Malheureusement, ces dernières années, cette vision a été renforcée par de nombreux scandales émanant d'écoles diverses. Aucun courant spirituel n'a été épargné.
Mais pour être justes, il faut ajouter deux choses: d'une part, ce type de scandales n'est pas spécifique à la spiritualité, on le trouve partout et dans tous les domaines, y compris dans les systèmes ne reposant aucunement sur la relation maître disciple.
D'autre part, pour un scandale, combien de relations maîtres-disciples qui se passent très bien et sont fructueuses? D'innombrables, dont nous n'entendrons évidemment jamais parler, puisque du domaine du respect et de l'intime. Ainsi, la vision que nous avons en Occident sur cette notion est tronquée et s'apparente à un bais cognitif.
Notons qu'en Occident aussi, ce concept est connu, et a parfois une connotation bien plus positive, même si on n'utilise pas forcément le terme "disciple". Pourtant, on connaît tous le concept du compagnonnage, cette relation de maître à disciple dans l'artisanat ou l'art. Combien de musiciens, de philosophes, voire de scientifiques "durs" se réclament disciples de certains de leurs enseignants, se battant même parfois pour en être les héritiers naturels ou légitimes?
En Orient, cependant, la notion a gardé un sens très positif, et pour ce que j'ai pu observer dans le domaine spécifique qui est le mien, le taoïsme, la relation est d'abord vécue comme une chance et un honneur pour le disciple, une chance pour le maître qui a ainsi l'opportunité de continuer à faire vivre sa lignée, et elle se vit de manière respectueuse dans la très grande majorité des cas.
Revenons simplement à l'étymologie du terme, qui signifie "élève, apprenti". Dans ce sens, évidemment, aucun problème à signaler. Pourquoi, alors, utiliser deux termes différents pour les apprenants?
Simplement pour la raison suivante, qui est fonctionnelle et pragmatique: un(e) élève a une relation avec un enseignant qui se construit sur un mode horizontal en ce qui concerne le contrat qui les lie: le plus souvent, celui-ci a comme transaction une certaine somme d'argent, qui lui permet d'obtenir qqch de précis. Une fois ceci obtenu, les deux, élèves et enseignants, sont quittes. Si on décide de commencer la guitare, tous les élèves obtiennent le même nombre de cours pour la même somme d'argent, et à priori, tout le monde a accès à l'enseignant, sauf si celui-ci est victime de son succès et est complet.
Résonance de l'élève pour l'art, la spiritualité ET l'enseignant en question. Résonance pour le maître ou enseignant vis à vis de l'élève, envers lequel il va devoir jauger non pas sa capacité en tant que telle, mais l'adéquation de la transmission entre ces deux personnalités particulières. Un maître, en effet, peut très bien refuser d'enseigner, non pas parce que l'élève n'est pas assez doué ou n'a pas assez travaillé, mais simplement parce que la "résonance" ne lui semble pas suffisante pour que la transmission puisse se faire à un niveau efficace. Dans ce cas, il pourra éventuellement référer cet élève à un enseignant qui a un autre type de personnalité, et donc une autre vibration, peut-être plus compatible avec l'élève en question.
Dans une telle transaction, car il s'agit bien d'une transaction, il n'y a pas d'égalité entre les personnes (à part, bien entendu, au plan humain le plus fondamental). Dans un tel cas de figure l'enseignant ou le maître est plus vaste et plus mature que son élève, au moins dans le domaine spécifique pour lequel l'élève demande de l'enseignement. Dès lors, ici, le client n'est plus roi. Il est obligé d'abaisser sa coupe, et de la vider avant, s'il veut recevoir quelque chose. Le fameux "oui, mais" revient dans ce cas à vouloir remonter sa coupe au même niveau que l'enseignant. C'est très humain, bien sûr, mais ça ne marche pas, sauf avec des élèves très matures et ils sont rares.
Relevons qu'abaisser sa coupe, momentanément, ne signifie en aucun cas perdre sa dignité, bien au contraire. Il s'agit de retrouver notre humilité fondamentale tout en sentant l'axe même de notre dignité intrinsèque. C'est un jeu introspectif d'une très grande subtilité, et qui peut amener à une très grande maturité, s'il est exercé suffisamment longtemps. C'est le sens, et l'essence, du salut traditionnel, par exemple, que l'on retrouve à la fin de toutes les formes de Qi Gong datant d'avant la Révolution Culturelle.
Cela ne veut pas dire du tout qu'en certaines circonstances, l'élève ne peux pas questionner le maître, le challenger, voire le tester. Mais ceci ne devrait pas être la routine de la relation. Ce type de test, s'il a lieu, doit avoir lieu très tôt, et autant que nécessaire. Mais à un moment donné, le disciple doit faire un choix: soit il s'engage et prend le risque et se donne en même temps l'immense opportunité d'un changement radical, soit il préserve sa carapace égotique et protectrice en restant dans sa zone de confort (mais dans laquelle, malheureusement, il ou elle étouffe) et il continuera à tourner en rond en pensant que l'herbe est vraiment toujours plus verte ailleurs.
C'est la raison pour laquelle je suis partisan de garder ce terme. Il n'est pas simple à utiliser, mais il empêche de s'endormir, oblige à une certaine exigence dans la réflexion. Il oblige au positionnement, à l'éventuel engagement, et à une forme de discipline dans la durée, au service d'un changement qui pourrait être radical, et pour le mieux, bien évidemment.
Mais que le ou la disciple n'obtiendra jamais au rabais, ni en marchandant.
Le sujet n'est bien évidemment pas clos, et il nécessite beaucoup de nuances pour l'aborder. Mais le premier pas est fait.
Bonne réflexion!
Fabrice Jordan
*******
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire