Mai 1968. Les élèves du lycée Saint-Louis, dont j’étais l’aumônier catholique, étaient aux avant-postes des événements qui agitaient le Quartier latin, à Paris. Je me sentais en sympathie avec les aspirations de ces étudiants. Au point, à leur contact, de remettre en cause mon propre ministère : ce Dieu que je leur enseignais, est-ce que je le connaissais vraiment ? Persuadé qu’une parole n’était vraie que si elle prenait sa source dans l’expérience vivante, je suis donc allé voir mon évêque, lui demandant le droit de me consacrer à une vie contemplative. Je le revois levant les bras au ciel : « Beaucoup de prêtres me demandent de quitter le ministère pour se marier, me dit-il, et vous, c’est pour prier ! Comment pourrais-je vous le refuser ? »
C’est à 17 ans que j’ai vécu l’expérience spirituelle qui a marqué toute ma vie. Ma mère venait de mourir. Après le décès de mon père et de mon petit frère, c’était le choc de trop. J’avais le sentiment que ma vie n’avait plus de sens. Plongé dans les ténèbres, je n’aspirais qu’à mourir pour dire adieu à cette souffrance. C’est alors que, mû par je ne sais quelle inspiration, je me suis emparé d’une Bible dans ma bibliothèque. En l’ouvrant, je me suis senti subitement saisi par une force, une tendresse ineffable. Aussitôt, tout mon désespoir s’est transformé en espérance. J’ai alors compris que je n’étais plus seul, qu’au fond de moi se trouvait une présence merveilleuse, et que ma raison d’être sur cette terre serait de vivre de cet amour, de le faire connaître, de le communiquer.
J’ai pris la résolution de donner ma vie à ce Dieu qui s’était manifesté à moi d’une façon si forte, après mon admission à l’école militaire Saint-Cyr. Ignorant vers quel ministère m’orienter, j’ai décidé, sur les conseils d’un prêtre, d’entrer au séminaire des Carmes pour approfondir ma vocation. J’avais 29 ans le jour de mon ordination. D’abord envoyé dans une paroisse de la banlieue parisienne, j’ai ensuite été nommé aumônier au lycée Henri-IV et, à partir de 1966, au lycée Saint-Louis, au cœur du Quartier latin. Pendant cette période, j’ai éprouvé des difficultés à enraciner ma vie au cœur de moi-même, refoulant encore le côté artistique, affectif de mon être. Au fond, c’était comme si je vivais dans deux mondes séparés, le monde existentiel que je subissais et l’autre monde, plein de lumière et d’amour. Et, dans le sillage de saint Jean de la Croix, dont la mystique me séduisait, j’aspirais à mener une vie plus contemplative.
C’est à 17 ans que j’ai vécu l’expérience spirituelle qui a marqué toute ma vie. Ma mère venait de mourir. Après le décès de mon père et de mon petit frère, c’était le choc de trop. J’avais le sentiment que ma vie n’avait plus de sens. Plongé dans les ténèbres, je n’aspirais qu’à mourir pour dire adieu à cette souffrance. C’est alors que, mû par je ne sais quelle inspiration, je me suis emparé d’une Bible dans ma bibliothèque. En l’ouvrant, je me suis senti subitement saisi par une force, une tendresse ineffable. Aussitôt, tout mon désespoir s’est transformé en espérance. J’ai alors compris que je n’étais plus seul, qu’au fond de moi se trouvait une présence merveilleuse, et que ma raison d’être sur cette terre serait de vivre de cet amour, de le faire connaître, de le communiquer.
J’ai pris la résolution de donner ma vie à ce Dieu qui s’était manifesté à moi d’une façon si forte, après mon admission à l’école militaire Saint-Cyr. Ignorant vers quel ministère m’orienter, j’ai décidé, sur les conseils d’un prêtre, d’entrer au séminaire des Carmes pour approfondir ma vocation. J’avais 29 ans le jour de mon ordination. D’abord envoyé dans une paroisse de la banlieue parisienne, j’ai ensuite été nommé aumônier au lycée Henri-IV et, à partir de 1966, au lycée Saint-Louis, au cœur du Quartier latin. Pendant cette période, j’ai éprouvé des difficultés à enraciner ma vie au cœur de moi-même, refoulant encore le côté artistique, affectif de mon être. Au fond, c’était comme si je vivais dans deux mondes séparés, le monde existentiel que je subissais et l’autre monde, plein de lumière et d’amour. Et, dans le sillage de saint Jean de la Croix, dont la mystique me séduisait, j’aspirais à mener une vie plus contemplative.
Les événements de 1968 ont réveillé ce désir d’intériorité. En 1969, j’ai donc quitté le ministère pour entrer dans une fraternité de Carmes, avant de rejoindre un ermitage égaré dans une forêt de Sologne, où j’ai établi un lien très étroit avec l’abbaye de Fleury, qui a été déterminant pour ma vie spirituelle. Je voulais consacrer tout mon temps, toutes mes pensées à Dieu, me rendre totalement disponible à sa grâce. Bien vite, cependant, les limites de cette aspiration se sont fait jour. Car si mon désir d’être à Dieu était sincère, tout une part de moi-même s’y refusait. En fait, jusqu’à présent, j’avais voulu ignorer mes carences, mes frustrations, mes fragilités. Cela augmentait en moi la coupure entre le corps et l’esprit qui se traduisait par une grande instabilité, des blocages affectifs. Au bout de quatre ans de cette vie de désert, j’ai réalisé qu’il fallait que je libère cet inconscient qui m’empoisonnait, que j’affronte les causes psychiques de mon état, faute de pouvoir poursuivre ma vie spirituelle.
