Prier, c’est d'abord se taire.
Apprendre à se taire. Tu découvriras vite qu’il ne suffit pas de retenir sa langue un moment. Le silence n'est pas dans les oreilles, mais dans le corps lui-même : c’est lui qui nous remplit, nous tient droit. Une porte peut claquer, elle ne le déchire pas. C’est le silence des origines, le souffle de la vie avant même qu’une forme ne s'échappe comme une voile sur l’océan de l’étendue.
Prier, c'est donc d’abord se taire, et plus encore, tu le comprends bien, se taire intérieurement, puis se taire en profondeur, plus loin entre les membres, par-dessous les pensées, par-dessous le premier silence qui s’installe, comme des couches successives qu’on va chercher toujours plus au fond. Prier, enfin, c'est se taire de plénitude. Tu entends bien à ces mots la paix immense qui s’installe, la différence entre la privation, ce qu'on retient, et la conquête, ce qui se découvre, se dévoile.
Contempler consiste en ce lent mouvement d'accomplissement, de muette éclosion, d’équilibre total au point de ne plus avoir envie de se lever, de changer de position, ni même songer à bouger le petit doigt. La mouche qui se pose sur la tempe semble si loin, si légère. Tout est à sa place parce que tu as trouvé la tienne en dedans. Et le monde entier repose sur ce fragile équilibre, l’instant immobile en est le fléau, la pointe du danseur autour duquel tournent les sphères.
Tu as simplement appris à laisser le cœur s’ouvrir comme un œil et voir du dedans, voir à travers la chair, dans un éblouissement tranquille, la chaude blancheur du jour à travers l’épaisseur d’un voile. Voir la lumière. Voir alors qu’il n’y a plus rien à voir. Voir ce qui ne se voit pas. Voir comme on croit. Croire de cet œil grand ouvert qu'est devenue notre âme, avec cette prunelle brûlante au centre, doucement palpitante.
Tu me demandes souvent comment fixer la différence entre méditer et contempler. Elle est là : quand il n’y a plus d’objet, quand la vision devient à elle-même sa plénitude, son rayonnement, sa vastitude. Le silence alors se fait lumière, espace, respiration. Les mots n’y trouvent plus leur voix et s’éteignent comme de méchantes flammes au grand air. Tout est accompli. Dedans et dehors n'existent plus. Tout est un. plein, stable, tout à la hauteur de l’horizon.
Tu reconnais maintenant qu’il ne s’agit plus seulement d’accéder à une pleine conscience au sens d’un enveloppement, d'une étendue que nous serions capables de recouvrir en tout point comme en son ensemble, mais dans le sens d’une traversée, du centre vers la circonférence, du noyau à la périphérie, une conscience parcourant toute notre épaisseur vivante, de l'épiderme au fond du fond, là où la chair entrouvre ses fibres et devient mystère. La prière tient à cet autre exercice de la conscience, non plus dans l'extension, dans la portée, mais dans la force du centrement, de l'unité par le foyer, du rayonnement à partir de l'insaisissable. Il ne te suffira pas d'étendre les bras en écartant les jambes, la face plaquée contre l'azur ou les vents : on ne se remplit pas d'air, avec force inspirations, on habite le monde de notre plénitude intérieure, on emplit l'espace d'un souffle qui vient de plus loin que nous et ne fait un moment que nous traverser.
Il n’est alors que de nous tenir au plus près du centre, jamais touché, jamais perçu, dans une proximité d’autant plus exaltante qu’elle reste inachevée. La plénitude sera proportionnelle à cette extrême concision de la vie. Contempler est ce chemin paradoxal, le plus droit, le plus court, le plus direct.
(source : La vie 08/2014)
Apprendre à se taire. Tu découvriras vite qu’il ne suffit pas de retenir sa langue un moment. Le silence n'est pas dans les oreilles, mais dans le corps lui-même : c’est lui qui nous remplit, nous tient droit. Une porte peut claquer, elle ne le déchire pas. C’est le silence des origines, le souffle de la vie avant même qu’une forme ne s'échappe comme une voile sur l’océan de l’étendue.
Prier, c'est donc d’abord se taire, et plus encore, tu le comprends bien, se taire intérieurement, puis se taire en profondeur, plus loin entre les membres, par-dessous les pensées, par-dessous le premier silence qui s’installe, comme des couches successives qu’on va chercher toujours plus au fond. Prier, enfin, c'est se taire de plénitude. Tu entends bien à ces mots la paix immense qui s’installe, la différence entre la privation, ce qu'on retient, et la conquête, ce qui se découvre, se dévoile.
Contempler consiste en ce lent mouvement d'accomplissement, de muette éclosion, d’équilibre total au point de ne plus avoir envie de se lever, de changer de position, ni même songer à bouger le petit doigt. La mouche qui se pose sur la tempe semble si loin, si légère. Tout est à sa place parce que tu as trouvé la tienne en dedans. Et le monde entier repose sur ce fragile équilibre, l’instant immobile en est le fléau, la pointe du danseur autour duquel tournent les sphères.
Tu as simplement appris à laisser le cœur s’ouvrir comme un œil et voir du dedans, voir à travers la chair, dans un éblouissement tranquille, la chaude blancheur du jour à travers l’épaisseur d’un voile. Voir la lumière. Voir alors qu’il n’y a plus rien à voir. Voir ce qui ne se voit pas. Voir comme on croit. Croire de cet œil grand ouvert qu'est devenue notre âme, avec cette prunelle brûlante au centre, doucement palpitante.
Tu me demandes souvent comment fixer la différence entre méditer et contempler. Elle est là : quand il n’y a plus d’objet, quand la vision devient à elle-même sa plénitude, son rayonnement, sa vastitude. Le silence alors se fait lumière, espace, respiration. Les mots n’y trouvent plus leur voix et s’éteignent comme de méchantes flammes au grand air. Tout est accompli. Dedans et dehors n'existent plus. Tout est un. plein, stable, tout à la hauteur de l’horizon.
Tu reconnais maintenant qu’il ne s’agit plus seulement d’accéder à une pleine conscience au sens d’un enveloppement, d'une étendue que nous serions capables de recouvrir en tout point comme en son ensemble, mais dans le sens d’une traversée, du centre vers la circonférence, du noyau à la périphérie, une conscience parcourant toute notre épaisseur vivante, de l'épiderme au fond du fond, là où la chair entrouvre ses fibres et devient mystère. La prière tient à cet autre exercice de la conscience, non plus dans l'extension, dans la portée, mais dans la force du centrement, de l'unité par le foyer, du rayonnement à partir de l'insaisissable. Il ne te suffira pas d'étendre les bras en écartant les jambes, la face plaquée contre l'azur ou les vents : on ne se remplit pas d'air, avec force inspirations, on habite le monde de notre plénitude intérieure, on emplit l'espace d'un souffle qui vient de plus loin que nous et ne fait un moment que nous traverser.
Il n’est alors que de nous tenir au plus près du centre, jamais touché, jamais perçu, dans une proximité d’autant plus exaltante qu’elle reste inachevée. La plénitude sera proportionnelle à cette extrême concision de la vie. Contempler est ce chemin paradoxal, le plus droit, le plus court, le plus direct.
(source : La vie 08/2014)
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