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mercredi 18 juin 2025

Croisement du temps

 


La plupart des grandes traditions spirituelles font de l’instant présent une clé de la vie spirituelle.

Chaque instant est certes une fenêtre étroite, mais qui peut devenir un croisement du temps et de l’éternité, de l’horizontal et du vertical. Et qu’est-ce que l’éternité ? peut-on se demander.

C’est la splendeur d’un moment de grâce, l’intensité d’un instant, la qualité d’un acte, la plénitude d’un état.

Jean Proulx, En quête de sens, p. 248-249

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mercredi 11 juin 2025

Être en lien


Je suis un jour entré dans un lien
où chaque parole de l'un
était recueillie sans faute par l'autre.
Il en allait de même pour chaque silence.
Ce n'était pas cette fusion
que connaissent les amants à leurs débuts
et qui est un état irréel et destructeur.
Il y avait dans l'amplitude de ce lien
quelque chose de musical et nous y étions
tout à la fois ensemble et séparés
comme les deux ailes diaphanes d'une libellule.
Pour avoir connu cette plénitude,
je sais que l'amour n'a rien à voir
avec la sentimentalité qui traîne dans les chansons
et qu'il n'est pas non plus
du côté de la sexualité dont le monde
fait sa marchandise première,
celle qui permet de vendre les autres.
L'amour est le miracle d'être un jour
entendu jusque dans nos silences,
et d'entendre en retour avec la même délicatesse :
la vie à l'état pur, aussi fine que l'air
qui soutient les ailes des libellules
et se réjouit de leur danse.


Ressusciter, Christian Bobin, éd. Gallimard, 2001
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samedi 20 août 2022

Renaissance du souffle

 


Je respire profondément jusqu’au bout de mon souffle. Mon diaphragme s’ouvre, se dilate de plus en plus. Aum en expirant, tat en inspirant complètement, un temps d’arrêt ensuite. En respirant ainsi, il me semble avec le aum créer la manifestation, qui avec le tat, revient à moi, et redevient le non-manifesté, le vide. Puis c’est un passage d’un vide à un autre vide, et je plonge à l’intérieur de ce centre, un peu à droite de la poitrine. C’est un gouffre non délimité, la tranquillité du fond des mers, une nuit que rien ne vient interrompre, sans commencement et sans fin.

Il n’y a pas de mot pour décrire cette grandeur sans mesure, où n’existe plus ni toi ni moi, mais une ample plénitude, en moi qui n’est plus moi, qui n’est ni à l’extérieur ni à l’intérieur.

Cette respiration continue. Je me sens avec le aum renvoyer toute peine, toute pensée, comme la marée en se retirant balaye tout ce qui est sur la plage, l’emmenant très au loin. Ainsi me laissant mon désespoir, Iryamani, mon fils, ma mère et mon père.

Tout s’estompe et s’efface comme des fantômes irréels, inutiles et encombrants, ombres sans consistance emportées par le aum de ma respiration.

Seul demeure ce merveilleux vide tissé de plénitude. Mon corps aussi fluide, léger, aérien ; seulement fumée sans densité, une ombre qui se déplace comme un nuage dans l’air. Il peut se mouvoir sans mouvement, en tous sens, s’élever sans effort, sans contrainte. Je le perçois hors de moi, dans cette perspective informelle. Il est inconsistant, désincarné. En quoi suis-je concernée par lui ? Il n’y a pas de Moi, de Je. S’est abolie la distinction entre ce qui est en moi et en dehors.

Seule une large vacuité où se déplace un fantôme de corps évanescent, irréel, qui s’efface et disparaît.

Le Rien qui contient toute chose.

Le Vide qui est plénitude.

Seulement Est.

Denise Desjardins (De naissance en naissance)

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lundi 15 août 2022

Joie !


« Conquérir sa joie vaut mieux que de s’abandonner à la tristesse. » notait Gide le 12 mai 1927 dans son Journal. 

