« Joindre », « unir », « relier » mais aussi « mettre au repos ». Les traductions du mot sanskrit « yoga » éclairent sur les raisons d'un succès en Occident. Il est à nouveau urgent dans nos sociétés industrielles de cultiver le lien social. Mais aussi de ralentir nos rythmes de vie, dont l'accélération crée anxiété et angoisse. Comment faire ce petit pas de côté, nécessaire à une meilleure compréhension de ce qui se passe en soi et plus largement dans le monde où nous vivons ? Le yoga peut être une des voies à emprunter.
Le yoga évoque souvent pour nous le corps installé dans des postures plus ou moins acrobatiques. Mais cette proposition corporelle s'accompagne du travail sur le souffle et d'une action sur le mental. Un cours de yoga cherchera à unifier ces trois éléments. Une démarche inverse des représentations du corps en Occident, toujours séparé du mental. « En Inde, c'est différent, explique Ysé Tardan-Masquelier, historienne des religions, spécialiste de l'hindouisme et directrice de projets de l'École française de yoga, le corps est l'une des gammes d'un continuum qui va du dense au subtil, il n'y a pas de rupture, il est animé, tissé de souffle, et il suffit de suivre ce souffle dans l'éventail de ses manifestations pour découvrir l'esprit. »
Si le corps est bien au centre de la pratique du yoga, ce dernier est une sagesse bien plus large qu'un ensemble d'exercices corporels. Grâce à une observation fine de l'homme par l'homme et de la souffrance inhérente à sa condition, le yoga cherche à le libérer en l'aidant à retrouver une unité. « Le yoga naît dans des milieux de penseurs qui veulent comprendre pourquoi l'être humain est malheureux, instable, malade, et qui attribuent ce mal-être à une séparation avec l'essentiel, à un état de division, de dispersion, ajoute Ysé Tardan-Masquelier. L'existence est placée sous le signe d'une perte, d'un exil de la dimension divine, de l'harmonie cosmique, de l'empathie avec soi et les autres. Le yoga propose alors de se réunifier, de se recentrer pour retrouver de la stabilité. » Cette sagesse, cette philosophie de la médiation corporelle s'appuie sur une tradition orale puis écrite. D'abord les Upanishads, composés entre le VIIIe et le IIIe siècle avant notre ère. Puis la Bhagavad Gîta et son puissant guerrier, mi-homme mi-dieu, en prise avec le doute, la crise existentielle au milieu du champ de bataille où sa mission est de défendre son peuple. Sa rencontre avec Krishna, une des incarnations du dieu Vishnou, va le conduire vers une sagesse de l'action, le karma-yoga. « Arjuna entre dans une démarche libératrice qui le réconcilie avec sa vocation et lui permet de rencontrer le divin », précise Ysé Tardan-Masquelier. Ici, « yoga » est employé dans le sens de discipline, d'ascèse.
Mais c'est autour de notre ère que le yoga va vraiment se structurer grâce à l'apparition d'un texte majeur, les Yoga-sûtra, de Patañjali. On sait peu de chose sur l'auteur. Mais, en 195 aphorismes, appelés sûtra, Patañjali a réuni des connaissances plus anciennes et développé un véritable enseignement pratique et philosophique. Son premier sûtra propose une définition : « Le yoga est la cessation ou la suspension des fluctuations du mental. » Puis il accompagne le lecteur dans un parcours en huit étapes, que l'on appelle les huit « membres du yoga ». Le premier se nomme yama, en sanskrit. Il propose des observances utiles à la vie en société, qui constituent les principes de l'éthique du yoga : la non-violence, dire la vérité, ne pas voler, la fidélité à un engagement et l'absence du sens de la possession, c'est-à-dire le fait de ne pas vouloir plus que ce dont nous avons besoin. Une sorte de « sobriété heureuse » chère à l'essayiste Pierre Rabhi. Le deuxième principe est niyama, la discipline personnelle : les règles à suivre comme la propreté, le contentement et la sérénité, l'ardeur dans l'engagement, la connaissance de soi et le fait de distribuer les fruits de l'action au courant de la vie, de ne pas les garder pour soi. Le troisième membre est asana, le plus connu, puisque c'est celui des postures. Le quatrième, pranayama, se concentre sur le souffle, l'apprentissage de la respiration. Les quatre étapes suivantes engagent un travail sur soi plus approfondi : pratyahara, le retrait des sens ; dharana, la concentration ; dhyana, la méditation et samâdhi, l'éveil.
Ce chemin du yoga se parcourt au contact d'une personne vivante et formée. La transmission orale d'un professeur à un élève reste irremplaçable, dans le respect de l'autonomie de l'autre, et peut s'accompagner d'une lecture personnelle des textes. Mais chacun emprunte cette route à son rythme en cherchant le yoga qui lui convient. Comme le rappelle Ysé Tardan-Masquelier, « il n'y a pas un yoga, qui serait breveté, traditionnel, orthodoxe, mais des yogas plus physiques, des yogas plus méditatifs qui s'appuient sur la vibration sonore ou la visualisation de formes et de couleurs, des yogas dévotionnels dans lesquels on se concentre sur une divinité ; des yogas de la connaissance afin de discipliner l'ego et l'esprit ».
Dénué d'esprit de compétition, le yoga ne cherche pas à réaliser une performance. Il s'inscrit donc à contre-courant des injonctions du toujours plus - plus vite, plus fort, plus jeune. En nous faisant vivre notre corps autrement et accéder parfois à une clarification du mental, il est une véritable école de l'attention au geste, au souffle et à nos perceptions sensorielles au quotidien. Ses vertus sont immenses mais il n'est pas une thérapie. Il peut avoir des effets thérapeutiques par une pratique régulière. C'est naturellement grâce à une meilleure harmonisation du corps et de l'esprit qu'il nous permet d'être en meilleure santé, de mieux gérer nos émotions, d'apprivoiser la souffrance. « Il rend plus heureux, plus libre : sa finalité est plus vaste qu'un projet thérapeutique », affirme Ysé Tardan-Masquelier.
source : La Vie ***
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