant au possible. Ce n’est pas ma voie. J’emmerde le concept de la non-dualité tout autant que n’importe quel système qui semble parfait de loin. Je crois à l’interstice, au vide médian, au mouvement, à la faille d’où tout peut sortir.

Alors, amis qui me suivez, qui détestez, adorez, feignez l’indifférence ou pire, vous positionnez sur votre montagne de parangon, je le sais : je ne suis pas parfait, et j’offre volontiers mon corps non pas à la science (pas encore), mais à toutes les étiquettes.
« Personne ne connaît personne » disait Prajnanpad. Je le rejoins. Ce que vous projetez sur moi, en positif comme en négatif vous appartient. Et je prends volontiers les deux pour ce qu’ils sont : les projections tellement humaines d’êtres en chemin prétendant qu’ils ne projettent rien. Exactement comme moi. En cela, nous sommes frères et sœurs humains, chacun jouant son propre jeu savant ou pas, et essayant avec plus ou moins de réussite de donner du sens aux mouvements du temps et de nos merveilleuses et improbables interactions.
Amie, ami, si c’est moi que tu veux rencontrer, rencontre-moi là où je suis : entièrement imparfait, paradoxal, mais au cœur de la spirale. C’est là que je veux apprendre avec toi, et là que je peux t’aider aussi. Mais seul.e toi peut enlever tes lunettes et me voir où je suis. Il paraît qu’aucune n’origine n’est belle. Que la beauté véritable est au terme des choses. Rejoins-moi au terme, pas à l’origine.
Malgré tout ça, je suis enseignant spirituel, et je n’usurpe rien. Je continuerai jusqu’à mon dernier souffle, qui très probablement, ne sera pas émis en 432Hz. Et meeeerde !
Fabrice

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jeudi 14 octobre 2021

Au delà de la projection....


« Et si j'essaie de ne plus penser ? Juste d'être, mais d'une conscience absolument pure, pure, qui ne contienne rien d'étranger, absolument libre. Inévitablement la pensée vient faire son commentaire et m'accompagne : "Et voici qu'un grand silence s'établit à l'intérieur de moi..." Je me passerais bien de ce commentaire-là. "Et voici qu'un calme nouveau apparaît dans mon cœur..." Je me passerais bien de cette pensée-là. "Et voici que je suis un peu fatigué, cela gêne ma méditation." Encore un autre type de pensée !
...
Vous n'êtes prisonniers de rien d'autre que de vos pensées. Vous n'avez à vous libérer de rien d'autre que de vos pensées. Voilà la vérité. Et vous n'avez pas d'autre problème que celui de vos pensées. Vous n'avez aucun problème, ni avec votre santé, ni avec votre métier, ni avec votre patron, ni avec vos enfants, ni avec votre femme, ni avec votre voisin, ni avec votre propriétaire, ni avec le maire de votre commune. Vous n'avez qu'un seul problème : un problème entre vous et vos pensées... »

Arnaud Desjardins

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mardi 12 octobre 2021

Tristesse en profondeur

 La tristesse est une des émotions profondes et il faut la garder sans objet. La tristesse ou mélancolie est un des sentiments essentiels. Une sorte de pressentiment de la tranquillité. Profondément, c'est sentir que ce que l'on cherche n'est pas atteignable dans les situations objectives. Je sens que, quoi que je fasse, la motivation qui me dirige, qui est unique et qui est celle d'être tranquille, ne trouvera pas son achèvement.


Lorsque vient une forme de maturité, cette tristesse est constamment là car, quoi que je fasse, je sais que je ne trouverai pas ce que je prétends trouver. La tristesse dans ce sens-là est une forme de maturité. Quand on connaît cette tristesse, on ne peut plus tomber amoureux. Tomber amoureux serait prétendre, encore une fois, que je vais pouvoir trouver quelque chose quelque part, ce qui est impossible dans la maturité. Dans cette tristesse, il ne reste plus aucune place pour l'attente d'une quelconque satisfaction dans le monde objectif, dans le monde phénoménal.

Quand je vois clairement qu'aucune situation phénoménale ne pourra jamais me satisfaire, que je vis avec cette constatation, cette tristesse devient un alanguissement, un pressentiment. Ce n'est plus la tristesse de quelque chose qui manque, mais c'est comme un parfum auquel petit à petit le nez se fait. Au début, le parfum est dans l'espace, on ne peut pas sentir d'où il vient, puis peu à peu on décèle son origine.

Quand on a la maturité de garder la tristesse, il se produit une certaine remontée à la source. Mais les gens qui constamment nient la tristesse, qui tombent amoureux, qui s'extasient de ceci ou de cela ne peuvent jamais remonter à la source. Ils ont cet alanguissement sur le moment, puis ils nient son authenticité en pensant de nouveau qu'une relation, qu'une situation, que quelque chose va les accomplir... Vient un moment où on ne nie plus cette tristesse.

Il n'y a rien qui puisse nous faire aller en l'avant. Quoi qui se passe, c'est la même chose. Il n'y a plus de dynamisme intentionnel. Il y a un dynamisme organique, parce que la nature de la vie, c'est l'action, mais il n'y a rien qui nous fait bouger vers quelque chose. A ce moment-là, cette tristesse devient une vraie tristesse. Et elle se révèle être un chemin, comme une fumée que l'on suit, qui va ramener vers ce qui est pressenti... Cela devient une nostalgie. Mais la moindre trahison de cette nostalgie, penser que ceci ou cela va me satisfaire, me ramène à la confusion.


