« Il y a un temps pour chaque chose, un temps pour les vivants, un temps pour les morts »
Joshin Luce Bachoux, nonne bouddhiste, nous relate un rituel original auquel elle a participé en août 2021 avec sa communauté : trois jours consacrés à la mémoire des défunts. Une manière émouvante et concrète de se tourner vers « ceux qui nous ont quittés ».
De petites lumières tremblantes qui illuminent un instant le crépuscule, puis, au fil de la rivière, s’éloignent et disparaissent… Nous regardons partir ces fins morceaux d’écorce ou de bambou que nous avons confectionnés cet après-midi, taillés et lissés, puis peints : des fleurs, des oiseaux, des ébauches de visages, toujours des couleurs… Sur le dessus une feuille, ou un morceau de papier avec un nom. Et enfin, collée en équilibre, une petite bougie.
Puis, tard en cette belle journée de la mi-août, quand le soleil a commencé à disparaître derrière la colline, nous sommes descendus en silence jusqu’au cours d’eau en contrebas ; nous sommes restés là quelques minutes, recueillis, chacun dans ses pensées, dans ses souvenirs, mais puisant de la force à être ensemble. Nous ne pouvions plus voir le jardin ni les bâtiments ; le quotidien semblait avoir disparu. Il nous restait un monde vert et silencieux, tranquille et accueillant ; juste un murmure, celui de l’eau, un fredonnement léger pour accompagner ces instants d’émotion.
Moment de partage et d’acceptation
Alors, chaque personne à tour de rôle a allumé sa bougie, s’est avancée et a délicatement déposé la frêle embarcation sur l’eau. Quelques secondes pour la regarder prendre son élan, puis une autre personne à son tour pour confier un nom, un souvenir, à la source de toute vie.
Car comme il est dit, il y a un temps pour chaque chose, un temps pour les vivants, un temps pour les morts. Cette cérémonie clôt le temps des morts ; ou plutôt non, pas une cérémonie, le mot est trop fort, il ne transmet pas la simplicité, la retenue de nos gestes ; pas un rituel non plus, chacun s’avance doucement, prend le temps voulu, il n’y a pas de préséance, personne ne dirige. C’est un moment de partage, d’acceptation aussi : ouvrir les mains et laisser partir.
Vers tous ceux qui nous ont quittés...
Les deux jours précédents ont été un temps du souvenir : nous avons choisi de garder cette date de plein été, comme au Japon, pour nous tourner vers nos proches, ou moins proches, vers tous ceux qui nous ont quittés. Plénitude : le potager croule sous les courgettes et les haricots, avec les pointillés orange des potimarrons ; dans le jardin, c’est à qui, dahlias, cosmos, ou lupins, attrapera le plus tôt le soleil. Mais déjà, dans nos montagnes, le matin se fait frisquet, et le soir, les sapins s’enroulent dans une brume légère…
Offrandes et longue méditation silencieuse
Il est d’usage d’aller le premier jour au cimetière laver les tombes, aussi tendrement, dit-on, que si on lavait le dos de sa mère… Ici, en ces contreforts des Cévennes, nous nettoyons le petit cimetière qui se trouve sur le terrain en nous efforçant d’enlever mauvaises herbes et orties le plus doucement possible ! Le lendemain matin, chacun dépose, dans la salle de méditation ou au-dehors, dans la forêt ou en plein champ, des offrandes. Ce peut être un message, une photo, ou ce qu’aimait la personne : ainsi il y a sur l’autel une plaquette de chocolat, du Coca, une petite maquette d’avion et un joli foulard.
L’après-midi, nous nous sommes réunis pour une longue méditation silencieuse, puis, séparément, nous avons marché jusqu’à la nuit. Troisième jour, les petits bateaux, la rivière… Nous revenons au temple en silence ; la nuit est tombée. Un grand apaisement en nous et autour de nous ; fatigués et heureux, comme au retour d’un grand voyage. Le halo des lampes qui accompagne notre marche nous le dit : nous ne sommes jamais seuls, nous traversons cette vie, entourés de tous et de chacun, ensemble, et ainsi entre la douceur dans nos vies.
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