dimanche 28 août 2016

L’expir, Verbe créateur avec Annick de Souzenelle


S’il ignore ce qu’il est, l’homme est aliéné, par rapport à son potentiel vital ; il ne vit qu’à la superficie de lui-même, ne respire donc qu’à la superficie de lui-même, survit en redoutant la mort qu’il crée d’autant plus et plus vite qu’elle devient en fin de compte, inconsciemment, son seul objectif. Je ne pense pas que nous puissions prendre délibérément et consciemment pour objectif la vie sans l’objectiver au plus haut niveau de conscience, c’est-à-dire sans avoir l’audace de plonger dans son mystère oublié, mais dont nos mythes traditionnels sont la mémoire.
Je vous invite à cette audace en ouvrant ensemble le livre de la Genèse dont la tradition hébraïque nous dit qu’il est tout entier contenu dans le premier chapitre, lui-même dans le premier verset, celui-là dans le premier mot — Bereshit — et ce premier mot dans la première lettre, le Beith. Obtenant du « Saint-Béni-Soit-Il », selon le Zohar, de présider à la création du monde, la lettre Beith fait présider avec elle le nombre 2, l’altérité, le « toi ». Dieu crie : « Toi, ma bien-aimée » dans un dire-expir-orgasme archétypiel, et la Création est.
« Dire-expir-orgasme » sont inséparables l’un de l’autre. Les sept jours de la Création sont une coulée de cet expir-verbe divin. Les six premiers jours, un ordonnancement de l’énergie ainsi écoulée. Le septième jour, le Shabat, fond de l’expir, rétention du souffle créateur, préparation de l’inspir divin dans lequel toute la création est emportée. Cet inspir est l’histoire, notre histoire, celle de l’humanité, celle de chacun de nous. Dans le Shabat, l’étincelle de vie est déposée au cœur de chacun de nous, amorçant notre propre respiration dont le rythme à deux temps à l’image du rythme divin, s’inscrit dans l’inspir archétypiel. C’est l’histoire du 2 dans son retour à l’un.
Bereshit, le premier mot de la Genèse, en contient deux : Bara – crée ; Shit, se pose dans un fondement. Dans le premier verset : « Bara shit Bara Elohim eth Hashamaim Veet Ha-aretz », le rythme à 2 temps saisit toute l’œuvre ; tout respire : diastole, systole ; le jour, la nuit ; lumière, ténèbre ; été, hiver ; flux et reflux des mers ; le rire et les larmes ; la naissance et la mort. Un immense cœur bat.
Mais avant même que le premier jour fasse éclater la lumière, « le souffle de Dieu plane sur la face des eaux » – « Ve Roua’h Elohim Mera’hephet al Pne Hamaïm ». Une pneumatologie grandiose s’instaure.
Le verbe « planer » ne rend pas compte de la force pénétrante en même temps que réchauffante et ouvrante du terme «Méra’hephet » : le souffle de Dieu, en même temps qu’un expir, est verbe. Il est une pénétration mâle et amoureuse des eaux qui alors éclatent et se séparent. C’est à la rupture des eaux que naît le Beith. Et le Beith lui-même est constitué, dit le 1er verset, de « Shamaîm » et « Aretz », « cieux et terre » qui plus tard seront appelés « humide et sec ». Je dirai aussi « inaccompli et accompli » qui sont les deux seuls réels temps du verbe hébraïque, car il appert que la respiration de l’homme lui est donnée pour s’accomplir et que son accomplissement constitue l’inspir divin.
Dans cette perspective, à l’image archétypielle, l’expir de l’homme est verbe, verbe créateur. Mais depuis le drame de la chute, il se diversifie en verbe créateur, sa fonction ontologique, et organe procréateur, fonction temporaire qui lui est donnée en attente de son retour aux normes ontologiques. Ce qui fait que le bloc urogénital de l’homme n’est qu’une diversification du bloc cardiorespiratoire et phonatoire...

(Revue Énergie Vitale. No 11. Mai-Juin 1982)
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