Selon l'approche indienne, la tristesse est le sentiment ultime. C'est le sentiment de la séparation. Toute la musique indienne est fondée sur le sens de la séparation. Dans l'art de la miniature des contreforts de l'Himalaya, on voit souvent Radha en train de chercher Krishna.

L'émotion de base, c'est la tristesse. Cette tristesse ne laisse aucune place pour quelqu'un d'autre, aucune place pour tomber amoureux d'autre chose. Cette tristesse brûle toutes les situations objectives. Plus aucune attente n'est possible... A ce moment-là, cette tristesse se transforme de manière alchimique en pressentiment non-objectif. Il n'y a pas de direction à ce pressentiment qui devient une manière de vivre, qui ne laisse plus aucune place pour un dynamisme d'aller quelque part, d'attendre, d'espérer. Cela, c'est la vraie tristesse.

Mais tant que l'on est triste de quelque chose, triste parce que quelque chose n'est pas là ou que quelque chose est arrivé, on nie cette vraie tristesse. Alors on reste collé à la tristesse, qui devient une forme de poison pour le corps, pour le psychisme, pour la pensée. C'est dans cette conviction qu'il n'y a rien pour moi dans les situations objectives que cette tristesse se transmue en pressentiment.

Il n'y a rien à faire pour cela; c'est une maturation. Je ne peux pas mûrir volontairement, mais je peux me rendre compte de ma non-maturité. Je peux me rendre compte que je suis constamment attiré par ceci, par cela, que constamment j'essaie de créer une relation, de maintenir une relation, d'espérer une relation, de vouloir arrêter une relation, de vouloir ceci, de vouloir cela, de me trouver comme ceci, comme cela, de penser que finalement, peut-être quand j'aurai fait ceci, atteint cela, cela ira mieux. C'est une prétention, une négation du pressentiment profond qu'il n'y a rien qui puisse me satisfaire. Quand je nie ce pressentiment en attendant quelque chose qui puisse me satisfaire, la vie est misérable. Lorsque je vois clairement ce mécanisme en moi, alors la tristesse n'est plus triste. Elle devient un pressentiment, un jeûne du cœur.

La compréhension qu'il n'y a rien pour moi dans le monde objectif est un jeûne de la pensée. Mais le plus important est le jeûne du cœur : la tristesse. Je ne me cherche plus dans l'émotion. La seule émotion que je veuille, c'est cette tristesse et ce pressentiment. Il n'y a aucune ramification objective, aucune direction pour moi...

Être ouvert à la tristesse est la fidélité à la réalité de l'instant. Débarrassé de toutes ses attaches intentionnelles, cette tristesse s'effondre dans notre écoute. Fidélité sans objet à l'essentiel. Larmes de joie.

«Le seul désir. Dans la nudité des tantra»  Eric Baret

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lundi 11 octobre 2021

Hexagramme 48 : le puits ou la source intérieure

 


La source intérieure dont il est question ici évoque le « Soi » tel qu'il a été défini par Carl Gustav Jung, et que l'on pourrait résumer comme la strate la plus profonde de la psyché. Tout comme notre inconscient communique avec celui des autres sans que nous nous en rendions compte, le Soi nous relie à l’essence même de la vie, à la source commune à partir de laquelle l’être humain s’est structuré depuis ses plus lointaines origines. 

Entrer en relation avec le Soi n’est pas chose facile car il est enfoui au plus profond de nous-mêmes, comme la nappe d’eau souterraine qui alimente le puits. On peut donc également voir l’hexagramme comme une métaphore du travail psychanalytique mais aussi du cheminement spirituel. Dans les deux cas, il s'agit d’aller à la découverte de ces profondeurs, en nettoyant au long de notre « descente » tout ce qui a pollué et contaminé notre puits personnel, pour accéder finalement à l’eau limpide et nourricière qui est en chacun de nous, même si malheureusement beaucoup l’ignorent.

Nathalie Chassériau - Prendre les bonnes décisions avec le Yi-King

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dimanche 10 octobre 2021

Un moment avec André Comte Sponville

Gilles Farcet : 

Dans ma jeunesse, disons entre 25 et 38 ans, j’ai eu, de par ma vie professionnelle, le privilège de dialoguer avec de grandes figures intellectuelles et artistiques , dont certaines comptent parmi les plus marquantes de notre temps. Je ne parle pas du tout uniquement des figures « spirituelles » mais bien d’écrivains, philosophes, artistes… Tout en étant, de fait, une manière de « journaliste », j’ai joui d’une incroyable liberté et latitude. Les différents médias qui m’employaient (France Culture, Sens Magazine, Nouvelles Clés notamment) m’accordaient un espace rare, propice à approfondir un propos plutôt que de le survoler. 

Le temps me parait venu de republier ces entretiens, en vérité très nombreux, en commençant par peu à peu les poster sur ma page d’auteur. Presque tous ces entretiens ont au moins trente ans. Beaucoup de ceux et celles avec qui je me suis entretenu , au moins quinquagénaires ou sexagénaires à l’époque, ne sont plus de ce monde. Et comme leur parole semble pertinente… Notons que ces propos datent d’un monde d’avant internet et les réseaux sociaux. Ces rencontres ont contribué à façonner ma perspective. Elles m’ont en tout cas vacciné de certaines facilités et de bien des raccourcis pseudo spirituels. 

