jeudi 4 avril 2013

Hommage à Christiane Singer par Fabienne Marsaudon

En hommage au départ terrestre de Christiane Singer...
Elle disait :
"J'ai écrit un livre sur les âges de la vie. J'ai tenté de montrer ces métamorphoses de l'être au cours de la vie. Il est évident que tout cela ne vaut que si l'on a appris en cours d'existence à mourir. Et ces occasions nous sont données si souvent ; toutes les crises, les séparations, et les maladies, et toutes les formes, tout, tout, tout, tout nous invite à apprendre et à laisser derrière nous ; La mort ne nous enlèvera que ce que nous avons voulu posséder. Le reste, elle n'a pas de prise sur le reste. Et c'est dans ce dépouillement progressif que se crée une liberté immense, et un espace agrandi, exactement ce qu'on n'avait pas soupçonné. Moi j'ai une confiance immense dans le vieillissement, parce que je dois à cette acceptation de vieillir une ouverture qui est insoupçonnable quand on n'a pas l'audace d'y rentrer." (entretien avec Thierry Lyonnet sur RCF 2001)


Chers amis, 

Christiane Singer nous réunit ici dans le partage de la lumière dont elle nous a fait héritiers, je retrouve ce soir un texte que j'ai écrit à la demande d'un ami écrivain qui animait une soirée de lectures de son oeuvre, à l'anniversaire de son départ. Je suis heureuse de partager ces lignes avec vous. Bien amicalement. 

 Lettre à Christiane Singer 
Lundi 24 Mars 2008 
 Si grande amie,
Aujourd’hui, pour la première fois, je découvre votre voix. Cela fait presqu’un an que vous avez quitté ce monde et voilà que vous me parlez à l’oreille, moi qui jusqu’alors n’avais su que vous suivre des yeux au fil de mes lectures…Un ami a déposé chez moi, il y a quelques jours, un enregistrement de l’une de vos conférences et, dans la grisaille de cette après-midi de lundi de Pâques, je vous découvre comme je ne vous ai jamais rencontrée, accueillant la vibration de votre voix comme un cadeau d’outre-vie que vous me faites peut-être de là où vous veillez… Profonde, grave, élégante… Votre voix était fidèle à votre plume… Vous parliez lentement en savourant le mot tout comme vous sembliez goûter aussi le silence qui le précédait et la vibration qui le suivait. Profonde, grave, élégante… Votre voix tout à coup, vous reconstitue toute entière et vous entrez chez moi. Nous voilà toutes les deux, face à face… Je ne vous entends plus, je vous vois. Il y a quelques mois, j’ai appris votre mort… Etrangeté que de vous parler de votre mort en vous sentant paradoxalement en cet instant-même « plus que vivante »… 

Je lisais alors celui de vos livres qui me laisse encore à l’âme une incandescence indicible : « Seul ce qui brûle ». Ce matin–là, apprenant votre départ, je fus engloutie par une vague de tristesse infinie… Il m’a semblé si douloureux d’être privée de votre belle écriture, de l’attente de votre prochain ouvrage et de l’espoir d’une rencontre peut-être un beau jour prochain….Vous veniez de filer à l’anglaise, sans sommations, et je ne vous rencontrerai donc jamais… Je me suis sentie « abandonnée », sevrée prématurément de votre parole si vivifiante, et soudain orpheline de vous… Depuis plusieurs années, vous aviez posé vos livres au chevet de mes désarrois les plus profonds, au cœur d’une série d’épreuves traversées dont vous aviez été l’une des clartés qui ranime…


J’avais bu à votre source tant d’apaisement, tant d’altitudes. Vous m’aviez parlé tour à tour en mère, en sœur et en amie… De vos chemins pacifiés, vous m’insuffliez l’élan et enfantiez ma propre croissance avec un amour si farouche de la vie que je pouvais m’y arrimer sous toutes les tempêtes… Vous m’avez nourrie de votre « grandeur ». Rien de tiède en vous, vous étiez sœur du feu, plus flamme que femme, vous avez osé être une « vivante » comme une prêtresse dédiée à l’œuvre sacrée de la vie dont vous étiez devenue une passeuse farouche. Profonde, grave, élégante… votre voix aujourd’hui me ramène à la Grande Dame, je dirai même à la Noble Dame qui invitait à l’admiration sans toutefois faire d’elle une idole… 

Je vous admire au-delà de ce temps humain accompli, parce que vous visiez au plus haut et que vous regarder, m’a redressé la tête. J’admire « l’admirable de vous », cette si belle « fécondité » de votre oeuvre sans cesse témoignant de la victoire de l’amour et sans cesse chantant la gloire de l’instant. Ironie du destin, vous qui parliez passionnément de la maternité et de la puissance initiatique de l’enfantement, un ami commun vous a un jour offert le premier disque que j’ai composé rassemblant les chansons que j’avais écrites enceinte de mon premier bébé…Vous lui avez envoyé une très belle lettre parlant de cet album… L’ami n’a plus retrouvé votre lettre, égarée dans un déménagement…Il m’a dit tout cela le jour où j’ai appris votre départ…Savoir que nous nous étions frôlées dans cette vie me fut doux… Vous avez un jour écouté mon chant, et moi je me serai drapée de votre radieuse écriture. Votre lettre, sans doute, m’arrivera un beau jour, lorsque le temps sera venu, resurgissant d’une boite de courriers oubliés. Qu’est-ce au fond qu’un rendez-vous terrestre manqué lorsque celui du cœur fut accompli… 

Fabienne Marsaudon


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