Avec l’accord de mon évêque, je suis donc parti à Rütte, au cœur de la Forêt-Noire, dans le centre de Karlfried Graf Dürckheim, le fondateur de la thérapie initiatique. Tous les matins, après une initiation à la méditation zen, j’opérais un retour sur ma vie. Ce chemin de vérité m’a ouvert les yeux : la mort de ceux que j’aimais le plus avait creusé dans mon cœur de tels traumatismes que la vie me terrorisait. Pour conjurer cette peur, je m’étais jeté dans le religieux comme dans un refuge. Au terme de cette analyse, toutes mes certitudes se sont effrondées. Je n’arrivais plus à prier, mon sacerdoce était remis en cause. Seule restait cette présence ineffable qui, au cœur de mon désarroi, me procurait une grande paix.
En sortant de Rütte, j’étais un homme nouveau. Je me sentais libre. Trop libre... Tous mes tabous avaient sauté et je n’étais soutenu par aucune communauté. Sans ma foi, qui demeurait, et sans le bouddhisme zen, découvert à Rütte, peut-être serais-je alors parti à la dérive.
En 1983, à l’invitation du Vatican, j’ai participé à un échange au Japon entre moines chrétiens et bouddhistes. Je suis ensuite resté plusieurs mois au monastère de Ryutakuji, me liant d’amitié avec le roshi et découvrant combien le zen pouvait être un profond facteur d’unité. Jusqu’alors, je peinais à faire le lien entre toutes les composantes de ma nature – mes pensées, ma sensibilité, ma volonté... Profondément tiraillé, j’aspirais à être plus présent en moi-même. En m’apportant un silence intérieur, une force, une paix profonde, le zen m’a aidé à unifier toute ma vie autour de la foi chrétienne. Car mon itinéraire a toujours été arrimé au Christ. Et c’est parce que cette foi était ancrée que j’ai pu m’ouvrir aux traditions orientales, sans jamais renier la spécificité du christianisme : l’accueil de la grâce, par laquelle Dieu vient à nous pour nous transformer, nous guérir, nous abreuver de son amour. Cet amour dont nous devons, à notre tour, être les passeurs et les témoins.
Avec l’accord de mon évêque, je suis donc parti à Rütte, au cœur de la Forêt-Noire, dans le centre de Karlfried Graf Dürckheim, le fondateur de la thérapie initiatique. Tous les matins, après une initiation à la méditation zen, j’opérais un retour sur ma vie. Ce chemin de vérité m’a ouvert les yeux : la mort de ceux que j’aimais le plus avait creusé dans mon cœur de tels traumatismes que la vie me terrorisait. Pour conjurer cette peur, je m’étais jeté dans le religieux comme dans un refuge. Au terme de cette analyse, toutes mes certitudes se sont effrondées. Je n’arrivais plus à prier, mon sacerdoce était remis en cause. Seule restait cette présence ineffable qui, au cœur de mon désarroi, me procurait une grande paix.
En sortant de Rütte, j’étais un homme nouveau. Je me sentais libre. Trop libre... Tous mes tabous avaient sauté et je n’étais soutenu par aucune communauté. Sans ma foi, qui demeurait, et sans le bouddhisme zen, découvert à Rütte, peut-être serais-je alors parti à la dérive.
En 1983, à l’invitation du Vatican, j’ai participé à un échange au Japon entre moines chrétiens et bouddhistes. Je suis ensuite resté plusieurs mois au monastère de Ryutakuji, me liant d’amitié avec le roshi et découvrant combien le zen pouvait être un profond facteur d’unité. Jusqu’alors, je peinais à faire le lien entre toutes les composantes de ma nature – mes pensées, ma sensibilité, ma volonté... Profondément tiraillé, j’aspirais à être plus présent en moi-même. En m’apportant un silence intérieur, une force, une paix profonde, le zen m’a aidé à unifier toute ma vie autour de la foi chrétienne. Car mon itinéraire a toujours été arrimé au Christ. Et c’est parce que cette foi était ancrée que j’ai pu m’ouvrir aux traditions orientales, sans jamais renier la spécificité du christianisme : l’accueil de la grâce, par laquelle Dieu vient à nous pour nous transformer, nous guérir, nous abreuver de son amour. Cet amour dont nous devons, à notre tour, être les passeurs et les témoins.
source : La Vie
Les étapes de sa vie
1925 Naissance à Pierrefitte-sur-Seine (93).
1942 Première expérience spirituelle.
1947 Reçu à l’école militaire Saint-Cyr.
1954 Ordonné prêtre.
1957 Aumônier de lycées parisiens pendant 14 ans.
1971 Quatre années d’ermitage en Sologne.
1975 Année de thérapie au centre de Rütte.
1983 S’initie au bouddhisme zen dans un monastère japonais.
1987 Crée le centre Assise, en région parisienne.
2011 La Traversée de l’obscur. L’itinéraire singulier d’un prêtre catholique.
1942 Première expérience spirituelle.
1947 Reçu à l’école militaire Saint-Cyr.
1954 Ordonné prêtre.
1957 Aumônier de lycées parisiens pendant 14 ans.
1971 Quatre années d’ermitage en Sologne.
1975 Année de thérapie au centre de Rütte.
1983 S’initie au bouddhisme zen dans un monastère japonais.
1987 Crée le centre Assise, en région parisienne.
2011 La Traversée de l’obscur. L’itinéraire singulier d’un prêtre catholique.
2 commentaires:
Beau témoignage qui montre l'importance de l'appel et surtout la persévérance malgré les démons intérieurs.
Poignant témoignage où il est dit que le Bouddhisme Zen peut venir compléter le Christianisme, et sans doute réciproquement.
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