Aujourd'hui, après Paul Ricoeur et Albert Jaccard, Jean Marie Pelt, 

André Comte Sponville (entretien réalisé en 1991)

Je philosophe pour sauver ma peau et mon âme
Réservé, sec mais distingué, André Comte-Sponville n’a jamais donné dans la frivolité: adolescent, il songe au sacerdoce, puis abandonne le credo catholique pour les articles de foi de parti communiste. Il sort presque indemne de ces conversions successives pour, au bout de la route, se découvrir simplement philosophe… et entreprendre un autre cheminement dont ses trois ouvrages sont autant de jalons. Enseignant à Paris I, l’auteur du Traité du désespoir et de la béatitude et d’Une Education philosophique nous a rappelé que la philosophie pouvait être non seulement accessible mais plus encore attrayante sans pour autant sacrifier, comme certains, à la pensée spectacle. Sans doute faut-il y voir la raison d’un relatif succès dont cet auteur encore jeune et qui croyait n’écrire que pour les happy few s’avoue le premier surpris.
Au-delà d’une mécanique intellectuelle bien huilée, il y a chez lui comme une urgence. La démonstration à laquelle se livre le Normalien n’est que le savant emballage d’un matériau brut: le questionnement chevillé au corps d’un homme sensible que la difficulté d’être a depuis longtemps contraint à se demander comment vivre.

Gilles Farcet: Parmi les philosophes d’aujourd’hui, vous êtes un oiseau rare en ceci que pour vous, la philosophie n’est pas une fin en soi…


André Comte-Sponville: En elle-même, la philosophie n’a pas d’intérêt. Elle n’échappe au ridicule que si elle aide à vivre mieux. Ainsi que je le dis souvent, philosopher, c’est penser sa vie et vivre sa pensée. Tout le reste n’est que bavardage de la raison.
Un bavardage très répandu…
Certes! Il m’a très tôt semblé que la philosophie s’enfermait dans deux impasses: d’une part, l’érudition universitaire qui passe son temps à commenter les grands textes du passé, non pour y chercher des leçons de vie mais pour le plaisir du commentaire. Notez que cela n’est pas neuf: à l’un de ses disciples qui confondait la philosophie et l’histoire de la philosophie, Epictète adressait déjà cette remontrance: « jusqu’à quand pèseras-tu de la cendre? » Nombre de nos universitaires, y compris les plus talentueux, passent leur temps à peser de la cendre. Moi, ce qui m’intéresse, c’est la braise et le feu. D’autre part, il y a ce que j’appellerais la philosophie chic et choc, laquelle confond philosophie et journalisme, fait des livres pour le plaisir que l’on en parle, bref prend la pensée pour l’un des arts du spectacle. Entre ces deux impasses sans doute y a-t-il place pour une autre chose, à savoir la philosophie elle-même. C’est à elle que je tente de me consacrer.

Vous ramenez donc la philosophie à son étymologie, l’amour de la sagesse…

En effet. Et si je passe, dans le paysage philosophique actuel, pour un oiseau rare, je me sens par contre en accord avec tous les grands philosophes du passé, lesquels ont toujours vu la philosophie comme étant au service de la vie. C’est avec cette tradition que je renoue.
Comment en est-on arrivé à ce divorce entre la philosophie et la vie?
Je crois que, confrontés aux progrès fulgurants des sciences, les philosophes ont voulu faire aussi bien. Autrement dit, il y a chez presque tous les philosophes la volonté de faire de la philosophie une science. Or, il s’agit là d’une tentative vouée à l’échec puisque la philosophie n’est pas une science et ne saurait le devenir. Tout au plus les philosophes peuvent-ils singer la forme du discours scientifique, c’est à dire verser dans l’abstraction et adopter un vocabulaire technique. Si bien que l’on en arrive à cette situation étonnante où les philosophes ne peuvent plus être lus que par leurs pairs. Ils s’enferment dans des discours abscons qui ne sont plus intelligibles pour le public et le sont à peine, soyons francs, pour les philosophes eux-mêmes. Ce qui, du même coup, rend leurs efforts inutiles. Pascal résumait ainsi son appréciation de Descartes: « inutile et incertain ». Combien plus justement pourrait-on dire cela de Derrida, de Lyotard, de Deleuze… qui n’en sont pas moins des gens de grand talent et dont on ne saurait dire qu’ils ne travaillent pas. Je ne leur reproche que de me paraître inutile face à Epicure, Spinoza ou Montaigne, lesquels me semblent, au contraire, d’une urgence, d’une gravité, d’une importance exceptionnelles. S’ils ne sont pas moins incertains que les autres, ils sont, à mon sens, utiles.

« Ce qui m’intéresse, » dites vous, « c’est la braise et le feu »; voilà un vocabulaire de mystique…
Tout dépend ce qu’on entend par mystique. Si l’on désigne par ce mot une aventure spirituelle, il est clair que toute philosophie authentique est une mystique. Etant une aventure spirituelle, elle ne peut s’abstenir de rencontrer, entre autres choses, ce que nous disent les mystiques de leurs expériences. Plusieurs des philosophes qui m’ont le plus marqués décrivent précisément des étapes qui correspondent bel et bien à des états mystiques. Spinoza, par exemple, parle « d’éternité », de « plénitude », de « salut »; il s’agit donc bien d’un « mysticisme, mais d’un mysticisme sans mystère » dans la mesure où ce « salut » ne vaut pas après la mort mais dans cette vie-ci. Les philosophes en général se méfient du mystère puisqu’il ne désigne, au fond que notre ignorance. Ce qui est mystérieux, c’est ce que nous ne connaissons pas. Or, l’ignorance n’est jamais un argument. Je crois qu’en dépit de son étymologie, le mysticisme n’a que très peu à voir avec le mystère. Ceux qui travaillent dans le mystère, ce sont les prêtres. Je dis souvent que la religion, c’est le maximum de mystère alors que le mysticisme, c’est le maximum d’évidence. Les philosophes sont en quête d’une évidence qui serait celle de la vie, de la pensée, et non des dogmes ou des rites.