Qu’est-ce que la joie ? Une façon pleine, satisfaite, reconnaissante d’habiter l’existence. 

Le joyeux ne manque de rien. Pourtant il n’a pas tout – qui possède tout? En revanche, il se contente de ce qu’il a. Mieux : il s’en délecte. 

Le joyeux n’éprouve pas de frustration. Alors qu’au déçu, au déprimé, au mélancolique, au fatigué, tout fait défaut. 

Si la tristesse est conscience d’une absence, la joie est conscience d’une présence. Quand la tristesse vise ce qui n’existe pas ou plus – chagrin d’avoir perdu quelqu’un, dégoût de se savoir faible, mortel, impuissant, limité -, la joie découle d’une plénitude. Elle crie notre plaisir d’être vivants, là, éblouis par ce qui nous entoure. 

Se réjouir et jouir, telle s’avère la joie. Elle ne demande rien, elle ne déplore rien, elle ne se plaint de rien. Elle célèbre. Elle remercie. La joie est gratitude.

Quelle légèreté nous apporte la joie en nous délestant de ce qui nous alourdit, ambitions, regrets, remords, obsessions, amertumes, illusions, prétentions ! 

Notre époque n’aime pas la joie. Elle aime l’étourdissement et le divertissement, ces pratiques qui nous arrachent à l’ennui ou l’affliction sans approcher la joie. Dans le joyeux, elle ne voit qu’un abruti, jamais un sage. 

Or, il y a une sagesse de la joie. Heureux de vivre, non seulement je consens mais j’aime: je consens à ce qui existe et j’aime ce qui tombe sous mes sens. J’épouse et j’adore l’univers."

(Quand je pense que Beethoven est mort - Eric-Emmanuel Schmitt)

lundi 4 octobre 2021

Inconscient

 


" L'inconscient est toujours le cheveu sur la soupe, le défaut craintivement caché de la perfection, le démenti pénible de toutes les prétentions idéalistes, le reliquat terrestre qui adhère à notre nature humaine et trouble douloureusement la clarté du cristal à laquelle nous aspirons.
Pour son accomplissement, la vie n'a pas besoin de perfection mais de plénitude. Celle-ci inclut l' ""écharde dans la chair ", l'expérience douloureuse de l'imperfection sans laquelle il n'y a ni progression , ni ascension. "
C.G.JUNG , Psychologie et Alchimie .


mardi 9 janvier 2018

Pratiquer zazen : le courage de vivre


Zazen démantèle le moi, parce que c'est une mise en situation inhabituelle qui nous pousse à trouver nos propres ressources au cœur même de cet inhabituel : ne pas intervenir sur un fait, recevoir au lieu de prendre, s'étonner au lieu de juger, connaître chaque situation de façon active au lieu d'opposer ou d'ignorer et goûter dans chacun de ces changements une mise en relation immédiate avec le corps vécu, parce qu'il n'y a plus rien à prévenir, à anticiper, à projeter. 

Le corps, débarrassé de toute force inutile, le corps qui n'est plus tendu vers un désir autre que celui de ce qui se présente, mobilise ainsi toute l'attention. S'effectue alors ce retour à soi, ce moment d'intimité avec l'acte pur d'être là, qui nous comble. C'est de cette plénitude que nous vient le courage de supporter le moment présent dans ce qu'il peut avoir d'ennuyeux, d'insupportable, d'exaspérant, d'annihilant. Chargé de cette plénitude, le moi peut prendre le risque de s'exposer à tous les vents, il peut prendre le risque de vivre : sortir du principe de précaution qui devient de plus en plus prégnant dans notre société et tend à nous laisser croire qu'il prévient de tous les dangers. 

