Toi qui, parmi d’autres, il y a longtemps, m’a prié- sans mesurer ce que tu demandais mais n’est ce pas vrai de nous tous ?- de t’accompagner à ma mesure en tant qu’ami spirituel sur la voie par laquelle nous avons chacun été touchés il y a plus longtemps encore…
Cher ami, dont la stratégie de protection envers la souffrance consiste à ériger entre toi même et la profondeur un bunker d’opinions, de pensées, d' indignations, constamment alimentées par quantité de nourritures d’impression choisies avec plus ou moins de discernement …
Cher ami chez qui cette stratégie, en place depuis des décennies et pour ton malheur non débusquée tant qu’il en était encore temps, se trouve exacerbée par les conditions et circonstances présentes.
Cher ami qui me demande de lui dire ce que je « pense » d’un article joint à ton courriel, sous prétexte que le savoir t’aidera à mieux me connaitre en tant qu’instructeur…
Mon cher ami, je suis au regret de te le dire : non seulement cette démarche consistant à aller me chercher sur le terrain des opinions ne te permettra en rien de mieux me connaitre en tant qu’instructeur spirituel, mais elle t’éloigne encore de la connaissance de toi même.
Si tu savais à quel point je trouverais heureux et fécond que tu m’écrives pour me parler simplement de toi, de ce que tu vis, éprouves en amont de toutes tes pensées, opinions et émotions non vues en tant que telles. Tant d’énergie employée à indéfiniment justifier et argumenter des émotions n’ayant en elles mêmes rien à voir avec l’ « actualité », alors même que tu crois sincèrement tant t’y intéresser …
Mon cher ami, je ne te suggère aucunement de te désintéresser du monde dans lequel nous vivons, ce monde à la fois si merveilleux et si insensé. Mais je t’enjoins à être à l’affut de l’émotion et des pensées en toi. A l’affut de ce qui souffre en toi et se projette sur ce que appelles l’extérieur.
Je ne te demande pas de te désintéresser du monde, non ; mais, oui, je t’enjoins à t’intéresser avant tout et premièrement à « ton monde ».
Car seule cette vision de « ton monde » te donnera accès au monde, à ce monde auquel, comme tout un chacun et à ta place, il est naturel et juste que tu prennes part avec la sensibilité qui est la tienne.
Pour l’instant et pour ton grand malheur, ton monde prend beaucoup trop de place pour que le monde te soit accessible.
La culture des opinions confondue avec la recherche de la vérité constitue une immense tragédie.
Il n’est pas exclu que ce soit à terme la plus meurtrière.
Mon si cher ami, jamais tu ne pourras rencontrer l’ami spirituel authentique sur le terrain des opinions, qu’elle soient partagées ou confrontées. Cette triste contrée, ce pays de la séparation et de l’isolement, autrefois figuré par la tour de Babel, ce pays n’est pas sa demeure. On ne peut donc l’y rencontrer.
L’ami spirituel authentique ne se rencontre que sur le terrain peu fréquenté d’une vulnérabilité désarmée, face contre terre.
C’est une terre à laquelle on n’accède pas si facilement.
Pour y pénétrer, il faut poser les armes, et cela ne nous est pas naturel, n’est ce pas ?
Il y a le confinement, celui dont il est ces temps ci, beaucoup question.
Et il en est un autre, bien plus redoutable.
Celui là n’est pas prêt d’être levé.
Pour qu’il le soit, il faudrait que la contemplation de la nature du réel nous mette à genoux. Ce réel qui n’est pas une abstraction métaphysique mais inclut notre misère et notre grandeur.
Ce confinement, combien plus redoutable, c’est celui dans lequel nous maintiennent, non seulement l’ignorance essentielle de notre vraie nature, mais les pensées, émotions, opinions, jugements, du matin au soir entretenus, justifiés, alimentés. Y compris parfois, ô folie, les opinions, pensées, émotions, à propos de notre vraie nature et des moyens d’y accéder.
De ce bunker là, au sein duquel nous gesticulons tel un führer en bout de course, il sera difficile de se déconfiner.
3 commentaires:
Ce courrier m'a beaucoup touchée, merci infiniment de remettre les choses à leur juste place!
Merci Pascale ! Bises
Ça s'appelle ''remettre les pendules à l'heure ''!
Merci du rappel !
Francine C.
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