Vous faites vôtre cette définition d’Epicure: « La philosophie est une activité qui, par des discours et des raisonnements, nous procure la vie heureuse. » Les discours et les raisonnements suffisent-ils à rendre heureux? Que valent la raison et le discours face aux épreuves, ou même aux petits agacements du quotidien? Plus directement, vos discours et vos raisonnements vous ont-ils, André Comte-Sponville, procuré la vie heureuse?

D’abord, Epicure ne dit pas que la philosophie soit la seule voie d’accès au bonheur. Reste que tout homme est amené à produire des discours et des raisonnements. Etant un animal philosophant, l’homme ne peut vraiment s’en passer. Chacun parle et raisonne, autrement dit, philosophe - bien ou mal, les grands philosophes étant ceux qui nous apprennent à philosopher un peu moins mal. Cela dit, et quelque juste que soit en elle-même cette définition, il est évident que la philosophie échoue. C’est vrai, les discours et les raisonnements ne suffisent pas à être heureux. L’admettant, j’essaie de faire preuve d’une humilité théorique - à cause de laquelle je ne suis pas un philosophe dogmatique, mais un sceptique, plus proche de Montaigne ou de Hume que de Spinoza ou d’Epicure - et d’un humilité pratique: je constate que la vie est difficile, que le bonheur n’est pas à portée de main. Peut-être certains peuvent-ils l’atteindre; mais pour moi qui suis peu doué pour le bonheur, j’ai toujours le sentiment que la philosophie ne parvient pas à le procurer, pour des raisons qui tiennent à la nature elle-même de la vie et de l’individu. En revanche, je crois que la philosophie peut aider à vivre moins mal. Si elle ne suffit pas, elle permet de déblayer le terrain et de se préparer au bonheur. Il y a des discours et des raisonnements qui ouvrent à la vie, aident à vivre davantage, avec plus de clarté et de lumière, tandis que d’autres, au contraire, nous éloignent de la vie, en nous enfermant, justement, dans les discours.

Vous dites malgré tout, dans un texte retraçant votre « éducation philosophique » que la philosophie vous a rendu moins malheureux et vous aide même aujourd’hui à vivre « plutôt heureusement »…
C’est vrai. Autant je ne suis pas un sage, autant la philosophie m’a aidé à vivre mieux. Je dis souvent qu’on ne philosophe ni pour passer le temps ni pour jouer avec les concepts mais pour sauver sa peau et son âme. Eh bien, je suis toujours vivant… En dépit d’une existence qui, comme toutes les autres, fut parfois difficile et au fond, l’est encore, j’arrive à vivre d’une manière qui me satisfait. Je puis adhérer à ce qu’est mon existence et à sa difficulté. A défaut de pouvoir être heureux, ce qui supposerait d’être un sage, le premier pas vers la sagesse consiste à accepter sa folie, sa souffrance, son angoisse. Sans doute ce premier pas est-il aussi le plus difficile: devant le malheur, notre premier mouvement est de révolte, et ce refus ne fait que nous enfermer dans ce à quoi nous voudrions échapper.

Vous distinguez nettement le sage du philosophe…
Oui, et j’attache une grande importance à cette distinction. Le but n’est pas de philosopher toujours. Le sage se reconnaît à cela qu’il n’a plus besoin de la philosophie. La philosophie, c’est un certain discours; la sagesse, c’est un certain silence. Nous connaissons tous des moments de sagesse, autrement dit de paix, de simplicité, de silence. Et puis, il y a tous les autres jours, la quotidienneté et des périodes où l’existence est trop difficile pour que nous puissions habiter en paix le silence. C’est là où la philosophie est utile, voire indispensable. C’est précisément parce que je ne suis pas un sage que j’ai besoin de la philosophie.

En somme, vous ne croyez pas à la philosophie?
Pascal et Montaigne n’y croyaient pas non plus. Parfaitement lucides quant à l’échec de la philosophie, ils n’en philosophaient que mieux. C’est pourquoi Montaigne m’est si proche: il n’est sûr de rien et sait qu’il n’y a pas de recettes pour le bonheur. En revanche, il y a cette vie, dont il donne l’exemple, tantôt heureuse, tantôt malheureuse. On n’est pas heureux comme on est grand ou petit, cela dépend des jours et des moments. Mais on est plutôt plus heureux avec la philosophie que sans, du moins si l’on s’interdit l’illusion et le mensonge. Car après tout, si l’on ne voulait qu’être heureux, il suffirait de se raconter des histoires. Le plus simple serait de croire en Dieu… Or, si le bonheur est bien le but de la philosophie, il ne constitue pas sa norme. La norme de la philosophie, autrement dit la valeur à laquelle elle doit se soumettre, c’est la vérité. Je ne dois pas penser une idée parce qu’elle me rend heureux mais seulement parce qu’elle me paraît vraie. Si le philosophe a le choix entre une vérité et un bonheur, il n’est philosophe qu’en tant qu’il choisit la vérité. « Il se pourrait que la vérité fût triste », disait Renan. Il se pourrait, en effet. Mais mieux vaut une vérité triste qu’un mensonge joyeux. Mieux vaut une vraie tristesse qu’une fausse joie.