Risquer, c'est être exposé à un danger possible ; pratiquer zazen est un danger possible pour le moi que Dürckheim avait d'ailleurs souligné : « Zazen est dangereux pour l'ego ». En effet, combien il est difficile pour le moi de s'asseoir en étant privé de toute possibilité d'intervention sur le passé, le présent et l'avenir, et tout à la fois, d'une manière paradoxale, se sentir devenir fort de cette vulnérabilité assumée, parce que l'expérience du corps vécu, libéré de toutes ces tensions d'évitement, nous ramène à la nudité de l'ineffable, tranquillement, nous ancre dans une attitude dépouillée, humble et simple. Cette expérience est celle d'un retour à l'ordre originel. 

Comment assumer les tourments, si ce n'est en se laissant glisser dans le calme du corps ? Plus nous sommes corps percevant le calme, moins nous sommes identifiés à notre singularité pétrie d'angoisse. Le calme s'installe dans l'oubli de soi, il a quelque chose de totalement anonyme et d'universel, tandis que le simple bien-être est tout à fait personnel. Oser se fier au calme du corps, c'est sortir de cette névrose d'évitement, qui nous emprisonne dans les expériences passées, dans la crainte de l'avenir, tout en nous empêchant de prendre à bras le corps la vie, tout simplement la vie, c'est permettre que le corps nous offre ce que le moi ne peut réaliser : l'absence de peur, l'absence de tourment. 

S'asseoir en silence chaque jour, c'est reprendre confiance dans ce calme. Entre le regret et l'espoir, entre le renoncement et les attentes, il y a ce moment de vie à saisir, la vie sans la crainte de vivre.

 Dominique Durand

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jeudi 5 janvier 2017

Plénitude de l'Être


Gnanananda – Henri Le Saux Plénitude de l’Etre – 
Vie et enseignement de Srî Gnanananda, 
textes présentés par Patrick Mandala, préface par Svami Atmananda Udasin, éditions Accarias/L’Originel, 2015.


Ce livre témoigne d’une tentative exemplaire de mettre à notre disposition un enseignement fondamental. Plénitude de l’Etre concerne l’enseignement d’un sage dont l’envergure est comparée à celle des plus grands maîtres de l’Inde : Srî Gnanananda. Après une introduction qui nous présente son plus proche disciple, le moine bénédictin Henri Le Saux, devenu lien vivant entre la mystique chrétienne et l’hindouisme, c’est un portrait du guru qui nous est offert, grâce au témoignage de Le Saux (1ère partie, 25 pages). La deuxième partie du livre, de loin la plus importante (88 pages), nous expose l’enseignement du maître tel qu’il a pu se diffuser à travers les dialogues entre celui-ci et son disciple.
L’un des grands intérêts de cet ouvrage, c’est le caractère méthodique de l’exposé : l’enseignement de Srî Gnanananda est exposé en 48 thèmes bien précis et aussi divers que le Guru, la grâce, le but, le Soi, les désirs, la méditation, la nourriture, le mental, les symboles, l’Eveil, etc. Ces thèmes sont eux-mêmes regroupés en cinq grandes catégories progressives, aux titres clairement métaphoriques :
I.       Un doigt pointe vers la lune
II.     Ciel voilé
III.   Au-delà des nuages
IV.  Au-delà des mots
V.    Plénitude
VI.  L’Indicible.
Ce livre est aussi précieux par le fait que les paroles du maître sont constamment reliées aux enseignements des Upanishad : cela permet de les resituer dans le contexte traditionnel de la mystique hindoue.
Autre point remarquable : cet enseignement est commenté à la fois par les précisions de Patrick Mandala, grand spécialiste de la tradition hindoue, et par celles d’Henri Le Saux, qui possédait le don remarquable de déceler des ponts authentiques entre les pensées orientale et occidentale.
Par ailleurs, les paroles du maître sont précisées par des notes régulières concernant le vocabulaire employé, ce qui contribue à la rigueur de l’exposé.
Enfin, notons qu’à la biographie et l’enseignement du maître s’ajoutent une biographie détaillée ainsi qu’une bibliographie abondante d’Henri Le Saux.


                                                                           Sabine Dewulf


Voici un livre rare qui a l’immense mérite d’être consacré à la fois à l’un des grands maîtres védantins de l’Inde contemporaine, Srī Gnānānanda, et à son disciple venu de France, le bénédictin Dom Henri Le Saux.
Srī Gnānānanda est relativement peu connu du grand public francophone. Son nom est indissociable de celui de Henri Le Saux bien plus connu en Europe pour son engagement dans le dialogue interreligieux. 
Tous s’accordent à dire que ce Sage advaïtin a l’aura et l’envergure spirituelle d’un Râmana Mahârshi. Il se dégage de son être sérénité (sama) et contentement (santosha) – qu’Henri Le Saux nomme « jubilation ».        
Srī Gnānānanda était d’abord et avant tout un jnānī, ce qui signifie celui qui a réalisé l’Ātman (le Soi), qui est établi lui-même dans la Conscience non-duelle. Son enseignement fondamental était celui du pur advaita (Non-Dualité) et est proprement universel dans sa portée. La Vérité se situe au-delà de toutes les religions et de toutes conceptualisations. 
Srī Gnānānanda appelle, non à copier son propre cheminement, mais bien à trouver en nous-même notre propre vérité et chemin, notre propre nudité et transparence. 
Puisse le lecteur trouver dans ce livre d’une grande richesse une introduction à la Non-Dualité dans sa forme la plus pure, et un guide fiable sur le chemin de la découverte du Soi.
« Le beau livre de Patrick Mandala cite abondamment les enseignements directs du sage… Il offre aussi au lecteur un excellent florilège, organisé par thèmes, qui couvre pratiquement tous les aspects de l’enseignement de ce grand témoin de l’advaïta. C’est dire l’importance de cet ouvrage qui trouvera écho auprès des chercheurs spirituels… »     
                                                                                          Svāmī Atmānanda Udâsîn


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dimanche 28 février 2016

Plénitude du regard avec Alexandre Jollien


Alexandre jollien, philosophe et écrivain né en 1975 à Savièse, en Suisse. Son dernier livre, Petit Traité de l'abandon, est paru au Seuil.

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S'arrêter et renoncer à regarder le monde comme un chasseur. Dépouiller son regard, abandonner l'armada d'explications, de commentaires, de comparaisons qui surgit à toute heure du jour, voilà le défi ! Au fond, le chemin du zen et celui de toute vie contemplative nous invitent à écarter les projections, les spéculations, les soupçons et les attentes, pour simplement vivre. C'est que nous nous transformons facilement en chasseurs qui ne savent repérer dans leur champ de vision que les dangers ou alors ce qui les intéresse, du gibier.

Cesser de consommer la vie est un art, un acte de rébellion carrément. Il suffit de se promener cinq minutes dans la rue avec la fringale au ventre pour remarquer que l'univers disparaît pour se réduire bien souvent à un terrain de chasse. Et nous voilà à croupir dans le règne de l'utilitaire, à passer d'un désir à l'autre sans joie. Comment abandonner les ornières de nos attentes, de nos préoccupations pour regarder un peu ailleurs ? Et si nous commencions par nous rendre plus attentifs à ce qui nous environne, qui est relégué bien souvent à l'arrière-plan, c'est-à-dire autrui. Comme un artiste, comme un contemplatif, nous pouvons nous dégager d'une vue par trop étriquée pour considérer gratuitement la plénitude qui se révèle à chaque instant. Tout est grâce, mais la hache de notre individualisme nous isole et nous empêche de comprendre que nous participons à une communauté, que nous recevons sans cesse les fruits d'une générosité infinie.

Nous nous amputons de l'autre, nous nous coupons du monde, de la nature, à trop vouloir suivre nos préférences et en négligeant la vie. Le défi c'est d'apprendre à garder les yeux grands ouverts, à apprécier, sans s'y perdre, chaque détail. Élargissons le champ de notre esprit pour demeurer attentifs à tout ce qui se donne à chaque instant ! Ainsi, dès que je m'enlise dans l'angoisse, la mélancolie ou le repli, je peux rediriger le projecteur vers l'horizon et explorer toute l'immensité du réel, quittant pour un temps les concepts pour percevoir nûment la vie sans moi.

Changer de regard, cesser de me braquer sur mon cinéma intérieur, sur ces bricoles pour vivre pleinement et nourrir de la gratitude à l'endroit de tout ce que je récolte jour après jour. Découvrir la paix, c'est aussi assumer, se réjouir de notre appartenance à l'humanité et habiter à fond l'univers. Et pour cela, il s'agit de faire éclater les étiquettes qui ne nous rendent pas service lorsqu'elles figent, distinguent sans nuances, isolent, réifient la vie et sa richesse. Le rouge d'une tomate, celui d'une flamme ou d'une cerise sont des couleurs d'une originalité inouïe que nous enfermons derrière une commune appellation qui nie la beauté de l'existence. Une autre erreur typique c'est de nous enfermer dans notre individualité. Quelle illusion d'optique nous laisse croire que nous sommes séparés du reste de la nature, que nous valons plus que les autres et quelle liberté de commencer à rompre avec la lutte et cesser d'être un moi-qui-s'oppose-au-monde. S'attacher aux extrêmes, s'enliser dans le dualisme « c'est bien », « c'est mal », « j'aime », « je n'aime pas », c'est renoncer à une vie spontanée, simple, généreuse, ouverte et disponible.

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mercredi 16 septembre 2015

Témoignage d'Armelle Six




Savoir qu'on est rien, c'est la sagesse.
Savoir qu'on est tout, c'est l'amour.
Et entre les deux, la vie suit son cours...



dimanche 26 octobre 2014

Silence et plénitude avec Philippe Mac Leod

Prier, c’est d'abord se taire.

Apprendre à se taire. Tu découvriras vite qu’il ne suffit pas de retenir sa langue un moment. Le silence n'est pas dans les oreilles, mais dans le corps lui-même : c’est lui qui nous remplit, nous tient droit. Une porte peut claquer, elle ne le déchire pas. C’est le silence des origines, le souffle de la vie avant même qu’une forme ne s'échappe comme une voile sur l’océan de l’étendue.

Prier, c'est donc d’abord se taire, et plus encore, tu le comprends bien, se taire intérieurement, puis se taire en profondeur, plus loin entre les membres, par-dessous les pensées, par-dessous le premier silence qui s’installe, comme des couches successives qu’on va chercher toujours plus au fond. Prier, enfin, c'est se taire de plénitude. Tu entends bien à ces mots la paix immense qui s’installe, la différence entre la privation, ce qu'on retient, et la conquête, ce qui se découvre, se dévoile.

Contempler consiste en ce lent mouvement d'accomplissement, de muette éclosion, d’équilibre total au point de ne plus avoir envie de se lever, de changer de position, ni même songer à bouger le petit doigt. La mouche qui se pose sur la tempe semble si loin, si légère. Tout est à sa place parce que tu as trouvé la tienne en dedans. Et le monde entier repose sur ce fragile équilibre, l’instant immobile en est le fléau, la pointe du danseur autour duquel tournent les sphères.
Tu as simplement appris à laisser le cœur s’ouvrir comme un œil et voir du dedans, voir à travers la chair, dans un éblouissement tranquille, la chaude blancheur du jour à travers l’épaisseur d’un voile. Voir la lumière. Voir alors qu’il n’y a plus rien à voir. Voir ce qui ne se voit pas. Voir comme on croit. Croire de cet œil grand ouvert qu'est devenue notre âme, avec cette prunelle brûlante au centre, doucement palpitante.
Tu me demandes souvent comment fixer la différence entre méditer et contempler. Elle est là : quand il n’y a plus d’objet, quand la vision devient à elle-même sa plénitude, son rayonnement, sa vastitude. Le silence alors se fait lumière, espace, respiration. Les mots n’y trouvent plus leur voix et s’éteignent comme de méchantes flammes au grand air. Tout est accompli. Dedans et dehors n'existent plus. Tout est un. plein, stable, tout à la hauteur de l’horizon.