D’aucuns jugeraient suspecte cette notion de « vérité »…
Quand je parle de « vérité », j’entends bien sûr une vérité apparente, puisque l’on est jamais certain de connaître « la vérité ». Le philosophe cherche sa vérité à lui, celle qui lui paraît la plus probable. Ensuite, il s’agit de savoir comment se débrouiller pour être heureux sans perdre cette vérité de vue. Ce qui me paraît à moi, le plus probable, c’est que Dieu n’existe pas et qu’il n’y a rien après la mort. Je serais bien plus heureux si je croyais le contraire. Mais ma vérité apparente, c’est au fond le désespoir, le fait que la vérité ne répond pas à nos espérances, autrement dit que la vérité est désespérante. Tout mon parcours de philosophe consiste à ne pas transiger avec cela. N’allons pas nous inventer de fausses espérances, ne nous égarons pas dans le divertissement. Affrontons ce désespoir de face et voyons comment être, malgré tout, sinon heureux, en tout cas un peu moins malheureux.

Sur la foi, n’êtes vous pas un peu court? Les croyants sont-ils nécessairement plus heureux que vous?
La foi aide malgré tout à vivre, ne serait-ce que parce que la certitude de la mort est l’une des grandes choses qui nous séparent du bonheur. Mais il est vrai que la vie se venge et que nombre de croyants ne sont finalement pas heureux. Comme le dit fort justement Spinoza, il n’y a pas d’espoir sans crainte ni de crainte sans espoir. L’espérance religieuse, comme d’ailleurs toute espérance, recèle en son fond une angoisse. Voilà pourquoi la sagesse - la sérénité, l’absence de toute crainte - me semble, encore une fois, résider du côté du désespoir. Nous n’aurons de bonheur qu’à proportion du désespoir que nous serons capables de supporter. S’il n’y a pas non plus de bonheur dans la religion, c’est qu’elle n’est finalement qu’une espérance comme une autre.

Vous ne parlez que d’un certain stade de la foi. Reste que certains mystiques semblent bien avoir été heureux…
Affirmant qu’il n’y a pas de bonheur dans la religion, j’allais ajouter: sauf pour ceux qui n’espèrent plus rien de Dieu, peut-être parce qu’ils ont le sentiment que tout est déjà là. Mais à ce stade, ont-ils encore besoin de Dieu? En fidèle serviteur de l’Eglise, le Cardinal de Lubac condamne ce mysticisme « qui n’est souvent qu’un athéisme hypostasié ». On ne saurait mieux dire. D’où mon intérêt pour certaines formes de bouddhisme où l’on ne s’attache à construire un idole que pour ensuite la détruire. Pour moi, la seule utilité de Dieu, c’est de permettre ensuite de s’en déprendre. Toute croyance est là pour être dépassée et c’est là que l’on retrouve l’exigence de la philosophie.

Philosophe désespéré de la philosophie comme espérance, n’aspirez-vous pas à la sagesse?
Me connaissant trop bien, je suis convaincu qu’il m’est impossible de devenir sage. J’en ai rêvé, c’est vrai… du temps de ma jeunesse, lorsque je suis sorti du bavardage philosophique, je me suis lancé dans cette aventure spirituelle que j’évoquais avec une sorte d’exaltation. J’ai tellement rêvé de la sagesse que ce dont je rêvais m’est finalement apparu comme une espérance parmi d’autres qui me séparait de la vraie vie et du réel. J’ai donc commencé à y penser de moins en moins et par là-même à m’en rapprocher quelque peu. Je crois que le sage se reconnaît à ce que la sagesse n’est pas du tout son problème ni même sa solution. Montaigne est d’abord sage par son acceptation de ne pas l’être. Et puis l’on est plus ou moins doué pour la vie. Pour ma part, j’avais besoin de philosopher beaucoup pour dépasser une extrême difficulté et parvenir à survivre. Epicure et Lucrèce étaient d’accord en tout. Mais alors qu’Epicure avait tant de dispositions pour le bonheur, Lucrèce en avait tellement peu… Il n’en est que plus émouvant, que plus moderne, dirais-je même. Car peut-être avons-nous, en raison de ce qu’est notre civilisation, moins de facilité pour le bonheur que n’en avaient les anciens Grecs. Lequel d’entre-nous serait pleinement heureux face à un enfant en proie aux pires souffrances? Or, le développement de l’information nous place sans répit face à cet enfant. Cette confrontation permanente à la proximité immédiate du pire change profondément le climat spirituel de notre époque. Là encore, la vérité prime sur le bonheur. J’attache plus d’importance au fait de ne pas oublier l’atrocité environnante qu’à mon propre bonheur. Je suis un moderne et être moderne, c’est habiter l’horreur quotidienne.

Vous êtes père de famille. Votre désespoir ne vous a donc pas retenu de procréer. Or des gens dont on pourrait croire la pensée proche de la vôtre, comme Cioran ou Thomas Bernhard, parce qu’ils disent habiter l’horreur quotidienne et vivre dans la proximité du pire, se sont toujours refusé à mettre un enfant au monde…
Cela tendrait à prouver qu’aucun des deux n’a atteint l’essentiel, ne l’a seulement entrevu. Un jour que je disais à Roland Jaccard: « Au fond, la fin du monde entraînerait moins de malheur que sa continuation ». Il s’est écrié: « Avec une pensée pareille comment peux-tu faire des enfants? » Je dirais simplement ceci: on ne fait pas des enfants pour le bonheur; ni pour le sien ni même pour le leur. Mes enfants n’ont pas augmenté ma part de bonheur. Pour moi qui suis un anxieux, être père représente beaucoup d’angoisse, de soucis et de fatigue. Sans doute, la vie sans eux serait-elle plus facile. On fait des enfants pour l’amour et par l’amour. Ce que je sais d’expérience et qui prouve au moins quelque chose sur moi-même et sur ma vie, c’est que ce que j’ai vécu et vis avec mes enfants est de très loin la plus forte histoire d’amour dont j’aie jamais été capable. Je sais aussi que si nous vivons, si nous continuons cette difficile aventure qu’est la vie, c’est par amour. L’amour est la seule chose qui vaille vraiment et le rapport de filiation est le lieu même de l’amour, celui où il s’invente. Si nous avons appris à aimer, c’est pour avoir été aimés par nos parents, tous les psychologues le savent. La famille est en ceci le creuset où l’amour se reproduit et se multiplie. C’est donc parce que l’amour vaut mieux, non seulement que la haine, bien sûr, mais que le confort et la tranquillité, parce que l’amour vaut mieux que le bonheur, s’il s’agit d’un bonheur sans amour, que j’ai fait des enfants. Sincèrement, je ne le regrette pas.

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samedi 9 octobre 2021

Interview de Matthieu Ricard

 Sa "naissance", écrit Matthieu Ricard dans ses mémoires, remonte à sa rencontre avec son maître, Kangyour Rinpoché, le 12 juin 1967, à l'âge de 21 ans : "J'ai compris que ce qui me manquait en fait dans l'existence. J'ai été très privilégié dans ma jeunesse. J'ai été entouré de grands philosophes, mon père et tous ses amis, ma mère, Yahne Le Toumelin, le peintre Pierre Soulages, Georges Mathieu, Zao Wou-Ki, mon oncle Jacques-Yves Le Toumelin. Tous les explorateurs, je les connaissais. Cocteau, etc... Ce n'était pas un modèle de vie. Une distribution formidable de gens exécrables, heureux, malheureux, égoïstes, altruistes. C'était très déconcertant pour un jeune qui cherche une inspiration, un modèle de vie."

"J'aurais bien voulu jouer aux échecs comme Bobby Fischer, mais pas être Bobby Fischer. Donc là, c'est quelque chose qui dont je n'étais pas satisfait. Donc, quand j'ai vu des documentaires faits par Arnaud Desjardins, à la télévision française sur tous les grands maîtres tibétains qui avaient fui l'invasion chinoise vers l'Inde. Je me suis dit il y a 20 Socrate, 20 Saint-François-d'Assise, j'y vais. J'avais six mois de vacances avant de rentrer à l'Institut Pasteur. Et là, brusquement, je ne connaissais rien au bouddhisme, mais la qualité des êtres humains, la cohérence, la bienveillance, la résilience, toutes ces qualités humaines m'a fait me dire que si je pouvais devenir un 100ème de ces qualités humaines là, je serais bon."

"J'étais mûr pour faire cette décision"

Mais il n'a pas franchi le pas immédiatement à 21 ans. Ce n'est qu'à 26-27 ans qu'il retourne en Inde, car avant ses parents auraient été "terriblement déçus". Il ajoute : "J'aurais un peu cassé quelque chose. Ainsi, je suis allé à Pasteur, j'ai fait tout ce que j'avais à faire. J'ai publié les travaux de ma thèse. Tout le monde était content. J'allais partir en post-doctorat aux Etats-Unis et j'ai pris la poudre d'escampette. J'ai fait mon post-doc dans l'Himalaya et tout le monde était content. J'étais mûr pour faire cette décision."


En 1979, il prononce ses vœux monastiques. Il s'engage à respecter quatre règles importantes : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir sur son chemin intérieur et ne pas avoir de relations sexuelles. "De l'extérieur, ça peut paraître un grand pas si on n'est pas prêt. Encore une fois, le fruit était mûr. J'avais une vie plus ou moins célibataire depuis quelques années. Et puis, je me suis dit une chose : si je veux vraiment mener à fond cette existence, partir dans les ermitages dans la montagne, vous imaginez ? Moi, je sais ce qu'est le sens des responsabilités. Vous avez une famille, deux enfants... 'Mes chéris, je reviens dans trois ans, je vais faire une retraite'. C'est pas possible, donc je n'aurais jamais mené cette vie, 50 ans dans l'Himalaya, au Bhoutan, 20 fois au Tibet, si j'avais eu une famille à charge. Alors je n'ai pas eu d'enfant, certes, mais j'en ai 30 000 dans les écoles qu'on a fondé avec Karouna-Shechen. Je ne les ai pas enfantés, mais je les aime beaucoup. Je suis très proche des enfants. J'ai des amies très chères parmi les femmes. Dans le bouddhisme, la femme était éminemment respectée. On dit même qu'un moine doit se prosterner intérieurement devant une femme parce qu'elle symbolise la sagesse."

"On est dans le règne de l'inconnaissance"

Sur la période dans laquelle nous vivons, Matthieu Ricard écrit que "l'épidémie du narcissisme gagne du terrain, tout comme la démagogie, le populisme et l'exacerbation des divisions." Il pointe également "la volatilité des réseaux sociaux, l'absence d'esprit critique et de rigueur, l'asservissement à un imaginaire malsain qui engendre un tsunami de confusion".