Tu reconnais maintenant qu’il ne s’agit plus seulement d’accéder à une pleine conscience au sens d’un enveloppement, d'une étendue que nous serions capables de recouvrir en tout point comme en son ensemble, mais dans le sens d’une traversée, du centre vers la circonférence, du noyau à la périphérie, une conscience parcourant toute notre épaisseur vivante, de l'épiderme au fond du fond, là où la chair entrouvre ses fibres et devient mystère. La prière tient à cet autre exercice de la conscience, non plus dans l'extension, dans la portée, mais dans la force du centrement, de l'unité par le foyer, du rayonnement à partir de l'insaisissable. Il ne te suffira pas d'étendre les bras en écartant les jambes, la face plaquée contre l'azur ou les vents : on ne se remplit pas d'air, avec force inspirations, on habite le monde de notre plénitude intérieure, on emplit l'espace d'un souffle qui vient de plus loin que nous et ne fait un moment que nous traverser.
Il n’est alors que de nous tenir au plus près du centre, jamais touché, jamais perçu, dans une proximité d’autant plus exaltante qu’elle reste inachevée. La plénitude sera proportionnelle à cette extrême concision de la vie. Contempler est ce chemin paradoxal, le plus droit, le plus court, le plus direct.



(source : La vie 08/2014)

vendredi 11 avril 2014

Pratique méditative avec Jacques Castermane

Le sens de la pratique méditative est l’éveil à notre propre essence, cette part de nous-mêmes que Durckheim appelle: notre être essentiel. Que veut dire l’être essentiel ? Que veut dire faire l’expérience de notre propre essence ? Pour celui qui n’a pas fait cette expérience ce sont là des concepts assez abstraits. Ce qui importe est donc de passer de l’idée d’un être essentiel à l’expérience de notre propre essence; d’en devenir conscient.

La méditation de pleine attention, que Durckheim propose à son retour du Japon, nous invite à prendre au sérieux le tout simple. Ainsi, si nous sommes, pour un instant, en contact avec notre propre essence, nous nous sentons tout d’abord dans une force, un état d’être fort; une qualité d’être, un sentiment de plénitude et de confiance inconditionnelle qui peut nous étonner.

Cette force est l’origine d’une forme particulière. Une forme qui coïncide avec la sensation d’être en ordre, tout simplement en ordre. Il est rare de se sentir aussi naturellement en ordre, aussi naturellement soi-même dans la vie de tous les jours. Le plus souvent nous vivons dans des formes d’adaptation, d’identification, d’imitation, d’opportunité ; l’ego a cette tendance à se cristalliser dans une manière d’être en tant que corps qui est conventionnelle et ne donne jamais une sensation de liberté intérieure. Tout au contraire, au cours de cette expérience qu’est l’éveil à notre vraie nature, se présente le sentiment d’être libre; bien en soi-même sans se renfermer et ouvert au monde sans s’y perdre.

L’expérience de l’être essentiel est donc l’expérience d’une qualité d’être qu’il n’est pas possible d’édifier, de bâtir à coups d’exercices pratiqués dans le but d’un développement personnel. C’est au contraire en ne faisant « rien » afin d’être-là, ouvert et disponible, pour l’éventualité d’une telle expérience. Ayant pris au sérieux ce moment particulier, ce moment d’éveil à notre nature essentielle, nous découvrons combien l’exercice quotidien s’impose. Non pas pour additionner des petites expériences éphémères mais pour devenir celui, celle, qui s’est dé-couvert en ce moment, qu’on appelle l’expérience de l’être, l’expérience d’être, l’expérience de notre propre essence.

Jacques Castermane

mercredi 15 janvier 2014

Transmission avec Denise Desjardins (1)

Elle a été initiée au travail sur soi et à la méditation par des sages tibétains et hindous, qu’elle est allée très tôt rencontrer en Asie. Mais c’est une voie singulière, entre Advaita Vedânta et psychanalyse, qui lui a permis d’accéder à sa vérité.

Parvenir à l’unification intérieure, faire l'expérience de la non-dualité. Ces promesses de l’enseignement des grands maîtres bouddhistes tibétains et hindouistes que j’ai rencontrés à la maturité, j’en avais senti les prémisses dans mon enfance. C’était à Alger, un soir, alors que petite fille de 10 ans traversant un chagrin, j'attendais avec impatience le retour de mon père à la fin de sa journée de travail. « Il me prendra dans ses bras, me consolera », pensais-je. Quand ce moment tant attendu arriva enfin, je me jetai vers lui. De grosses larmes tombées de mes joues ont alors mouillé son bras. « Va te moucher », me dit-il sèchement. Moi qui croyais son amour pour moi inconditionnel, je vécus sa réaction comme un rejet définitif.

Je courus dans ma chambre, désespérée, une seule idée en tête : mourir. J’imaginai alors un scénario suicidaire : je me mettrais toute la nuit à la fenêtre, j’attraperais une grave maladie, c’en serait fini pour moi... Je fis ainsi. Déshabillée, je m’exposai de longues heures à la fraîcheur de la nuit. Mais peu à peu, cette situation douloureuse se transforma en source d’apaisement. Le ressac de la mer, la douceur de l’air, le ciel étoilé... Tout à coup, je n’étais plus seule, ni rejetée. Il me semblait être dans un cocon protecteur. Et mon père n’était plus hostile, puisque tout ce qui m’entourait, me ressourçait. Comme je l’ai écrit dans mon dernier livre : « La nuit m’avait transportée là où il n’y a plus de contraires, ce n’était pas la mort, mais la disparition de toute division, des moindres refus, des tristesses et des manques. Et seul demeurait ce que je ne savais encore nommer : la gratitude d’avoir reçu. Je dirais aujourd’hui : la plénitude. »

La plénitude, je l’ai ardemment recherchée. Dans une première partie de ma vie, d’abord, alors que j'étais peintre. Dès mes dessins d’enfants, puis mes œuvres d’artiste reconnue - sous le nom de Denise Chesnay - j’avais constaté que, lorsque je peignais, le fait de fixer l’extérieur (un paysage, un visage...) tout en restant connectée à mon intériorité suspendait l'activité mentale habituelle du type « j’aime/je n’aime pas », le jugement. Et l’expérience esthétique pouvait alors me toucher en profondeur. J’avais compris qu’en m’intériorisant, je pouvais atteindre des états extrêmement régénérants et libérateurs. Ce fut donc pour moi une étape essentielle de ma quête de vérité. Mais les rivalités entre peintres, la nécessité de se vendre, me plongèrent dans une grande désillusion...

C’est au moment où ma passion pour l’art déclinait que je fus introduite dans les groupes de Georges Gurdjieff, initié des soufis et auteur du célèbre Rencontres avec des hommes remarquables. Les exercices de « rappel de soi » qu’on y enseignait pour développer l’attention à l’autre tout en restant centré finirent de me convaincre que la quête de l’unité intérieure était le sens de ma vie. Je rencontrai là un autre chercheur spirituel, celui qui allait devenir mon époux, Arnaud Desjardins. Nous avons su dès le début de notre relation que nous ne voulions pas seulement former un couple affectif et sexuel, mais vivre en commun une évolution intérieure...

(source : La Vie)

C'est pourquoi ce qui demeure
Des jours qui me sont destinés,
Je le considère avec gravité et gratitude
Mais sans inquiétude, comme un cadeau
Que je dois respecter.
Il m'offre la possibilité
D'aller jusqu'au bout de mon chemin d'évolution

(Contre vents et années)

dimanche 26 août 2012

Allons au plus profond avec Philippe Mac Leod

Je nous conseille une profonde lecture en ce dimanche...

"Jules Renard disait qu’il fallait chausser des bottes d’égoutier pour descendre en soi-même. Tous, nous connaissons nos cloaques, nos ténèbres sordides, peuplées d’ombres repoussantes. Mais je connais une autre métaphore : Bernadette à terre, le visage maculé, creusant de ses mains nues et meurtries la boue de Massabielle, pour en extraire un mince filet d’eau claire. Oh ! ce visage d’enfant blessé, crotté, hagard, cheminant devant la foule choquée, qui n’a peut-être toujours pas compris que nos guérisons intérieures passent d’abord par ce corps à corps avec nos laideurs secrètes. Lourdes garde toute la force de ce premier message, car la source, en quelque sorte, s’est de nouveau refermée, cachée, non plus sous la boue d’un lieu insalubre où seuls les enfants pauvres allaient glaner un peu de bois mort, mais sous la couche plus dure et bien policée d’une imagerie codifiée, stéréotypée, qui voudrait faire illusion.

Il en est de même pour chacun de nous. La conversion ne consiste pas en l’élimination forcenée de nos infirmités, mais en l’acceptation souffrante de notre vérité, en nous engageant à descendre en nous, toujours plus loin, plus profond, pour aller réveiller le mince filet d’eau claire d’un être neuf et vierge qui finira par tout recouvrir, comme les eaux purificatrices d’un déluge souterrain.

Car tout est en nous : le mal et sa guérison – le mal, plus en surface ; la guérison, à des niveaux qui souvent nous découragent. Notre volonté n’y peut rien, pas plus que la bonne foi de nos résolutions sans cesse réitérées. Tout semble suspendu au champ de notre attention, à l’orientation que nous lui donnons. Si nous ne sommes préoccupés que par nous-même, nos obscurités intérieures prennent le dessus et dirigent infailliblement notre conduite. Si nous nous tournons avec assiduité vers notre ciel intérieur, si loin soit-il, c’est lui qui prendra le dessus et dissipera peu à peu nos pesanteurs, nos tensions, nos conflits jamais résolus.

La prière, même dans sa forme brève, nous est toujours offerte ; non pour lancer un appel au secours, réclamer l’aide expresse d’une autorité supérieure, mais pour se taire, pour faire taire la surface et reprendre contact avec ce que nous sommes plus profondément – comme on jette un regard intense vers une fenêtre ouverte, comme on tourne la tête vers le vide libérateur de l’azur lumineux. Quelle délivrance, alors, de découvrir que tout ce qui nous pèse, tout ce qu’il nous faut subir de notre histoire, n’est pas entièrement nous et qu’il suffit de retrouver le noyau intime qui nous fonde pour en libérer le rayonnement et le laisser nous envahir !

Là est la vie nouvelle, la régénération réelle, radicale : dans ce quelque chose en moi qui n’est pas moi et qui cependant est plus moi-même que je ne le suis. Pour le rejoindre, les efforts volontaires se révèlent inefficaces : il n’est que d’en avoir faim et soif, mais violemment, douloureusement, sans artifices. La grâce n’est pas une fée capricieuse, mais cette nappe oubliée au fond de nous-même, où tout est paix, clarté, plénitude, comme une réserve insoupçonnée, un puits de Jacob qui ne demande qu’à remonter.

Regarder Dieu, se tourner vers Lui, vers Sa face, comme souvent nous l’entendons, ne signifie rien d’autre que ce retournement intérieur, sans trop nous attarder sur nous-même, sur nos états d’âme, vers une présence qui jamais ne se retire mais dont nous perdons régulièrement le chemin. Cessons de regarder le nombril de nos blessures pour nous enfoncer dans l’abîme qu’elles nous ouvrent : Dieu est au bout, tout au bout de nous-même, et il ne s’agit pas d’escamoter cette pâque douloureuse."

Écrivain, Philippe Mac Leod a reçu le prix de poésie Max-Pol-Fouchet pour la Liturgie des saisons, aux éditions du Castor astral. Il est permanent laïc dans le diocèse de Toulouse.