"On est dans le règne de l'inconnaissance. On a l'impression que avec trois clics sur Internet, on va remplacer dix ans, vingt ans de formation, de recherche et qu'on est aussi compétent que quelqu'un qui a consacré sa vie à un sujet de recherche particulier. C'est très nouveau, ce phénomène. Le monde est plein d'incertitudes, notamment la recherche scientifique change parce qu'on doit s'adapter à ce qu'on découvre. Les gens ont besoin de certitudes dans ces moments difficiles. Quand quelqu'un arrive avec un dogme qui est béton parce que ça ne repose pas sur des faits, ça a un côté rassurant pour les gens qui ne savent pas trop, qui ne sont pas forcément éduqués dans ce domaine. C'est un phénomène très troublant."

Ecouter l'interview

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source : France Inter

vendredi 8 octobre 2021

Le lying

 



Le Lying (de l’anglais « to lye », être étendu) est une pratique d’introspection initialement utilisée par Swâmi Prajnânpad, le maître indien d’Arnaud Desjardins. Il a pour but de libérer les empreintes psychologiques (samskaras) à l’origine des dysfonctionnements aux niveaux physique, psycho-affectif et intellectuel de notre être.

Le pratiquant, allongé dans la pénombre, bénéficie d’un espace d’accueil et d’écoute inconditionnels à travers le dialogue qui se noue avec l’accompagnant.

Le Lying, s’appuyant principalement sur la présence aux sensations corporelles et l’accueil des émotions, permet de «laisser s’exprimer ce qui a été réprimé».

Il peut être un approfondissement et une aide à la pratique de la Pleine Présence ou de tout autre cheminement spirituel, en tant qu’accompagnement dans l’accueil des émotions enfouies. Cette pratique de réconciliation permet progressivement une détente du corps, de l’esprit et du cœur.

source : Boudha university

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jeudi 7 octobre 2021

Relative ascension

 


Comme on le voit sur cette carte :
1) Les concepts et modèles sur le réel sont relatifs et toujours culturels. Ils sont utiles mais doivent être considérés avec du recul.
2) Ce que la plupart des gens appellent "éveil" correspond techniquement à "la grande connaissance".
3) La cognition est placée au-dessus de la grande connaissance (oups !).
4) L'illumination est placée au-dessus de la cognition, et n'est pas confondue avec l'éveil.
5) De nombreux autres plans et d'autres dimensions du réel se situent entre illumination et Absolu ou Réalité Complète
Conclusion : restons humbles quand il s'agit d'interpréter un état de conscience et souvenons nous qu'un état d'éveil est situé bas sur cette échelle de connaissance du réel.
J'imagine que cette carte est bouddhiste, mais les entretiens que j'ai eus à ce sujet avec les maîtres taoïstes s'accordent parfaitement avec cette cartographie.

Fabrice Jordan

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mercredi 6 octobre 2021

J'aime mon prochain comme moi-même

 

J’aime mon prochain
Exactement comme moi même
Je le juge
Lorsque je préside le tribunal
Où je me cite à comparaître
Je ne lui voue que mépris
Lorsque je me méprise
Je consigne
La moindre de ses fautes
Dans mon grand livre
Et l’en tiens comptable
Lorsque je procède
A l’inventaire des miennes.
Je ne lui passe rien
Quand je ne me pardonne pas
Et le châtie durement
Lorsque je me punis
Envers lui me voici
Des plus intransigeant
Cependant que je traque
Le moindre de mes manquements
Si, pourtant
J’abdique mon arrogance
D’arbitre tout puissant
Au profit de la bienveillance
Envers la créature
Démunie
Que je suis
Dès lors que je me vois
Désemparé
Et aux abois
Pris
Dans les rets de cette vie
Me voilà saisi
De pitié
Et de patience
Envers moi
Comme envers autrui
Ou est la différence ?
Si il se veut mon ennemi
C’est qu’il est déçu de lui
Tout comme c’est dans la déconvenue
D’ un moi
Qui d’ailleurs
N’existe pas
Que je me meurtris
Oui, mon prochain je l’aime
Exactement comme moi même
Ni plus ni moins
Que je ne m’aime
- Ou pas.
Gilles farcet*************

mardi 5 octobre 2021

Espace de l'instant

 Plus on éveille la densité tactile, et moins il y a de la place pour chercher les choses dans la pensée.

Quand je cherche dans la pensée, je ne trouve que le passé.
Or rien n’est séparé.
C’est la pensée qui sépare, qui crée un espace et un temps.
Il n’y a rien de tel. Il n’y a pas de là-bas.
Il y a uniquement l’instant.

Eric Baret


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lundi 4 octobre 2021

Inconscient

 


" L'inconscient est toujours le cheveu sur la soupe, le défaut craintivement caché de la perfection, le démenti pénible de toutes les prétentions idéalistes, le reliquat terrestre qui adhère à notre nature humaine et trouble douloureusement la clarté du cristal à laquelle nous aspirons.
Pour son accomplissement, la vie n'a pas besoin de perfection mais de plénitude. Celle-ci inclut l' ""écharde dans la chair ", l'expérience douloureuse de l'imperfection sans laquelle il n'y a ni progression , ni ascension. "
C.G.JUNG , Psychologie et Alchimie .


dimanche 3 octobre 2021

« Le seul ennemi de l'arbre, c'est l'homme »

Le célèbre botaniste Francis Hallé appelle à la création d’un vaste espace européen de forêt en libre évolution, pour des raisons écologiques et philosophiques.

 


« C’est une bonne année pour les glands. » « Écrasez ces feuilles, vous verrez, elles sentent le pastis. » Se promener avec Francis Hallé dans le jardin luxuriant qu’il partage avec ses voisins sur les hauteurs de Montpellier, c’est bénéficier d’une extraordinaire leçon sur les végétaux. Un moment qui active tous les sens, mais réveille aussi nos consciences.

À 83 ans, ce scientifique de renommée internationale, connu pour ses missions sur la canopée amazonienne, publie un livre en forme de manifeste, Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest (Actes Sud). Un projet aussi fou qu’à l’époque celui des cathédrales, mais nécessaire pour des motifs écologiques et philosophiques.

Vous appelez à la création d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest. Comment définir une forêt primaire ?

C’est une forêt, qualifiée parfois d’« ancienne » ou de « vierge », dont les arbres sont hauts et gros par leur diamètre basal, leurs racines très étendues. Les sols sont très fertiles, la biodiversité est très importante. On peut observer aussi bien des champignons que beaucoup de traces d’animaux. Une forêt, c’est l’association de la flore et de la faune ! Il y fait également très sombre, car la canopée est totalement fermée.

L’homme ne doit pas intervenir. Il ne prélève rien, même pas un bouquet de fleurs. Il ne plante pas. Quand un arbre tombe, on le laisse au sol. Or, l’arbre met plusieurs dizaines d’années pour disparaître. Résultat, il n’est pas facile de s’y déplacer. Par ailleurs, on sent mieux les interactions entre les arbres et les animaux que dans une petite forêt. Enfin, c’est un endroit très beau. Les Européens trouvent leurs forêts extraordinaires, mais ils n’ont jamais vu la majesté de la forêt primaire ! La beauté montre à quel point l’évolution a réussi son travail.

Où en trouve-t-on encore ?

Aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande. En Europe, elles ont quasiment toutes disparu au milieu du XIXe siècle. Je rappelle que le seul ennemi de la forêt, c’est l’homme. La seule qui subsiste est celle de Bialowieza. Située en Pologne, elle est magnifique. S’y côtoient loups, cerfs, bisons, sangliers… Mais elle est menacée : le président Duda n’a aucune sensibilité écologique.

Le lieu représente une zone de chasse et d’exploitation du bois. Il existe un lien entre populisme, vision prédatrice de la nature et croyance en une croissance indéfinie. On retrouve la même logique au Brésil avec le président Bolsonaro, qui malmène la forêt amazonienne.

Quelle est précisément la nature de votre projet ?

Il couvrirait 70 000 hectares. La commission européenne est notre principal soutien. Actuellement, nous cherchons le lieu. Nous sommes allés voir dans les Vosges, mais les sols sont trop chahutés. Et nous souhaitons constituer une forêt primaire de plaine. C’est ce qui a disparu en premier.

Nous nous rendrons bientôt dans les Ardennes. Pas question en tout cas d’acheter un terrain. Nous ne voulons pas priver les gens d’une partie de leur territoire et d’un futur bien commun. En rachetant un terrain dans le Vercors, les gens de l’Association pour la protection des animaux sauvages sont mal perçus par la population. Les visiteurs seront les bienvenus, mais devront faire preuve de respect. Si on piétine trop le sol très tendre de la forêt primaire, on tue les arbres.


Quel serait l’intérêt d’une telle aventure ?

La forêt primaire possède bien des vertus. C’est une écologie optimale. Grâce à la grande taille des arbres, le stockage de carbone dans le bois est maximal. Avec la décomposition des arbres morts, la capacité de captation de carbone dans l’humus est aussi très bonne. Sa pluralité d’essences assure aussi une bonne résilience face aux effets du réchauffement climatique.

Ce projet comporte une dimension philosophique. Il va à l’encontre de la fébrilité actuelle qui domine la société. Il ne faut pas être pressé. À partir d’un sol nu, 10 siècles sont nécessaires pour qu’apparaisse une forêt primaire. Un tel projet suppose l’arrêt de tout anthropocentrisme. Or la crise écologique ne sera résolue que si l’homme abandonne son statut d’être supérieur à la nature.

La crise sanitaire ne change-t-elle pas la donne ? On voit des citoyens se mobiliser pour défendre les forêts…

La filière bois continue de les surexploiter. Les lobbys sont présents jusqu’à l’Élysée. Et le ministre actuel a protesté contre des mesures européennes réduisant la pression sur les forêts. En l’espace d’une vie humaine, on a vu à quelle allure les écosystèmes se détruisent. Si vous vous projetez sur quatre ou cinq générations, nous allons vivre dans un égout.

Pourtant, d’un point de vue quantitatif, la France voit son nombre de forêts progresser…

Ceux qui avancent ces chiffres ne font pas la différence entre les plantations et les forêts. Les sapins Douglas plantés dans le Morvan ou le Limousin relèvent de l’agriculture. Mon rêve est d’ailleurs de sortir la forêt des compétences du ministère de l’Agriculture. La laisser sous la tutelle de ce ministère facilite les coupes, en cas de besoin supplémentaire de terres agricoles.

Vous avez 83 ans, votre amour pour les arbres reste intact. Sans doute vient-il de loin ?

Dès que, enfant, je me suis mis à grimper dans les arbres, j’ai su que je voulais devenir botaniste. Mes frères se sont cachés dans la forêt de Fontainebleau pour éviter de faire le service de travail obligatoire qu’avait imposé l’Allemagne au gouvernement de Vichy. La forêt a pris la valeur de refuge, de lieu de résistance au pouvoir. Depuis mes séjours tropicaux, je me qualifie de militant, prêt à me battre contre ceux qui veulent détruire les arbres.

Source : la Vie

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